Interview de Bernard  Aybran : Directeur de la multigestion chez Invesco Asset Management

Bernard Aybran

Directeur de la multigestion chez Invesco Asset Management

Implosion de la zone euro : il y a parfois des solutions auxquelles personne n'a intérêt mais qui finissent pas aboutir

Publié le 21 Décembre 2011

Qu’avez-vous pensez du dernier sommet de Bruxelles et de l’accord qui en a résulté ? Quelles failles et quelles forces avez-vous identifié ?
Plus le temps passe, moins l’on sait ce sur quoi on s’est mis d’accord. Ce qui ressort des annonces du dernier sommet de Bruxelles, c’est que nous devrions avoir un texte finalisé d’ici le mois de mars au plus tard.
Il semble que nous ne nous dirigions pas vers une modification du Traité.
Cependant nous devrions tout de même avoir une obligation de ratification pays par pays. Là-dessus certains dirigeants ont exprimé la nécessité d’une validation préalable par le Parlement national ou par référendum, dans le cas de l’Irlande.
On se retrouve alors de nouveau face à une déconnexion absolue de calendrier entre le politique et le marché.

Nous devrions assister dans une certaine mesure à un retour aux sources aux critères de convergence pour la dette et le déficit qui ont été définis il y a une vingtaine d’années. Les sanctions en cas de non respect de ces critères devraient être plus automatiques. Cependant là aussi, nous n’avons pas de claire visibilité sur le sujet.

Est-ce que les différents éléments qui ont été annoncés sont de nature à rassurer durablement les marchés ?

La réaction du marché a été comparable à celles qui ont suivi chacun des derniers sommets, considérés comme «sommet de la dernière chance». Nous avons eu quelques séances d’excitation, puis le soufflet est vite retombé.

La grande nouveauté en apparence réside dans l’intervention du FMI ?
Jusque là on mettait en avant le FESF qui aurait vocation à voir sa capacité renforcée. Cette fois ci, se rendant compte que le FESF ne fonctionnait pas comme escompté, et que sa notation était elle-même remise en question, on a du faire appel à un intervenant extérieur, le FMI.
L’idée tient la route. La zone euro est contrainte à faire appel à de l’aide de l’extérieur. Elle ne peut pas se financer elle-même sans risque inconsidéré.

Pour le moment, le FMI n’agit qu’en tant qu’homme de paille…
Les 200 milliards d’euros avancés de ressources supplémentaires de la zone euro pour abonder le FMI viendraient largement de crédits octroyés par les banques centrales nationales.
45 milliards devrait provenir de la seule Bundesbank.
On reste donc pour l’heure dans un circuit fermé où la dette de certains Etats de la zone euro sera financée par une autre dette d’autres Etats de la zone.
Nous pouvons à ce stade penser que les contributions des intervenants extérieures seront marginales. En cela la Banque du Japon a clairement signalé qu’elle participerait uniquement si elle avait auparavant des garanties.

Quels types de gages sont réclamés par la Banque de Japon ?

La BoJ n’a pas donné de précisions. Elle a juste mentionné qu’elle souhaitait des engagements fermes de la part des dirigeants européens quant aux réformes envisagées.

Pensez vous que le feu vert donné par la Banque du Japon conditionnera la participation des autres intervenants extérieurs, notamment des autres pays émergents…
Non, je ne pense pas. Les intérêts sont relativement différents. Ceci étant,
il est évident que ni la Chine ni la Russie, ni même le Japon n’ont intérêt
à ce que la zone euro se disloque.

Vous mettez en évidence un élément nouveau dans l’architecture de la zone euro. En cela le fait que la Bundesbank ait demandé explicitement au Bundestag l’autorisation d’octroyer les 45 milliards d’euros évoqués n’est pas un fait anodin…
Jusque la Bundesbank se présentait comme indépendante du pouvoir politique.
Pour la première fois de son histoire, cela n’a pas été le cas. La raison sous jacente à ce revirement réside dans le fait que pour la Bundesbank cette opération fait courir un risque de défaut aux contribuables allemands.

C’est là un changement majeur dans la gouvernance de la zone euro.

Ce positionnement de la Bundesbank vis-à-vis du pouvoir politique ne devrait pas être sans influence sur la BCE ? 
On sait que le modèle suivi par la BCE est celui de la Bundesbank, donc on peut penser que la réponse est positive.

Pour vous, un élément encourageant dans l’évolution de la BCE réside également dans les opérations décidées pour venir en soutien au secteur bancaire…
Les opérations de refinancement sur le long terme dernièrement annoncées par la BCE constituent des changements structurels non négligeables. Cela participe au changement de gouvernance dans la zone euro.
La question est ces changements interviennent-ils à temps, autrement dit le marché saura-t-il se montrer patient jusqu’à ce que de nouveaux pas en avant soient effectués.

A quelle évolution de la politique monétaire vous attendez-vous, s’agissant de la variation du taux directeur, du programme de rachat des titres de dette des Etats, de l’aide apportée au secteur bancaire ?
Le taux directeur peut encore baisser. Cependant nous ne sommes pas certains de l’efficacité d’une telle mesure.
Pour ce qui est du quantitative easing, on a l’impression que le nouveau responsable de l’institution Mario Draghi est moins catégorique sur le sujet que son prédécesseur Jean Claude Trichet. Ce quantitative easing serait un soutien majeur aux marchés financiers de par la liquidité injectée, comme on a pu le voir aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, même s’il ne serait qu’un soutien potentiel pour les économies.

Mario Draghi n’a pas cependant cessé de répété qu’il avait les mains liés vis-à-vis du Traité et qu’il se devait pour préserver la crédibilité de la BCE de respecter la lettre et l’esprit de ce Traité ?

Il n’est pas pour autant impossible que la mission de la BCE évolue. Les statuts peuvent changer.

L’aide apportée par la BCE au secteur bancaire vous semble-t-elle suffisante ?
Les banques sont des intervenants déterminants sur les marchés financiers et pour le financement des économies. Or une solution privilégiée par les banques pour augmenter leur solvabilité est de diminuer la taille de leur bilan.
La BCE est intervenue sur trois points clé, les opérations de refinancement, les collatéraux et le taux de réserve obligatoire. C’est un soutien non négligeable.
A présent, il n’est pas exclu parce que la situation reste particulièrement tendue, que la BCE soit amenée à élargir son aide.

Quid de vos perspectives sur le plan économique. Le spectre de la récession semble de plus en plus planer sur la région...
Nous nous attendons effectivement à vivre une conjoncture difficile comme l’indique l’Insee, le FMI ou encore la BCE. Cet essoufflement sur le Vieux continent renforcé par les mesures d’austérité quasiment dans tous les pays européens devrait cependant être quelque peu atténué par une relative résistance de l’économie américaine et des économies émergentes.

Les différentes mises en garde des agences de notation concernant la dégradation de la notation d’un certain nombre de pays de la zone vous inquiètent-elles ?
Nous avons un précédent dans la perte du triple A, les Etats-Unis. Leurs taux d’intérêt sont aujourd’hui plus bas qu’avant la perte de ce triple A.
Certes la France, l’Italie, l’Espagne, de même que l’Allemagne ne sont pas les Etats-Unis. Ils n’ont pas leur propre devise. Ils n’ont pas un marché obligataire aussi profond que le marché obligataire américain.
Cependant passer du triple A au double AA+ ou au double AA n’est pas un changement radical de nature à bouleverser le comportement des investisseurs. Ce d’autant plus si la dégradation ne concerne pas un pays isolé mais plusieurs pays en même temps.

Vous attendez-vous à de nouveaux plans d’aide pour des pays de la zone : Irlande, Portugal, Espagne, Italie ? En a-t-on fini avec la Grèce ?

Je ne crois pas que l’on en ait terminé avec la Grèce dans la mesure où plus le pays a une politique restrictive et plus il un niveau de dette qui augmente.
Plus que de plans d’aide, je parlerai de mesures de soutien pour l’Italie et l’Espagne. Typiquement nous pourrions avoir des formes d’assurance, des garanties, données aux investisseurs pour les inciter à acquérir des titres d’emprunt de ces deux Etats ou une intervention plus marquée de la BCE, du FMI ou du FESF pour se porter acquéreur des obligations émises et faire en sorte que le cout de la dette ne soit pas trop pénalisant.

La probabilité du risque d’implosion de la zone est elle élevée à votre avis ? Pourrait-elle devenir plus importante ? Dans quelles circonstances ?
La probabilité du risque d’implosion de la zone est aujourd’hui inférieure à 50%. Cependant le FESF, pour préparer sa prochaine émission obligataire, a établi un prospectus dans lequel il mentionne comme facteur de risque le fait que l’euro ne soit plus une devise légale.
Personne n’a intérêt à voir la zone euro imploser que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la zone. Mais il y a parfois des solutions auxquelles personne n’a intérêt mais qui finissent pas aboutir.

Quelle allocation privilégiez-vous en conséquence ?
Nous restons à l’écart des actifs bancaires même s’ils sont très rémunérateurs. La dette bancaire rapporte plus de 15%. Mais nous n’avons pas de visibilité dans quelles conditions nous allons récupérer notre mise.
Beaucoup d’établissements ont récemment racheté leur dette avec une forte décote, et des investisseurs ont perdu beaucoup d’argent de ce fait.
Notre exposition actions est centrée sur les valeurs émergentes, et américaines non cycliques , en particulier technologiques.
Dans l’obligataire nous avons deux grandes classes d’actifs, des emprunts d’Etat diversifiant pour éviter que nos lignes aillent dans le même sens en même temps. Nous sommes investis sur le bund allemand, les titres anglais et les titres américains. Ce n’est clairement pas l’aspect rendement qui nous intéresse sur ces titres, mais l’aspect protection. Nous sommes en dehors des OAT français. Par ailleurs, nous sommes exposés à la dette émergente libellée en dollar, mais très peu à la dette libellée en devises émergentes, plus soumises aux aléas de l’aversion au risque. Nous avons par ailleurs près du quart de nos portefeuilles patrimoniaux conservé sur des supports monétaires très courts.

Propos recueillis par Imen Hazgui