Interview de Philippe  Waechter  : Directeur de la recherche économique chez Natixis Asset Management

Philippe Waechter

Directeur de la recherche économique chez Natixis Asset Management

La BCE devrait de nouveau intervenir sur les marchés avant la fin du premier trimestre 2014

Publié le 15 Novembre 2013

Quel regard portez-vous vous sur la dernière statistique économique concernant la croissance au sein de la zone euro ?
Le chiffre avancé par Eurostat, d’une progression du PIB de 0,1% n’est pas surprenant au regard des indicateurs avancés (enquêtes) et de la production industrielle. Il corrige la bonne surprise du deuxième trimestre mais traduit aussi le manque de vigueur de l'activité dans la zone euro. Le redémarrage a du mal à s’accélérer.

Quelle vision avez-vous du soutien que peut apporter la Banque centrale européenne ? Celle-ci a abaissé à 0,25% son taux principal de refinancement la semaine dernière. Comment l’interprétez-vous ?
La BCE est inquiète de l’évolution de l’inflation. Sur un rythme annuel, celle-ci est tombée à 0,7% en octobre contre une cible proche de 2% pour l’institution monétaire. La menace de la déflation est réelle.

Ce risque de déflation vous semble-t-il important à ce stade ?
Oui. En témoigne ce qui se passe en Grèce, en Irlande, en Espagne où les taux d’inflation sont soit négatifs soit à 0.
Consécutivement au déploiement des politiques d’austérité en vue d’assainir les finances publiques, la demande intérieure a été significativement affectée et ne dispose pas d'une dynamique susceptible de créer des tensions sur l'appareil productif. Qu'il n'y ait pas de pressions à la hausse des prix n'est dès lors pas étonnant.
Il n y a pas d’élément perceptible, notamment sur le front du marché du travail et des salaires, qui aille dans le sens d’un rebond rapide de cette demande. Nous ne somme pas dans une logique où la situation pourrait spontanément s’améliorer.

Vous attendiez vous à ce que la BCE agisse dès ce mois-ci ?
Je l'attendais plutôt en décembre. La plupart des observateurs pensaient qu’il y aurait à l’instar de ce qui s’était passé sous le mandat de Jean Claude Trichet une certaine latence entre l’annonce et le passage à l’acte. Cela n’a pas été le cas et c’est très bien ainsi.

Pourrait-elle aller au-delà d’un taux de refinancement de 0,25% ?
Nous pouvons penser que c’est là un seuil.

Quelles autres mesures escomptez-vous à présent ?
Un troisième LTRO (Long Term Refinancing Operations) permettrait d’alléger les banques des pays du sud d’actifs de moins bonne qualité.
La baisse du taux de rémunération des dépôts des banques auprès de la BCE qui ferait en sorte que l’eonia tombe en dessous de 0,05% pourrait être l’arme adéquate pour faire baisser l’euro et faire en sorte que l’on n’importe pas systématiquement de la désinflation.

Les effets d’une telle décision pourraient cependant être déstabilisants ?
Effectivement, c’est un pari risqué. Nous ne savons pas comment pourraient réagir les banques européennes à une telle action. Les banques du sud pourraient se voir fragilisées. Les fonds monétaires pourraient être déstabilisés.
Cependant, si cela permet d’éloigner le risque de déflation et de stimuler la croissance, l’arbitrage pourrait valoir le coup. Présentement la BCE semble sérieusement envisager cette hypothèse. C'est cet aspect qui est nouveau et qui traduit aussi l'inquiétude des autorités monétaires sur la conjoncture.

A quel horizon ces deux instruments pourraient être utilisés ?

Le LTRO pourrait aller assez rapidement, avant la fin du premier trimestre 2014. La dernière opération qui a été lancée arrive à expiration en février 2015. Cela permettrait d’éviter une discontinuité.
Une analyse des actifs bancaires doit être réalisée au printemps pour préparer l’entrée de la BCE dans sa nouvelle fonction de superviseur à l’automne. La BCE ne voudra pas donner le sentiment que son opération de refinancement et cet examen sont liés. Il y a une muraille de Chine entre les deux mais autant ne pas prêter le flanc à la critique.
La baisse du taux de rémunération des dépôts pourrait avoir lieu plus tard en fonction de l’accentuation du risque de déflation.

Une sélection au niveau du nouveau LTRO vous semble-t-elle être une bonne chose ?

L’objectif d’un LTRO est de faire en sorte que les banques retrouvent des marges par rapport à la détention d’actifs non performants. Si la BCE définit des critères de sélection a priori, elle désignerait implicitement les banques fragiles et entamerait leur crédibilité sur les marchés. Cela ne serait pas très sain et pourrait même avoir des effets désastreux.
Je pense alors que l’uniformité doit primer pour ne pas conduire à des discriminations délibérées, libre ensuite à chaque établissement de décider de participer ou pas à la cette opération.

Certains s’inquiètent d’une BCE qui pourrait être dépassée par une surcharge de travail à laquelle elle doit faire face : maintien d’une stabilité de l’inflation, soutien de la croissance, et préparation de son nouveau rôle de superviseur du système bancaire européen avec la mise en œuvre de stress tests en amont ?
Absolument pas. Il y a un département dédié à la politique monétaire et un département dédié à la supervision. Une muraille de Chine existe entre les deux. Si des recrutements s’imposent pour assurer la supervision, ils se feront mais pas au détriment de la conduite de la politique monétaire.

La BCE ne pourra pas à elle seule améliorer la situation au sein de la zone euro ?
Il est certain que la BCE ne peut pas à elle seule tout faire. Elle est là pour faciliter les ajustements. Si ces derniers ne se font pas sous l'impulsion des gouvernements notamment, les effets des actions de la BCE seront limités sur l’activité et l’emploi.

Propos recueillis par Imen Hazgui