Interview de Alain Pitous : Directeur des gestions diversifiées chez Amundi

Alain Pitous

Directeur des gestions diversifiées chez Amundi

Cinq points d'ancrage sont identifiables pour les investisseurs sur les marchés financiers

Publié le 09 Octobre 2013

Quel regard portez-vous sur la paralysie politique qui règne aux Etats-Unis?
Nous ne sommes pas très enthousiastes quand a l'évolution de la situation, mais nous ne sommes pas non plus dramatiquement inquiets.
Nous pensons qu'un terrain d'entente finira par être trouvé par les différents protagonistes concernés. Les dernières discussions laissent entrevoir la possibilité d'aboutir, dans un premier temps, à un accord a minima sur un relèvement du plafond de la dette avant le 17 octobre. Par la suite les discussions devraient se poursuivre sur le fond pour consolider l'arrangement.
L'incertitude devrait donc demeurer encore un certain temps, probablement jusqu’ à la fin de l'année. Le maintien en suspension d'une certaine épée de Damoclès sera défavorable sur le plan économique pour la première puissance mondiale et inconfortable pour les marchés financiers.

Au delà de ce flou sur le front budgétaire, le manque de visibilité est alimenté par les tergiversations qui entourent le début de changement de la politique monétaire de la Reserve fédérale américaine et la variation des données économiques. La révision à la baisse par le FMI des prévisions de croissance aux Etats Unis pour 2013 et 2014 laissent planer le doute sur la solidité de la reprise .

En plus de l'incertitude liée à la configuration actuelle des Etats-Unis, d'autres risques sont perceptibles ?
De multiples autres risques existent effectivement en variété mais non en importance. Nous avons ainsi le risque d'un retour de la crise de la dette souveraine sur le devant de la scène. La problématique de la dette perdure dans les pays de la périphérie. Il n'est pas exclu que l'accentuation des tensions politiques dans un pays comme l'Italie remette sur le tapis le risque d'un dérapage par effet de contagion au sein de l'union monétaire.
La vulnérabilité du système financier chinois est également une source potentielle de perturbations sur les marchés. La problématique existe depuis longtemps. Elle est de plus en plus mise en exergue et a dernièrement été soulignée par la Banque mondiale. La croissance du pays a été grandement tirée par le crédit. A présent un processus d'assainissement a été enclenché rendant les emprunts plus onéreux et moins faciles d'accès.
Enfin, ce qui se déroule au Japon n'est pas très claire. Beaucoup d'effort ont été faits du côté de la relance monétaire et budgétaire. Peu a été fait s'agissant des reformes structurelles.

Malgré ces facteurs de risque et ces éléments d'incertitude, la trame demeure selon vous positive. Des points d'ancrage sont identifiables…
Nous pouvons distinguer au moins cinq points d'ancrage. En premier lieu, en dépit des préoccupations actuelles liées à la dette et au budget, notamment aux Etats-Unis, la croissance mondiale est attendue autour de 3.6% selon le FMI. Nous ne nous attendons pas à une rechute en récession même si nous ne connaitrons pas un rythme de croissance classique d'après crise.
La deuxième présomption est que les taux courts resteront a un niveau bas un peu partout durablement, au moins jusqu’ à fin 2014.
Par ailleurs, le risque systémique au sein de la zone euro qui suppose un éclatement de la zone est éloigné. Nous anticipons à ce jour davantage un rétablissement qu'une dégradation dans la région y compris dans les Etats membres les plus fragiles.
Un autre axe stratégique réside dans la diminution des troubles constatées au premier semestre dans les pays émergents. Nous sommes d'avis que nous avons touché le pic de stress et qu’à présent l'accalmie devrait graduellement s'installer. Les autorités des pays les plus attaqués, comme l'Inde, l'Indonésie, la Turquie, ont pleinement conscience des ajustements nécessaires à mettre en œuvre.

Ce panorama contrasté vous pousse à garder une forte conviction dans votre allocation pour les actions européennes ?
Les entreprises européennes sortent de l’ornière. Elles s’inscrivent dans une position propice pour aller de l’avant. La confiance s’est renforcée. L’embellie macroéconomique confirmée par la révision à la hausse de la croissance par le FMI, bien que modérée, devrait permettre de générer de meilleurs résultats financiers et inciter à l’investissement.

2014 sera principalement une année de stock picking sur ce segment ?

La crise a eu pour conséquence l’absence de réelle discrimination dans les phases de baisse comme dans les phases de hausse. L’écart entre les gagnants et les perdants au sein d’un même secteur a vocation à se creuser en 2014. Ainsi les entreprises dont la dette est faible, ou inexistante, qui ont adapté leur business model au nouvel environnement, qui ont crû leurs dépenses dans l’innovation, et ont su bien communiquer devraient tirer leur épingle du jeu. A l’inverse, les entreprises qui n’ont pas su se restructurer, qui affichent un niveau de dette important, des problèmes de gouvernance et qui ont perdu des parts de marché seront bien plus mises à mal.

En quoi consiste le reste de votre allocation d’actifs ?
Nous avons deux types de produits, les produits dont la performance est appréciée par rapport à un benchmark de référence et les produits dont la performance est appréciée en absolue. Dans les deux cas, nous avons une forte exposition sur les actions comparativement aux obligations. La proportion, dans un portefeuille équilibré serait de 55%.
Hormis les actions européennes qui représenteraient environ 30% du portefeuille, nous sommes également revenus sur les actions émergentes.
En revanche nous sommes neutres sur les actions américaines qui sont très fortement valorisées et neutres sur les actions japonaises.

Pour ce qui est des obligations, nous mettons l’accent sur les obligations d’entreprises à haut rendement, aussi bien européennes qu’américaines.
Nous avons également décidé il y a quelques jours de retourner sommairement sur la dette émergente en devise locale.
Nous nous sommes futilement repositionnés sur les taux gouvernementaux des pays cœurs, Etats-Unis et Allemagne, pour des considérations opportunistes eu égard au trend récent. Le taux à dix ans américain s’est replié de 3% au début du mois de septembre à 2,50%. Nous conservons sur le long terme un biais neutre, voire sous investi sur ces instruments.
Nous n’avons quasiment pas de monétaire du fait des faibles gains que cette classe d’actifs peut générer.

Quels sont les pays émergents que vous privilégiez ?
Nous sommes surtout dans une optique d’exclusion. Ainsi, nous évitons l’Inde et ses pays voisins malgré le rendement offert par les actifs et la dépréciation de la devise. Un véritable sujet structurel est posé dans cette économie. Nous sommes également prudents sur les pays d’Amérique latine.
Notre vision est en revanche plus constructive sur les pays d’Asie, comme la Malaisie, les Philippines…


propos recueillis par Imen Hazgui