Interview de Rachid  Medjaoui : Directeur adjoint de la gestion au sein de La Banque Postale Asset Management

Rachid Medjaoui

Directeur adjoint de la gestion au sein de La Banque Postale Asset Management

Nous n'anticipons pas de dérapage sur le front budgétaire américain

Publié le 14 Octobre 2013

Quel regard portez-vous sur la toile de fond macroéconomique dans les pays développés ?
Cette toile est relativement claire. Nous entrevoyons une croissance à la fois aux Etats-Unis, en Europe et au Japon bien qu'a un rythme différent. Pour la première fois depuis le début de la crise en 2008 nous pouvons avancer que cette synchronisation positive est durable. Nous n'aurons pas de faux départ à l'instar de 2011 où l'on avait observé un rebond de l'indice PMI puis une rechute.

Qu'est ce qui fait la différence cette fois-ci ?

Le changement de perception vis à vis de la zone euro. En 2011 nous devions faire face à une possible implosion de l’union monétaire. A présent ce risque est quasiment nul grâce à la Banque centrale européenne et l'OMT, cette dernière ayant créé un véritable choc de confiance. A présent très peu se posent la question de la survie de la zone euro.
Par ailleurs, nous avons eu une amélioration notable des conditions financières. Les taux d'intérêt des pays en difficulté, comme l'Italie ou l'Espagne, ont significativement reculé même s’ils restent à des niveaux élevés.
Autre élément notable, la Commission européenne et l'Allemagne ont consenti à un étalement dans le temps des politiques restrictives des Etats en reportant les objectifs de réduction de déficit.
Enfin, cette analyse de fin de récession est confortée par la progression des indicateurs avancés comme l'indicateur PMI ou l'indice IFO.
La reprise sera lente, graduelle, en proie a des incertitudes, mais elle devrait être durable sous réserve que des risques majeurs ne se concrétisent pas.

La même donne vaut pour les Etats-Unis ?
La reprise devrait se poursuivre de manière plus robuste encore outre Atlantique sauf incidence budgétaire ou géopolitique d'envergure.
Le secteur de l'immobilier, qui a été à l'origine de la crise de 2008, est un moteur qui devrait perdurer. La consommation pourrait afficher une bonne résistance grâce au retour progressif du marché de l'emploi. Le bilan des ménages a été grandement reconstitué. La dette qui s'est fortement contractée grâce notamment à l'affaiblissement des taux d'intérêt, est revenue à la moyenne du début des années 2000. Un nouveau cycle de crédit peut être entamé. Un enrichissement a été permis par l'augmentation, après leur chute, des prix des actifs immobiliers et boursiers.

Nous pouvons aussi augurer du déclenchement du moteur des investissements par les entreprises américaines. Celles-ci regorgent de cash. L'estimation avancée est de 1500 milliards de dollars. C'est un chiffre record. Après avoir massivement utilisé la liquidité disponible pour réduire la dette, accroitre les dividendes, se lancer dans des opérations de rachat d'actions, nous pouvons légitimement présager que les dirigeants seront davantage enclins à faire des dépenses d'investissement de capital sous réserve que la question budgétaire que l'on connaît actuellement trouve une issue favorable.
Enfin, un avantage compétitif non négligeable est celui du développement du gaz de schiste qui aboutit a des coûts énergétiques relativement bas. Le gaz est vendu entre 3,5 et 4 dollars le gallon lorsqu’il est commercialisé plus de 10 dollars en Europe et en Asie. Le baril de pétrole vaut 20 dollars d'un côté quand il est deux à trois fois plus cher ailleurs.

Quelles sont vos prévisions de croissance à ce jour ?
Nous tablons dans notre scenario central sur une croissance de plus de 1% dans la zone euro et de 2,5% aux Etats-Unis.

Quels sont les risques que vous entrevoyez ?
Nous n’escomptons pas de dérapage sur le front budgétaire américain. Nous sommes d’avis qu’un compromis finira par être trouvé pour relever temporairement le plafond de la dette, afin d’éviter un défaut technique et donner le temps de négocier un accord un peu plus abouti.
Nous ne tablons pas non plus sur une brusque hausse des taux longs américains. Certes, au mois de mai, la simple évocation d’une réduction à venir du programme d’achats massifs de titres de dette sur le marché, par le gouverneur de la Fed Ben Bernanke, a suffit à faire grimper les taux à dix ans de pratiquement 150 points de base en 4 mois, passant de 1,60% à 3%. Cela a été en relatif la plus forte variation observée dans l’histoire des taux américains.
Ceci étant, après le report de la décision de la Banque centrale en septembre de ne pas procéder à un changement de sa politique, et la nomination de Janet Yellen à la tête de l’institution, il y a fort à penser que la Fed fera très attention dans sa communication et son passage à l’acte pour empêcher un mouvement excessif. Au-delà de son impératif de ne pas affecter la reprise du marché immobilier et la vigueur de la croissance, elle aura surtout pour préoccupation de ne pas remettre en cause la réduction de la dette du pays. Or, une vive remontée des taux aurait pour effet de renchérir le service de la dette américaine, aujourd’hui proche de 17 000 milliards de dollars.

Cette envolée des taux pourrait toutefois avoir lieu, malgré les précautions prises par la Fed ?
C’est un risque que l’on ne pas exclure mais il ne figure pas dans notre scénario central. En revanche, des « accidents » obligataires, marqués par des tensions significatives mais transitoires des taux longs, sont tout à fait possibles.

Qu’en est-il des sources de danger propres à l’Europe ?
Même si la reprise perdure, le niveau de croissance ne sera pas suffisant pour espérer une diminution de la dette de certains pays d’Europe du sud. Il sera important que les taux d'intérêt se contractent encore. Le risque de dérapage dans un pays comme l'Italie n'est pas à exclure. Le premier ministre est parvenu à obtenir un vote de confiance du Parlement et à maintenir le gouvernement en place. Cependant la mise en œuvre des reformes semble gelée.
Il est à espérer qu’en cas d’accentuation des troubles, un soutien sera apporté par les partenaires européens plus solides, notamment par l’Allemagne. Le fait que le nouveau gouvernement de la chancelière Angela Merkel devra vraisemblablement composer avec le parti social démocrate SPD ou le parti des verts, au lieu du parti radical FDP, milite en ce sens.

Le Parlement européen aura une fenêtre serrée pour voter en faveur de l'instauration du Mécanisme fédéral de résolution des banques européennes. Dans le cadre où Si ce vote ne s'avère pas positif, l'efficacité de l'union bancaire pourrait se voir compromise par le résultat des nouvelles élections européennes qui doivent avoir lieu a l'été 2014. Rappelons que cette union a vocation à répondre à plusieurs finalités. Elle vise à éliminer la fragmentation financière dans la zone euro, a atténuer la pression des autorités nationales dans des dossiers sensibles, à couper le lien étroit qui existe entre le risque souverain et le risque bancaire.

Le Fonds monétaire international a pointé du doigt, dans son dernier rapport sur la stabilité financière dans le monde, le risque relatif au secteur bancaire en Europe du fait de l’accumulation de crédits non performants octroyés à des entreprises dans les pays du Sud. Qu’en pensez-vous ?
L'importance de cette problématique dépendra étroitement de l'ampleur de la reprise. Il y a deux ans les créances douteuses en possession des banques européennes étaient essentiellement le résultat de l'éclatement d'une bulle immobilière. A présent ce sont des créances douteuses "classiques" qui font suite à une sévère récession.

Dans le cadre de la mise en place de l'union bancaire, la BCE aidera à faire la lumière sur la vérité des prix et la qualité des bilans bancaires. Des stress tests ont été programmés au printemps 2014 pour les établissements qui entreront sous l'égide de sa supervision fédérale unique à compter de septembre 2014. A la suite de ces évaluations, les actifs surévalués verront leurs prix diminués, des provisions supplémentaires seront passées notamment, des recapitalisations devront être orchestrées en vue d’assainir le système bancaire et de permettre une reprise durable par l’actionnement du levier de la consommation domestique.

Quelle analyse faites-vous de la situation dans les marchés émergents ?

Historiquement la hausse du dollar et la hausse des taux longs américains a toujours engendré des problèmes au sein des pays émergents sur le plan du financement en capitaux étrangers.
Toutefois, il est à prendre en compte que d’une part, nous envisageons une évolution lente et graduelle des taux et de la devise américaine lente et graduelle, et que d’autre part la configuration des pays émergents a fondamentalement changé. Les réserves de change sont conséquentes. L’endettement extérieur a substantiellement baissé. Les financements se font de plus en plus en monnaies locales. La dette publique s’est amoindrie. Un processus de rééquilibrage a été entamé, singulièrement en Chine avec pour objectif un rebalancement de la croissance vers la demande domestique.
D’autres soubresauts sont concevables, surtout dans les pays qui présentent une balance des paiements déficitaire.

Selon vous, le risque géopolitique s’est considérablement réduit avec les dernières discussions entre les Etats-Unis et l’Iran ?
En cas de dégel officiel de la relation entre l’Iran et les Etats-Unis, nous pourrions avoir une baisse de la prime de risque géopolitique qui serait favorable à une modération des prix du pétrole et donc à la croissance des pays importateurs d’énergie.

De quelle manière ces considérations se traduisent-elles dans votre allocation d’actifs ?
Par une surpondération des actions par rapport aux obligations, et à l’intérieur des actions de l’Europe vis-à-vis des Etats-Unis.
Il est à noter que la performance à trois mois et à six mois du Cac 40 est meilleure que celle du S&P.
Le segment des actions européennes a connu des baisses plus limitées et des hausses plus fortes que celles des actions américaines.
Nous pensons que cette tendance va se poursuivre, en raison de la diminution du risque d’implosion de l’union monétaire, et de la volonté affichée par certains investisseurs internationaux de revenir. La pondération des actions européennes dans les portefeuilles n’égale pas à ce jour celle d’avant 2011. Nous pourrions voir arriver l’équivalent de flux très significatifs. Considérant que la liquidité actuelle des marchés actions n’est pas significative, le rebond pourrait être rapide.

Propos recueillis par Imen Hazgui