Interview de Jean-Luc Buchalet : directeur de la stratégie chez FactSet JCF et PDG de Pythagore Investissement BP

Jean-Luc Buchalet

directeur de la stratégie chez FactSet JCF et PDG de Pythagore Investissement BP

La Chine génère une liquidité qui favorise les rachats d’actions

Publié le 22 Mai 2006

Quel est l’intérêt d’une opération de rachat d’actions ?
En rachetant ses propres actions, puis en annulant les titres acquis, une entreprise réduit le nombre de ses parts en circulation et augmente mécaniquement le montant de son bénéfice par action (BPA), c’est ce qu’on appelle l’effet relutif de l’opération. Et comme chaque action détenue donne droit à une part accrue de bénéfice, la valeur de la société s’accroît. Dans une période où les taux d’intérêt sont faibles, et faute de pouvoir investir dans des actifs d’exploitation plus rentables, l’entreprise effectue ainsi un partage de la valeur favorable à ses actionnaires. Cette vision, qui arbitre contre l’investissement et la distribution de pouvoir d’achat aux salariés au profit des détenteurs du capital, s’inscrit dans le court terme.

Existe-t-il un lien entre la pratique du rachat d’actions dans les pays occidentaux et la conjoncture macroéconomique mondiale ?
En effet. Nous assistons à une explosion des liquidités partout dans le monde : elles représentent actuellement 12.9% du PIB mondial en valeur contre 7.5% en 1995. Ces liquidités ont pour principale origine l’accroissement des réserves de change des banques asiatiques et, en premier lieu, de la Banque de Chine. Les Etats-Unis, qui avaient largement participé à ce processus, ont été devancés par la Chine et, dans une moindre mesure, les pays producteurs de pétrole. Profitant d’un yuan très sous évalué, rémunérant à peine ses travailleurs, l’Empire du Milieu exporte plus de 40% de son PIB et devient plus que jamais l’atelier de l’Occident.

De ce fait, avec une inflation de 1,3% et une croissance de plus de 15%, la Chine exporte également sa déflation et pousse à un partage de la valeur ajoutée en faveur des entreprises. Au point que l’on pourrait soutenir l’existence d’une collusion entre Wall Street et le modèle néolibéral, pour ne pas dire « esclavagiste chinois ». Les excès de liquidités accumulés par la Banque de Chine se placent sur la courbe des taux américains provoquant ainsi la baisse des taux à long terme, ce qui est très favorable aux marchés occidentaux, notamment au secteur de l’immobilier. L’inflation des actifs immobiliers, notamment américains, autorise une augmentation très sensible de la dette des ménages outre atlantique ce qui alimente la croissance économique des Etats-Unis.

Au final, cet environnement a permis une progression à deux chiffres pendant quatorze trimestres consécutifs, depuis septembre 2002, des profits des cinq cents premières entreprises du Standard and Poors. Dans ce contexte, le rachat d’actions est devenu un moyen de gérer les excès de cash gérés par les entreprises, celles-ci décidant de redistribuer l’argent aux actionnaires au lieu de procéder à une augmentation des salaires.

A vos yeux, la Chine serait donc la principale responsable de l’accroissement massif des liquidités ?
Certainement. Les Chinois produisent très bon marché, au prix d’une compétition interne féroce liée à un niveau d’investissement très élevé. Ils profitent également d’une monnaie notoirement sous-évaluée, rendant leurs marchandises très compétitives à l’export d’où la forte croissance de leurs volumes de ventes à l’étranger. Du fait d’un solde commercial fortement excédentaire, on pourrait s’attendre à ce que le yuan se renchérisse sensiblement. Or ce modèle théorique ne s’applique pas à la Chine car, le yuan est indexé sur la valeur du dollar, et cela probablement pour longtemps.

Conséquence : la Chine génère une liquidité toujours plus abondante qui inonde l’Occident où elle se gonfle encore plus sous l’effet conjugué des marges élevées réalisées par les entreprises et des taux d’intérêt bas. Cet excès de cash flow favorise les rachats d’actions.

Quel rôle les marchés financiers jouent-ils en matière de rachat d’actions ?
Un seul exemple : Jean-Louis Beffa, le patron de Saint-Gobain, a longtemps résisté bec et ongles à la pression des marchés financiers qui souhaitaient voir l’entreprise procéder à des programmes de rachats d’actions en vue de réduire le nombre de titre en circulation. Finalement, pour éviter que son cours de bourse ne soit massacré, il a dû céder.

Le rachat d’actions est-il un aveu d’impuissance des dirigeants à maintenir un niveau élevé de rentabilité opérationnelle exigé par des investisseurs trop gourmands ?
Le rachat d’action est en effet un indicateur avancé de la fin du cycle des profits. Les rachats ont tendance à s’accélérer lorsque le niveau de rentabilité financière des entreprises est au plus haut mais qu’elles s’avèrent incapables de soutenir la croissance par leurs métiers. Aussi préfèrent-elles se cannibaliser pour satisfaire leurs actionnaires et faire jouer l’effet de levier en s’endettant. Or, à long terme, la création de richesse trouve sa source dans l’investissement productif et non pas dans la redistribution de cash aux seuls actionnaires.

lucile