Interview de Dominique  Barbet : Responsable de la recherche économique de marché chez BNP Paribas

Dominique Barbet

Responsable de la recherche économique de marché chez BNP Paribas

Nous anticipons une baisse de taux de la part de la BCE dès le mois de septembre

Publié le 10 Juillet 2013

A deux reprises, lors de sa conférence de presse consécutive a la réunion mensuelle du Conseil des gouverneurs jeudi 4 juillet, et lors de son audition devant le Parlement européen mardi 9 juillet, le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a fait état d'une nouvelle ligne directrice s'agissant de l'évolution des taux. Qu'en avez-vous pensé ?
Mario Draghi a explicitement indiqué que les taux directeurs resteront a un niveau stable ou inférieur pour une période prolongée. Cette nouvelle information est révélatrice d'une certaine inquiétude non pas par rapport a la situation économique ou vis a vis du problème de financement de la zone euro mais eu égard aux effets induits par les changements de la politique monétaire de la Reserve fédérale américaine.

La toile de fond macroéconomique s'améliorant aux Etats-Unis, la Fed a décidé de préparer le terrain pour durcir sa politique notamment par la voie de la réduction de son programme de rachat massif de titres sur le marché.
L'anticipation de cette nouvelle orientation par les investisseurs a conduit, par le jeu normal de l'arbitrage des investissements et de l'interconnexion des marchés, à une hausse des taux a dix ans américains, et dans la foulée des taux a dix ans allemands. Or en Europe, la croissance n'est pas du tout aussi vigoureuse qu'aux Etats-Unis malgré quelques signes d'amélioration. La croissance est quasi nulle en Grande Bretagne et légèrement négative au sein de la zone euro.

Le comportement du compartiment obligataire européen n'est donc pas en ligne avec la situation économique en Europe ni avec l'attitude des banques centrales. C'est ce qui explique qu'aussi bien la BCE que la BoE (Banque centrale d'Angleterre) se sont efforcées d'ajuster leur discours pour opérer une certaine détente.

Mais l'impact de cet ajustement est limité ?
Il influence significativement la partie courte de la courbe des taux, autrement dit des obligations de brève maturité. Il n'a quasiment pas de répercussion sur la partie longue.

Un effet s'est fait ressentir sur le marché des changes...

L'euro s'est effectivement davantage déprécié, ce qui est un élément relativement favorable pour l'activité économique.

Certains économistes avancent que ces nouvelles lignes directrices reflètent un certain désespoir de la part de la BCE et de la BoE ?

Je ne pense pas du tout que ces nouvelles lignes directrices aient été motivées par un quelconque désespoir dans la mesure où elles ont été arrêtées dans un contexte positif de consolidation de la reprise aux Etats-Unis.

Je peux toutefois comprendre le scepticisme de certains observateurs par rapport aux difficultés de mettre en œuvre certains instruments évoqués par la BCE : les OMT (opérations monétaires sur titres consistant pour la BCE à racheter des obligations souveraines émises par des Etats membres de la zone euro en grande difficulté pour réduire leur coût de refinancement), les rachats d’ABS (opérations visant pour la BCE à se porter acquéreuse de pools de crédits octroyés à des petites et moyennes entreprises européennes en vue également de leur réduire leur coût de refinancement), ou la baisse du taux de rémunération des dépôts.

Ce scepticisme est d'autant plus important si on compare la capacité d'action de la BCE avec celle de la BoE. Cette dernière est en mesure de se porter acquéreuse d'un montant massif de titres de dette britannique sur le marché. Elle l'a déjà fait a plusieurs reprises par le passé et n'hésitera pas à le refaire en cas de besoin.

Comment expliquez-vous la différence notable de conjoncture entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis alors que les banques centrales ont procède à un assouplissement quantitatif conséquent dans chacun de ces pays ?
Le décalage conjoncturel s'explique essentiellement par le fait que la politique fiscal déployée n'a pas été la même. La consolidation a été bien plus forte au Royaume Uni qu'aux Etats Unis. Aussi le déficit budgétaire britannique s'est davantage contracte que le déficit américain.

Pensez-vous que le maintien des taux directeurs à un niveau bas pendant une période prolongée soit sans danger ?
Il y a en Europe un écart important entre le niveau de l'activité réelle et le niveau de l'activité potentielle. La capacité de production inutilisée est significative. Il y a une main d'œuvre abondante inemployée. Il n'y a par ces raisons pas de risque de surchauffe économique et donc pas de risque inflationniste.

Le fait que la ligne directrice ait été prise à l'unanimité est un élément important. Cela signifie que le gouverneur de la Banque centrale d'Allemagne ne s'y est pas opposé.

A quelle suite des évènements vous attendez-vous pour la BCE ?
Des discussions ont eu lieu a propos d'un abaissement du taux d'intérêt directeur. Nous pensons que cette baisse aura lieu à la rentrée.
En revanche, nous n’anticipons pas une diminution du taux de rémunération des dépôts des banques européennes auprès de la BCE même si sa probabilité a sensiblement progressé.

Qu’en est-il des OMT ?

Le déroulement des élections en Allemagne en septembre ainsi que l’adoption de la décision finale de la Cour Constitutionnelle allemande sur le sujet devraient diminuer les incertitudes et alléger les enjeux politiques liés à ces opérations. La Banque centrale européenne aura une plus grande marge de manœuvre pour les activer.

Vous aviez depuis un moment de fortes convictions sur une intervention accrue de la BCE et de la BoE ?

Tout à fait, nous en avons récolté les fruits.

Quelle allocation d’actifs sur le compartiment obligataire recommanderiez-vous ?
Nous sommes revenus sur les obligations des pays core de la zone euro. Nous attendons fin août début septembre pour revenir sur les obligations des périphériques malgré les propos rassurants de Mario Draghi. Nous entrevoyons encore beaucoup de volatilité, en raison de la récession en Espagne, de la crise politique au Portugal, des craintes autour de l’Italie.

Sur ce dernier pays, de quelle manière avez-vous accueilli la décision de S&P de baisser la note de l’Italie ?

Nous avons toujours affiché une certaine prudence par rapport à l’Italie. En particulier le gouvernement de coalition nous semble fragile. Nous pensons que de nouvelles élections auront lieu au printemps de l’année 2014.

Propos recueillis par Imen Hazgui