Interview de David  Gaud : Gérant, Zone Asie hors Japon au sein de Edmond de Rothschild Asset Management

David Gaud

Gérant, Zone Asie hors Japon au sein de Edmond de Rothschild Asset Management

Chine, il est possible que nous soyons surpris à la hausse par le marché actions cette année

Publié le 16 Mai 2012

Quel regard portez-vous sur les récentes réformes annoncées par la Chine concernant ses marchés financiers ? Une accélération dans l'annonce de ces réformes a été observée.
Ces réformes témoignent du fait que l'aile réformatrice du gouvernement chinois et l'approche libérale sont en train d'être mises en oeuvre.
Elles interviennent dans un contexte politique compliqué. Un nouveau bureau politique doit être mis en place à la fin de l'année.

Quelle est selon vous la motivation première de la Chine à travers ces réformes ?

La base de la réflexion chinoise réside dans la débancarisation de l’économie. Le pays veut équilibrer ses modes de financement en facilitant l’accès au marché à la majeure partie des entreprises qui sont pour près de 90% dépendantes du robinet bancaire. Le marché obligataire manque totalement de profondeur.
D'importants déséquilibres se sont créés à la fois au niveau des entreprises, mais aussi au niveau des provinces. La Chine souhaite s'éloigner de ce plein pouvoir des banques pour aller vers plus de diversification.

Quelles réformes vous ont semblé être les plus importantes à ce stade ?

Pour la première fois de leur histoire, les compagnies d'assurance vie vont pouvoir émettre des obligations en monnaie étrangère. Cette nouvelle est très positive pour le secteur. Jusque là, seules les banques étaient autorisées à le faire.

La Chine a également affiché sa volonté de rendre les activités d'intermédiation économiquement viables : les brokers, les sociétés de bourse. En cela, les commissions de transaction, contrôlées dans le pays, ont été augmentées. Il y a eu un relèvement de la commission de base. Ces entités vont être plus profitables.
Les frais de compensation chargés par la bourse de Shanghai et la bourse de Shenzhen ont été abaissés pour une meilleure répartition des bénéfices et pour permettre à quelques sociétés de bourse chinoises de s'étendre à l'extérieur, de recruter des talents.

Une autre réforme importante est liée à la hausse des quotas, les QFII (Qualified Foreign Institutional Investor) qui permettent aux investisseurs étrangers de convertir de la monnaie étrangère en reminbi pour investir sur les marchés actions ou les marchés obligations.
30 milliards de dollars américains de quotas avaient été distribués depuis 2006. Une dizaine de milliards étaient véritablement actifs, autrement dit étaient vraiment investis dans des produits financiers. Le reste a été essentiellement utilisé pour prendre des positions en devises (de la part des banques centrales).

En ce début d'année des quotas ont de nouveau été redistribués. L'objectif affiché est de monter à 90 milliards de dollars. C'est encore une goutte d'eau si l'on compare cela à la capitalisation boursière du marché chinois. Cependant cela va dans le bon sens. Sans compter que ces quotas devraient servir à des investissements actifs sur les marchés, en d’autres termes dans des produits non pas seulement dans la devise.

A l'inverse les sociétés chinoises vont pouvoir davantage investir à l'étranger par des QDII (Qualified Domestic Institutional Investor). Les marchés qui devraient en profiter en priorité seront les marchés asiatiques, hors Chine tels que Hong Kong, Singapour, Taiwan si ce pays parvient à régulariser les transactions. Les flux sortants vont permettre de diversifier les risques des produits d'assurance vie, des trésoreries des sociétés, des fonds de pension.

La bande de trading de la devise a été élargie. Plus de volatilité parait être acceptée…
Cet élargissement n’est pas un fait anodin. Il tend à montrer que la  Chine est plus à l'aise avec une logique de marché dans la fixation du cours de la devise. C’est un signal très fort d’ouverture.
Le pays souhaite montrer que progressivement la devise se normalise. Déjà un certain nombre de transactions à l'intérieur de l'Asie peuvent se faire en reminbi. Des comptes de reminbi ont été ouverts aux vendeurs de matières premières.
La monnaie chinoise devient monnaie de réserve, monnaie marchande, et monnaie de transaction, en particulier pour permettre à la Chine de prendre ses distances avec le dollar américain.

A ce sujet un élément intéressant réside dans la création du reminbi de Honk Kong …
Effectivement. Un particulier qui a un compte bancaire chez HSBC peut demander à avoir sa devise soit en dollar de Hong Kong soit en reminbi. Ce reminbi n’est pas systématiquement convertible en reminbi de Chine. Cependant cela montre une nouvelle fois une volonté de la Chine d’ouvrir sa devise en permettant à des personnes d’émettre des produits en reminbi, de faire des transactions en reminbi ou de stocker l’épargne en reminbi. Si cela s’avère concluant, s’il n’y a pas trop de perturbations, nous pourrions envisager une fongibilité à terme de ce reminbi de Honk Kong avec le reminbi chinois.

Au-delà d’une volonté de débancarisation, et d’atténuation des déséquilibres internes, ne peut-on pas voir dans ces réformes un moyen d’obtenir une contrepartie dans d’autres grandes économies occidentales, notamment aux Etats-Unis. Récemment, la Fed a donné l’autorisation à certaines banques chinoises de s’étendre sur le territoire américain. Pour la première fois de son histoire, la banque centrale américaine a même autorisé une banque chinoise, ICBC à acquérir une filiale implantée aux Etats-Unis...
Je ne pense pas que ce soit la motivation première de Pékin, même si l’on pourrait envisager une certaine influence.
La Chine a beaucoup souffert eu égard aux investissements qu’elle a effectués par le passé dans les banques américaines. Ayant été froidement douchée, elle ne peut plus se permettre d’investir d’importants montants à l’étranger. La population ne le supporterait pas.
Ces expansions s’expliquent surtout par le souci de servir les intérêts des ressortissants chinois à l’étranger et non par une conquête du monde.
Si les acteurs chinois venaient à s’étendre au-delà des frontières, pour des raisons de diversification des risques, vraisemblablement, ils donneraient priorité à la région asiatique ou à des partenaires privilégiés comme le Brésil.

A ce jour, comment expliquez-vous le non redémarrage du marché actions chinois ?
Par un manque de liquidités. Tant que la politique monétaire restera restrictive, au niveau du taux de réserve, du taux d’intérêt, du crédit bancaire, nous n’aurons pas de reprise significative.
Les indicateurs économiques comme l’indice PMI, les chiffres d’exportations ont une moindre importance aux yeux des investisseurs. Ces derniers veulent avoir l’affirmation que la spéculation boursière est de nouveau autorisée compte tenu de l’aval des autorités. Nous n’aurons pas de réaction violente de la part des autorités monétaire, et une réouverture de la liquidité à moins d’avoir une décélération de la croissance chinoise qui se traduirait par une chute brutale des chiffres macroéconomiques.

Pour l’heure vous ne tablez pas sur un desserrement violent à l’instar de ce que l’on a pu observer en 2008...
Non. Il y a toujours de l’inflation actuellement, entre 3% et 4%. Reouvrir les vannes fortement risquerait de faire progresser l’inflation de manière trop importante à 5-6%.
En outre, je pense que nous aurons une macroéconomie suffisamment résistante pour ne pas avoir à utiliser les mêmes supports qu’en 2008. C’est ce qui frustre d’ailleurs les marchés.
Les derniers chiffres sur les exportations ne sont pas si mauvais que cela si l'on considère qu'il y a une journée de travail de moins par rapport au mois d’avril de l’année dernière.
La demande domestique se tient bien. Il n’y a pas le feu à la maison. Les ventes automobiles sont en hausse de 12,5%. La faiblesse des importations vient essentiellement de l'écroulement des prix des matières premières : les minerais de fer, le charbon, la farine, l'huile... La diminution est surtout constatée en valeur et non en volume.
La Chine ne souhaite pas retrouver une croissance de son PIB à 11-12% mais 7,5-8%. Pour ce faire, elle souhaite éviter un emballement monétaire.

Pensez-vous que les réformes envisagées permettront de stimuler les marchés actions ?

Les décisions qui ont été prises sont d’importantes décisions politiques. Leur mise en œuvre et leur effet nécessiteront du temps, de deux à cinq ans. Elles sont donc intéressantes en toile de fond. Elles supposent une certaine anticipation pour en tirer les bénéfices.

Pensez-vous que la Chine soit préoccupée par la désaffection de son marché actions ?
Depuis deux ans, les préoccupations de la Chine ont surtout été centrées sur l’inflation, la bulle immobilière, le crédit des provinces, le problème de financement des PME. Nous avons l’impression que le gouvernement est plus serein sur ces aspects.
Cependant, je ne suis pas certain qu’il ait véritablement le souci de stimuler fortement le marché actions. Les autorités n’ont pas envie que le marché reparte en pleine spéculation.
Le travail est plus axé sur le développement du marché obligataire réservé essentiellement aux banques. Les intervenants privés y ont très peu accès.

A quelle évolution vous attendez-vous cette année pour le marché ?
Il est possible que le marché ait touché un point bas et que nous soyons surpris à la hausse par le marché chinois cette année. Ce marché chinois n’a cessé de baisser fortement depuis le premier trimestre 2010 jusqu’au premier trimestre 2012. Il figure parmi les marchés émergents les plus faiblement valorisés, ce qui est assez surprenant, et à ne pas négliger dans ce contexte de volatilité à court terme.
Nous avons vu des fonds de pension recommencer à acheter le marché parce qu’ils en ont reçu l’ordre.

Y a-t-il lieu de se positionner aujourd’hui sur le marché ?

Tout à fait.

Sur quels secteurs, quelles thématiques ?

Un certain nombre de secteurs ont été définis dans le dernier plan quinquennal dans lesquels l’intensité de l’investissement devrait être plus forte au cours des cinq prochaines années : les énergies renouvelables, la santé.
Les entreprises liées à la consommation sont également à privilégier. Tout ce qui est consommation discrétionnaire, marques continuent à bien performer en Chine. Plusieurs sociétés de distribution avancent le fait que graduellement depuis janvier les chiffres de la consommation s’améliorent. La baisse des prix des matières premières devraient aussi profiter aux sociétés de consommation de base.

Ceux qui feront défaut seront les acteurs industriels et les acteurs exportateurs en raison du fort ralentissement économique des pays développés.

Les grands vainqueurs des réformes financières entreprises sont les acteurs d'assurance vie.
Ces acteurs se situent au coeur des réformes: les QDII, l'asset management, la banque privée... Ce sont des acteurs investisseurs en ce qu'ils placent l'argent des polices sur les marchés financiers. Ces acteurs ont besoin de diversification, de produits avec de bons rendements, et donc de profondeur. Ils structurent et stabilisent le marché en collectant de manière importante et régulière.
Souvent ces compagnies d'assurance vie ont leur propre société de bourse et ont des banques. Ce sont des groupes pleinement intégrés qui peuvent utiliser des synergies entre différentes structures.
Les autres pendants intéressants sont l'assurance santé, et l'assurance retraite.

Doit-on s’attendre à une poursuite des réformes chinoises liées à ses marchés financiers dans les mois à venir ?
Nous ne sommes qu’au début du processus de réformes. Nous pourrions très bien avoir une accélération.

Il est intéressant de constater à ce propos un élément qui n'est pas très discuté dans les médias, et qui est relatif au possible rachat par la bourse de Hong Kong du London Metal Exchange.
Cette acquisition convoitée s’explique par le fait que la bourse de Hong Kong veut s'intégrer dans l'ensemble financier chinois. Le segment des dérivés métaux fait défaut en Chine. Hong Kong ne peut pas entrer en concurrence directe avec Shanghai, en particulier du fait des introductions en bourse.

Il est également intéressant de relever le succès de l’introduction en bourse du numéro deux de l'intermédiation boursière, Haitong. Il y a deux mois la société n'avait pas pu être cotée.

Il y a en cela une certaine confiance dans le fait que la situation pourrait évoluer rapidement.
Trop de média ne regarde que le taux d’intérêt ou le taux de réserve obligatoire, ce qui est dommage car la méthode appliquée cette fois-ci par la Chine est beaucoup plus réfléchie, plus structurante que ne l’ont été les mesures de 2008.

Propos recueillis par Imen Hazgui