Interview de Catherine Garrigues : Responsable de la gestion actions européennes chez Allianz Global Investors

Catherine Garrigues

Responsable de la gestion actions européennes chez Allianz Global Investors

Un secteur décoté qui pourrait tirer son épingle du jeu en 2016 est le secteur bancaire

Publié le 17 Décembre 2015

Quel regard portez-vous sur la vive correction des valeurs « value » cette année sur le marché des actions européennes ?
La préférence donnée à un style ou à certains secteurs fait partie de la vie du marché. Ces préférences varient au cours du temps. On ne peut les comprendre qu’à posteriori.
En l’occurrence, cette année, les valeurs values ont subi fortement l’impact négatif d’un nouveau repli du cours des matières premières, notamment du pétrole, repli symptomatique d’un ralentissement plus important que prévu de la croissance économique mondiale et plus particulièrement en Chine.
La gestion value englobe des valeurs peu chères, au regard du ratio cours sur actif net, qui exercent dans leur grande majorité des activités étroitement dépendantes de l’évolution du cycle économique : les utilities, les compagnies pétrolières, les compagnies aériennes, les mines, les constructeurs automobiles…
Or, les incertitudes macroéconomiques ont poussé les investisseurs à éviter ces valeurs pour mettre l’accent sur les sociétés qui offrent une plus grande visibilité sur leurs résultats futurs.

La décote attribuée à nombre de ces sociétés est selon vous pleinement justifiée...

Si l’on prend, par exemple, le cas d’une société comme Engie. La valeur du titre est inférieure à celle qui prévalait en 2009. Tandis qu’en parallèle une société comme L’Oréal a vu la valeur de son action presque tripler. Engie peut de prime abord apparaitre plus intéressant que L’Oréal en raison de sa sous-performance. C’est sans tenir compte du fait que la baisse du cours de bourse s’est faite concomitamment à la diminution des profits. La question intéressante à se poser est celle de savoir quelle croissance Engie sera en mesure de générer à l’avenir. Il est très difficile de répondre à cela car plusieurs paramètres que l’on ne peut maîtriser sont à prendre en compte : l’évolution du prix du gaz et de l’électricité sur le marché libre, l’état de la demande, l’évolution des capacités en Europe, le niveau de l’eau dans les barrages au Brésil….

D’aucuns s’attendent à une inflexion de la gestion value l’année prochaine dans un contexte de normalisation de la politique monétaire outre Atlantique qui ne sera pas sans conséquence ailleurs dans le monde ?

Je ne suis pas d’accord avec cette hypothèse. Habituellement, une remontée des taux directeurs par une banque centrale coïncide avec une accélération de la croissance qui fait suite à une période de récession. La Banque centrale agit parce que l’inflation réapparait avec la croissance économique et pour éviter un emballement de la machine.
La réorientation des investisseurs vers les valeurs value est alors avant tout justifiée, non pas par la hausse des taux directeurs de la Banque centrale à proprement parler, mais par le contexte dans lequel se fait cette hausse : un raffermissement de la reprise économique et de l’inflation.
Nous ne sommes pas dans cette situation cette fois-ci. Au regard de l’état de la croissance, nous pouvons admettre que la Banque centrale américaine aurait dû relever ses taux il y a bien longtemps. Le PIB américain a retrouvé des couleurs depuis 2010. Le niveau historiquement bas du taux de chômage ne date pas d’hier. Cependant, la Fed a fait le choix d’attendre et a décidé d’agir alors que l’économie américaine est plutôt en perte de vitesse, du fait de l’appréciation du dollar et de l’effondrement du baril. Ainsi, la Fed n’est pas intervenue pour prévenir un dérapage de la machine américaine, ou pour juguler une inflation trop forte, mais pour se reconstituer une marge de manœuvre, afin de pouvoir soutenir de nouveau l’économie des Etats-Unis à la suite d’une nouvelle éventuelle récession.
En cela cette hausse des taux n’est pas conforme à celle que l’on a connue ces trente dernières années, parce que la dernière crise que les Etats-Unis ont traversée en 2008 a été atypique et que la politique monétaire qui a été conduite a été totalement décorrélée de la réalité fondamentale, au point que l’on a pu observer des taux réels négatifs.
A présent, si, pour une raison insoupçonnée, la croissance économique aux Etats-Unis venait à s’accélérer, entrainant une vive remontée du niveau de l’inflation, et contraignant la Fed à intensifier son rythme de hausse des taux, rien ne garantit qu’une éventuelle rotation durable des investisseurs vers les titres value se dupliquerait de ce côté-ci de l’Atlantique.

Est-ce à dire que rien ne pourrait permettre à la gestion value sur le marché des actions de la zone euro de reprendre véritablement un élan en 2016 ?

Ce qui pourrait influer sur la gestion value sur le marché des actions de la zone euro, c’est la variation des prix des matières premières, et surtout du pétrole. Mais là aussi, même si nous constations une variation très haussière, il n’est pas dit qu’elle stimulerait massivement la gestion value dans son ensemble. Les valeurs pétrolières constituent 4,5% du marché des actions de la zone euro. Si l’on compte les utilities productrices d’énergie, on peut ajouter 2%. Ce ne sont pas de telles proportions qui seront a priori déterminantes.

Ne pensez-vous pas que l’accentuation du risque géopolitique conçu dans sa globalité pourrait déclencher une nouvelle envolée du cours du pétrole et stimuler le cours de bourse des valeurs pétrolières ?

Il y a lieu d’être extrêmement prudent avec l’appréhension du risque géopolitique. Il est indéniable que ce risque a augmenté au cours de cette année. Pour autant, le prix du baril a poursuivi sa baisse. Je pense que l’on a sous-estimé le potentiel de développement du pétrole de schiste aux Etats-Unis. A ce jour, les Etats-Unis sont parvenus à obtenir une production pétrolière plus importante que celle de l’Arabie Saoudite. En outre, les progrès technologiques sont tels qu’ils font baisser rapidement le coût d’extraction du pétrole par les opérateurs de cette industrie. Celui-ci se situait à 70 dollars le baril. Il est descendu entre 50 et 45 dollars le baril suivant les régions de production américaines. Ces différents éléments sont de nature à alimenter le déséquilibre qui s’est creusé entre l’offre et la demande de pétrole. La dernière phase de baisse du prix du baril depuis la réunion de l’OPEP de début décembre, à l’issue de laquelle tout plafond de production a été abandonné, est très importante. Le Brent a perdu plus de 10% de sa valeur.
Il faut enfin garder à l’esprit que le marché du pétrole est très financier. Le poids des transactions des sous-jacents physiques dans la formation du prix du baril est marginal. L’essentiel est déterminé par des positions de couverture, des positions de spéculation. Cette dimension financière complique l’exercice de prévision du cours du baril à court terme.

Peut-on escompter un cours du baril durablement beaucoup plus bas qu’il ne l’est actuellement ?

Je ne le pense pas. A un cours de 35 dollars le baril, il n’y a plus beaucoup d’acteurs pétroliers qui soient rentables. Une contraction de la production est vraisemblable, notamment aux Etats-Unis, ce qui permettrait un certain retour à l’équilibre sur le marché.
Une réflexion s’imposera alors sur un positionnement sur les majors pétrolières qui, alors qu’elles ont été très secouées en bourse, ont su faire preuve d’une certaine réactivité en abaissant leurs dépenses en capex et en procédant à des économies de coûts. Il est encore trop tôt pour cela.

Un secteur « value » qui pourrait tirer son épingle du jeu est le secteur bancaire ?

Effectivement. Je pensais déjà que, cette année, les valeurs bancaires allaient bien performer. Finalement elles se sont avérées décevantes. Aussi, nous avons changé notre fusil d’épaule à partir de cet été. Ce qui pose problème, c’est le niveau très bas des taux d’intérêt qui ne permettent plus de réaliser des marges intéressantes.
Un point cependant positif dans le secteur bancaire européen est son caractère moins risqué. Le nettoyage des bilans, sous l’impulsion de la mise en œuvre des nouvelles exigences réglementaires sur les fonds propres, la montée en puissance de la désintermédiation, associées à la supervision unique pratiquée par la BCE, ont amené les banques européennes à être beaucoup moins risquées qu’elles ne l’étaient. Il ne semble pas que le marché ait pris toute la mesure de la réduction de la prime de risque.

Quels autres secteurs value pourraient être sollicités pour leur caractère attractif ?

Peut-être la chimie, ou le ciment.

Le marché se caractérise par une volatilité exacerbée qui a vocation à perdurer tout au long de l’année prochaine. Pensez-vous que les fortes fluctuations pourraient amener des valeurs de croissance à devenir décotées ?

Les véritables valeurs de croissance sont abondamment plébiscitées par les investisseurs, car il s’agit de business models uniques. C’est la raison pour laquelle elles se paient très cher., c’est-à-dire plus de 30 fois les bénéfices des 12 prochains mois, comme par exemple Essilor ou Inditex. Elles seront toujours très chères, sauf en cas de krach boursier.

Propos recueillis par Imen Hazgui