Interview de Jean-Michel Maingain : Directeur Général de Federal Finance Gestion

Jean-Michel Maingain

Directeur Général de Federal Finance Gestion

La BCE pourrait racheter des titres de dette émis par certaines entreprises

Publié le 13 Août 2012

Comprenez-vous le changement d’attitude de la Banque centrale européenne entre le mois de juillet et le mois d’août ? Alors qu’à l’issue de la conférence de presse du 5 juillet, l’institution avait signalé ne pas avoir discuté de l’adoption d’autres mesures non conventionnelles lors de la réunion du Conseil des gouverneurs, il en a été tout autrement lors de la réunion du 2 août.
Jean-François Kerbiriou*** : Depuis quelques semaines, les dirigeants de la zone euro semblaient de plus en plus enclins à utiliser les Fonds de secours pour intervenir sur les marchés.
Voyant des avancées du coté des Etats, la BCE s’est sentie plus rassurée pour annoncer la réflexion portant sur l’adoption de nouvelles mesures non conventionnelles et notamment sur le lancement d’un programme de rachats d’obligations souveraines.

Au sujet de ce programme. De quelle manière avez-vous accueilli la proposition formulée par Mario Draghi ?
Jean-Michel Maingain : La situation de la BCE n’est pas des plus faciles en raison des limites posées dans le cadre de son mandat.
Pour éviter le risque d’aléa moral, l’institution a exigé des Etats qu’ils prennent leurs responsabilités à deux niveaux : par la demande d’une aide auprès des Fonds de secours mis en place et par l’adoption des mesures d’austérité significatives pour rééquilibrer le déficit budgétaire. Ce n’est que si ces conditions sont remplies, que l’institution monétaire serait encline à utiliser des instruments non conventionnels en termes de politique monétaire.

Comprenez-vous la préférence donnée au MES par rapport au FESF ?
Jean-Michel Maingain : Le FESF est contraignant par son enveloppe et par ses modalités de refinancement. Le MES est davantage opérationnel. C’est une caisse commune qui dispose de moyens immédiats de financement des pays en difficulté.

On se dirigerait vers une intervention coordonnée du MES et de la BCE… sur le marché primaire ? Secondaire ?
Jean-François Kerbiriou : Ce qui compte c’est que les deux interviennent de manière coordonnée. Ensuite, que ce soit sur le marché primaire ou secondaire, la question a une moindre importance.

L’institution s’est engagée à ne racheter que des titres de dette de court terme. Le comprenez-vous ?

Jean-François Kerbiriou : L’achat de titres à court terme permet de limiter au maximum les attaques juridiques car cela est plus conforme à son mandat (transmission de la politique monétaire).
Cela maintient une pression sur ces les Etats à long terme pour continuer à faire les efforts nécessaires et à mettre les réformes pour rassurer les marchés.

Cela sera-t-il efficace pour faire reculer les taux obligataires de plus long terme ?

Jean-François Kerbiriou : Cela aura surtout un impact sur les taux courts, ce qui permettra aux pays visés de garder un accès pour se refinancer sur les marchés. Une pentification a d’ailleurs été observée depuis l’intervention de Mario Draghi à Londres. Les taux courts ont alors davantage baissé que les taux longs.

La participation de la BCE sera-t-elle selon vous conséquente ?
Jean-Michel Maingain : Selon Monsieur Draghi, une future intervention de la BCE devrait avoir un impact suffisant sur les marchés.

Les détails de cette intervention doivent être précisés. Deux questions doivent notamment être traitées, celle de la stérilisation des instruments rachetés, et celle de l’antériorité de la BCE découlant de ces investissements vis-à-vis des investisseurs classiques. Avez-vous un commentaire à faire à ce sujet ?
Jean-Michel Maingain : Il semble que la BCE s'oriente vers une non stérilisation de ses achats de dettes à court terme, ce qui devrait être positif pour les marchés. Même si cette non stérilisation conduit à une extension du bilan de la BCE qui a déjà fortement progressé, le risque de marché sous jacent est atténué par un niveau d’inflation relativement modéré.
Le danger actuellement est plutôt déflationniste compte tenu de la sévérité de la crise financière et de la dégradation de la conjoncture économique. Les capacités de production sont notablement sous utilisées. Le chômage bat son plein.
En outre, les opérations de refinancement de la BCE ne se traduisent pas par une forte augmentation du crédit au niveau de l’économie réelle.

Jean-François Kerbiriou :
La BCE pourrait abandonner l’antériorité qui inquiète les marchés. Cette antériorité explique notamment pourquoi le SMP n’ait pas aussi bien fonctionné par le passé. La BCE avait un statut senior par rapport aux autres emprunteurs.

Jean-Michel Maingain : Si elle demeure, l’antériorité serait défavorable aux banques et compagnies d’assurances qui sont jusque là les premiers pourvoyeurs de fonds des Etats. Elle pourrait ainsi constituer un frein au refinancement de ces Etats.

La BCE a fait référence dans le cadre des questions-réponses à l’adoption éventuelle d’autres mesures non conventionnelles : une autre opération de refinancement à long terme, des changements dans les règles du collatéral… Ces mesures pourraient-elles s’avérer opérantes pour faire baisser les taux obligataires de l’Espagne et de l’Italie ?
Jean-Michel Maingain : L’efficacité d’une autre opération de LTRO aujourd’hui serait limitée. Les deux précédentes opérations ont permis au marché interbancaire de se liquéfier et au marché du crédit de se maintenir à flot. Cependant, eu égard au ralentissement de la croissance et à l’affaiblissement de la demande, il ne semble pas impératif d’augmenter fortement la capacité des banques d’offrir du crédit.

Jean- François Kerbiriou : Mise à part une autre opération de LTRO et l’assouplissement des règles de collatéraux, nous entendons parler par d’autres maisons de rachats de titres de dette émis par certaines entreprises. Cela pourrait se comprendre, surtout dans les pays périphériques où de nombreux acteurs privés ont du mal à se refinancer sur les marchés.

Croyez vous in fine que l’Espagne et que l’Italie vont effectivement demander de l’aide au Fonds de secours européen ? Si oui dans quel timing ? Avec quelle ampleur ?
Jean-Michel Maingain : Il nous semble que l'Espagne n'ait d'autre choix que de celui de solliciter une aide. Le gouvernement espagnol semble de plus en plus ouvert à cette perspective.
La détérioration de la situation économique en Italie n’a pas vocation à aider au redressement des finances publiques. Toutefois l’Italie présente de meilleurs fondamentaux, avec notamment un excédent primaire. L’urgence est moins forte.

Cet épisode a-t-il changé des éléments dans votre stratégie d’investissement ?
Jean-Michel Maingain : Nous n’avons pas opéré de changement radical de stratégie. Nous avons pris un peu plus de risque à la marge tant sur les taux que sur les actions. Nous étions plus prudents que la moyenne au départ. Nous nous sommes rééquilibrés.
La baisse des taux court nous a obligés à allonger les échéances (de 3 mois à 6 mois) lorsque les prospectus nous le permettent afin de récupérer un peu de rendements.

Quid de votre propre exposition à l’Espagne et à l’Italie ?
Jean-Michel Maingain : Nous n’avions pas d’obligations souveraines espagnoles. Nous avons maintenu notre exposition aux obligations souveraines italiennes.
Nous avons en revanche maintenu nos positions sur des financières italiennes et baissé notre exposition aux banques espagnoles.

Comprenez-vous qu’après avoir cru à la suite de cette nouvelle, le marché s’inscrit à présent dans une tendance baissière ?

Jean-Michel Maingain : Pour le moment, seules des annonces ont été faites. Il faudra attendre pour que celles-ci se concrétisent dans les faits.
Su le plan économique, nous pouvons nous dire que si la BCE a décidé soudainement d’intervenir, cela signifie que la conjoncture n’est vraiment pas bonne.

Par la prudence affichée dans les propos tenus le 2 aout, certains observateurs estiment que Mario Draghi a fait marche arrière par rapport à la forte déclaration faite à Londres quelques jours plus tôt. En cela, la crédibilité de Mario Draghi, et de la BCE auraient été entachées. Pensez vous, que Mario Draghi aurait du se retenir de dire ce qu’il a dit à Londres ?
Jean-Michel Maingain : Je ne pense pas qu’il ait eu tort de faire cette déclaration. Il a simplement dit que la BCE ferait tout ce qu’il faut pour préserver l’euro. Il a précisé qu’il agirait dans le cadre du mandat de la BCE.

*** Jean-François Kerbiriou est stratégiste chez Federal Finance. 

Propos recueillis par Imen Hazgui