Interview de Dominique  Barbet  : Responsable de la recherche économique de marché chez BNP Paribas

Dominique Barbet

Responsable de la recherche économique de marché chez BNP Paribas

BCE : les principales caractéristiques de la prochaine opération de refinancement des banques européennes

Publié le 18 Novembre 2013

Quel regard portez-vous sur la baisse par la Banque centrale européenne de son taux de refinancement (taux refi) à 0,25% en ce début de mois ?
Cela fait quelque temps qu’une mésentente s’était dessinée entre les membres du Conseil des gouverneurs a propos de cette baisse. Finalement, les partisans ont fini par l’emporter.
Nous attendions une telle action soit ce mois-ci soit en décembre. Cette mesure était en tête de liste des possibles voies qu’emprunterait la BCE dans un horizon de court terme.
Cette baisse des taux est une bonne nouvelle en ce qu’elle témoigne de la préoccupation de la BCE vis-à-vis de la situation quasi déflationniste de la zone euro. Le taux d’inflation est négatif ou proche de 0 dans un certain nombre de pays membres.

En quoi pourrait-elle faire changer la donne ?
Cette mesure de politique monétaire ne va pas faire évoluer fondamentalement la conjoncture économique ni directement par son impact sur les taux d’intérêt qui étaient nettement en dessous du taux de refinancement et qui le resteront, ni indirectement par son impact sur le taux de change.

Cela n’a pas d’effet direct sur le risque de déflation mais cela rend compte d’une prise de conscience de ce risque par la BCE. On se rapproche du moment où l’institution monétaire devrait prendre des mesures plus efficaces contre ce risque.

Un taux de refi à 0,25%, est-ce une limite ?

Nous escomptons une nouvelle baisse du taux de refinancement d’ici la fin du premier trimestre, à 0,10%-0,15%. Elle devrait s’accompagner d’un maintien du taux de dépôt à 0 et d’une baisse d’un quart de point au maximum du taux de prêt d’urgence à 0,50%.

A quelle suite vous attendez-vous au cours des prochains mois ?
La baisse du taux de rémunération des dépôts à un territoire négatif est concevable mais non sans inconvénients. Elle pourrait avoir des effets secondaires non souhaitables, notamment au niveau des fonds monétaires.
Un arbitrage devra alors être fait par la BCE, surtout si le risque de déflation s’accentue. La BCE devrait choisir entre deux maux le moindre, à savoir une baisse du taux à un territoire négatif malgré les répercussions déstabilisatrices. Elle irait cependant très prudemment, et procéderait à une réduction de 0,5% à 0,10%, pour avoir un premier aperçu des retombées avant d’aller plus loin.

Pour beaucoup, l’établissement du taux de rémunération des dépôts à un niveau négatif sous-entend une logique de baisse du change et recouvre ainsi un caractère très politique. Pourquoi ?
Il y a tout d’abord une réalité historique. Il y a toujours eu une relation entre taux de dépôt négatif et un objectif taux de change. Lorsqu’une banque centrale décide d’abaisser son taux en dessous de 0 c’est très souvent parce qu’elle souhaite déprécier sa devise nationale. Même si l'argumentaire mis en avant par la BCE n'est pas celui du change, ce paramètre sera pleinement dans les esprits des banques commerciales et des investisseurs.
Actuellement le principal moteur de la dynamique européenne est le commerce international.
Avec une parité de 1.35, l'euro n'est pas compétitif. Mis a part l'Allemagne et les Pays Bas les autres Etats peinent a être concurrentiels.
Ensuite, un taux de rémunération des dépôts négatif décourage les établissements bancaires d'accepter les dépôts des épargnants.

Que voulez-vous dire ?
Les banques doivent en principe garantir le capital. Un taux négatif des dépôts signifie une fin de garantie du capital ipso facto. Soit les banques peuvent en vertu de la loi imposer un taux négatif à leurs propres clients, soit elles peuvent tout simplement refuser les dépôts. Les investisseurs internationaux ou les investisseurs de la zone euro sont davantage tentés de déposer en devises étrangères pour ne pas subir de pénalité. Ils deviennent vendeurs d'euros.

Quand voyez-vous ce taux déplacé en territoire négatif ?
Nous l'envisagerions plus probablement au début du deuxième trimestre. Pour l’heure, nous voyons dans notre scenario central une diminution du taux refinancement mais pas un taux de dépôt en territoire négatif.

Nous espérons que les indices pourront montrer des signes d'amélioration de la situation en termes d'activité économique, de chômage, d'inflation et de change suffisants pour ne pas contraindre la BCE à prendre cette décision. Ce d’autant plus si en toile de fond nous avons le raffermissement de la reprise aux Etats-Unis et une amorce de la baisse du programme d'achats massifs de la Fed qui conduiront a une hausse du dollar.

Quid d’un troisième LTRO (opération de refinancement de long terme des banques européennes) ?
Les banques vont devoir rembourser les prêts contractés lors des dernières opérations de refinancement de long terme lancées en décembre 2011 et février 2012. A l'instar du fiscal cliff aux Etats-Unis nous avons une sorte de monétaire cliff en perspective dans la zone euro.

Au delà du risque de déflation, le problème essentiel de la BCE est celui de la fragmentation avec des conditions monétaires souples dans certains pays et dures dans d'autres, en particulier dans les pays affaiblis de la périphérie. Le lancement d'un troisième LTRO s'impose.

C'est un acquis?
Cela me paraît inévitable.

Sous quelle forme et dans quel timing ?
Sous une forme assez comparable à celle des deux précédentes opérations. La maturité recherchée devrait être inferieure à trois ans. Une maturité de 1 an ne permettrait pas de gagner beaucoup par rapport aux échéances de 2015. Ce sera donc probablement du deux ans.
Le taux retenu devrait être supérieur au taux de refi, notamment si celui descend à 0,10% afin de décourager l'utilisation de cette aide par les banques qui n'en ont pas besoin et de ne pas alimenter une relation de dépendance du système bancaire a la liquidité fournie par la BCE.
Je ne pense pas qu’un taux fixe sera applicable sur une maturité aussi longue. Malgré la ligne directrice sur les taux directeurs, si la BCE choisit un taux fixe, cela l’enfermerai dans fourchette serrée dans pendant deux ans, ce qui est long. Si elle optait pour un taux fixe, il devrait être élevé, et ne serait pas de nature à résoudre le problème de la fragmentation.

Nous pourrions avoir un décalage entre l’annonce et la mise en place. L’annonce servira à rassurer les marchés. Plus le niveau de stress est élevé et plus l’annonce est susceptible d’arriver tôt. Dans notre scénario, cela nous parait plausible que l’allusion à l’opération soit faite au deuxième trimestre et le lancement au troisième trimestre.

Le vice-gouverneur de la Banque de France, Robert Ophèle doute du lancement d’un troisième LTRO, parce que cela stigmatiserait les banques les plus vulnérables ?
Il y a effectivement un risque de stigmatisation, mais celle ci est déjà là. Le volume des prêts interbancaires pour les banques espagnoles ou italiennes s’est considérablement amoindri.
Le LTRO pourrait d’autant plus mettre en lumière les difficultés de ces établissements, mais autoriserait une visibilité sur leurs ressources. A défaut, ces institutions en difficulté de refinancement seraient d’autant plus contraintes à réduire leur bilan et leurs opérations de crédit.

Monsieur Ophèle préconise comme autre solution de la part de la BCE, une stérilisation du portefeuille de titres d’Etat acquis par la BCE dans le cadre de son programme SMP, estimé à 250 milliards d’euros ?
Ce chiffre correspond à deux réalités différentes. Tout d’abord, les titres achetés dans le cadre du programme SMP, conçu au début de la crise de la dette souveraine pour soutenir le marché obligataire. L’encours est de 184 milliards d’euros. Il est stérilisé.
Les 57 milliards restants représentent les encours d’obligations bancaires garanties acquis par la BCE. C’est la seule partie d’assouplissement quantitatif réellement mise en œuvre par la Banque centrale. Cet encours qui n’est pas très important n’est pas stérilisé.
Ce faisant, la fin de la stérilisation ne change rien à l’équation. Ce sont les banques qui ont des liquidités excédentaires qui effectuent des dépôts auprès de la BCE. Elles peuvent les déposer à un taux compris entre 0 et 0,25% ou les conserver sur leur compte courant à 0, cela ne modifie pas la configuration. L’écart serait d’autant plus dérisoire si le taux de refi recule à 0,10%.
De plus, pour les Allemands, le fait de stériliser ce qui a été injecté à travers le programme SMP est un symbole important.

La fin de stérilisation n’aurait d’intérêt que si la BCE décidait d’entreprendre un véritable programme d’assouplissement quantitatif, à l’américaine, à l’anglaise ou à la japonaise, autrement dit si elle se mettait à acheter massivement des titres sur les marchés, comme à ce jour avec les obligations garanties...

Effectivement mais nous n’en sommes pas là du tout. La probabilité que ce quantitative easing ait lieu est faible.

Comment appréhendez-vous la nouvelle charge de travail de la BCE dans le cadre de son rôle de superviseur du système bancaire ? D'aucuns craignent que cette nouvelle charge n'influe d'une manière ou d'une autre sur la conduite de la politique monétaire. Qu'en pensez-vous ?

Cette inquiétude n’est pas fondée. Il est prévu que la BCE embauche du personnel supplémentaire et se dote d’équipements additionnels pour prendre en charge cette nouvelle fonction. La BCE pourra également s’appuyer sur les ressources des banques centrales nationales.
A l’intérieure même de la BCE, les deux activités sont bien distinctes. En aucun cas, la surveillance des banques et la prévention d’une nouvelle crise financière ne peut affecter la bonne conduite de la politique monétaire et la recherche de l’atteinte des objectifs fixés dans ce cadre par la BCE.

Propos recueillis par Imen Hazgui