Interview de Philippe Waechter : Responsable des études économiques chez Natixis Asset Management

Philippe Waechter

Responsable des études économiques chez Natixis Asset Management

Trois principaux éléments devraient aider à ramener l'accalmie sur le marché des actions européennes

Publié le 05 Janvier 2015

Quel regard portez-vous sur les mouvements erratiques que l’on relève sur les marchés financiers depuis plusieurs semaines ?
Nous assistons à un changement de point de vue et d’attitude de la part des investisseurs. Le déséquilibre sur le marché du pétrole, traduisant une demande moins dynamique notamment depuis l’inflexion de la croissance chinoise, se heurtait à l’idée que l’Arabie Saoudite maintiendrait son rôle de régulateur en ajustant sa production. Cela n’a pas été le cas. La probabilité de plus en plus forte que l’Arabie changeait d’attitude, pour des raisons liées à l’équilibre politique au Moyen-Orient, a été un élément clé de la baisse du prix de l’énergie.

Par conséquent, dans certains pays fortement dépendants des revenus pétroliers, la situation économique et financière est devenue plus difficilement gérable. Cela a été typiquement le cas en Russie.

Face à l’affaiblissement de la dynamique des pays émergents qui a vocation à persister durablement à la fois du fait de la disparition de la manne financière que générait le pétrole pour les pays producteurs mais également en raison du rééquilibrage du modèle de développement de la Chine, un grand nombre d’investisseurs ont revu leur copie.

Que voulez-vous dire ?

La chute du prix du pétrole se traduit par un important transfert de capitaux des pays producteurs vers les pays consommateurs de pétrole et à une inversion de la hiérarchisation des économies dans la liste des investissements.
Les dépenses en capex qui ont été significatives dans le secteur pétrolier mettront à mal, à court terme, la rentabilité des sociétés pétrolières occidentales. Cependant à moyen terme, la libération du pouvoir d’achat induite par le recul du cours du baril devrait avoir un effet bénéfique sur la consommation dans les pays industrialisés et générer un cercle vertueux dans d’autres secteurs d’activité.
Les variations découlent donc de l’adaptation dans les portefeuilles de l’ampleur de l’exposition ainsi que du renforcement de la discrimination dans l’univers des émergents.

En 2015 et 2016, le leadership sera occupé par les pays occidentaux au détriment des pays émergents ?
Il y a de fortes chances. Ce leadership est robuste. En témoigne les taux à dix ans en dessous de 1% en Allemagne et légèrement au dessus de 2% aux Etats-Unis qui reflètent l’effet refuge des pays occidentaux.

Quid plus spécifiquement de la zone euro ?
Si l’on parvient à éviter les grandes erreurs en matière de conduite de politique économique dans les pays qui comptent au sein de la zone euro, nous devrions avoir une robustesse de la reprise au sein de la zone euro.

Qu’est-ce qui pourrait ramener l’accalmie ?
La baisse de l’euro reflétant l’anticipation des taux d’intérêt très bas pendant très longtemps, la baisse profonde et durable du prix du pétrole et la politique encore plus accommodante de la BCE (l'annonce d’un programme de quantitative easing le 22 janvier apparaît très probable) vont permettre à la zone euro de changer de trajectoire et de retrouver une dynamique plus solide.

Le risque de dérapage émanant de la Russie ou de la Grèce vous semble-t-il important ?
Je ne vois pas de risque de dérapage provenant de la Russie. C’est un pays essentiellement basé sur le développement de ses matières premières. Il se retrouve ainsi vivement fragilisé face à la décroissance des prix. Les réserves de change sont toutefois conséquentes. Des mesures ont été prises pour apaiser les tensions avec l’Ukraine et éviter de nouvelles sanctions, voir entrainer la levée de sanctions, de la part de l’Europe et des Etats-Unis.

Pour ce qui de la Grèce, nous sommes pour le moment dans une posture préélectorale habituelle. Je ne crois pas à une sortie du pays de la zone euro. Le débat devrait cependant être de nouveau ouvert s’agissant de la restructuration de la dette grecque. Nous pouvons craindre que la montée du parti extrémiste en Grèce et les revendications avancées d’une marche arrière sur les mesures d’austérité imposées favorisent une tendance similaire dans d’autres grands pays membres de la zone euro, particulièrement en France et en Espagne.

C’est ce qui vous amène à souligner l’impératif de favoriser les conditions de la croissance au sein de la zone euro ?

Le regain de croissance amenuisera les revendications et devrait permettre de réduire le risque d’instabilité politique en zone euro. Cela ne signifie pas pour autant que la construction européenne ne doit pas continuer. Il y a pas mal de chose à modifier pour une plus grande intégration politique afin de limiter les risques d’exclusion comme il en est fait état en ce moment pour la Grèce à la veille des élections générales.

Les deux principaux éléments de soutien à cette croissance devraient être la dépréciation de l’euro et le reflux du prix du pétrole. Avez-vous des prévisions sur ces deux sources d’impulsion ?
Ces deux facteurs sont clairement les clés de la croissance dans la zone euro cette année. La parité euro dollar aujourd’hui à 1,19 pourrait tomber à 1.15, voire en dessous. Notre scénario central est celui d’un maintien du prix du baril de pétrole autour de 60 dollars.

Il vous semble que les surprises positives sur le plan de la macro devraient l’emporter sur les doutes et les inquiétudes sur le front politique ?

Effectivement. Si l’on a le sentiment que la croissance reprend de l’allure, que l’on constate que la BCE prend le taureau par les cornes, c’est très probablement ce qui devrait se passer. La condition à cela, néanmoins, serait que les Etats membres de la zone euro ne profitent pas de l’embellie perceptible pour appuyer sur la pédale de l’austérité et adopter de nouvelles mesures qui nuiraient à la progression du PIB. Ce n’est qu’une fois que le redécollage sera assuré, que la bouffée d’oxygène sera absorbée, que l’assainissement des finances publiques pourra gagner en intensité et les réformes structurelles pourront se mettre en place mais pas avant.

Propos recueillis par Imen Hazgui