Interview de Philippe Crevel : Secrétaire général du Cercle des Epargnants

Philippe Crevel

Secrétaire général du Cercle des Epargnants

Pourquoi le gouvernement Hollande a-t-il mis autant l'accent sur le développement du livret A ?

Publié le 09 Octobre 2012

Quel regard portez-vous sur les mesures récentes adoptées par le gouvernement concernant la fiscalité du patrimoine ? Comprenez-vous la préférence donnée à une hausse des impôts plutôt qu’à une baisse des dépenses publiques ?
Le choix de la fiscalité est à mon sens justifié par au moins deux considérations. Tout d’abord, il est toujours plus facile de se servir du levier des impôts surtout dans un pays qui sait prélever comme la France que de déterminer quelles dépenses supprimer. Il y a dans le pays un fort rendement fiscal contrairement à ce qui se passe en Grèce ou en Italie où il y a de la perte en ligne. Quand on décide 100% de hausse d’impôt, 99% entrent dans les caisses.
Par ailleurs, la France doit faire face à deux problèmes majeurs : un déficit public et un déficit commercial. Pour réduire ce déficit commercial, le moyen le plus efficace est de réduire la consommation des ménages. S’il y a moins de consommation, il y a moins d’importations et donc moins de déficit commercial. Augmenter les exportations est beaucoup plus dur et s’inscrit sur le long terme.
Pour amener les Français a moins consommer, il faut augmenter les impôts pour diminuer le pouvoir d’achat. Tous les plans de rigueur réalisés ces dernières années, pour diminuer le déficit commercial ont suivi cette voie. Le gouvernement ne le dit pas parce que cela n’est pas politiquement correct.
En s’attaquant au patrimoine, il faut reconnaître au pouvoir qu’il est en phase avec ses promesses ce qui ne signifie pas qu’il a économiquement raison.

D’aucuns déplorent la volonté affichée par le gouvernement d’aligner la fiscalité des revenus du patrimoine sur la fiscalité des revenus du travail. Qu’en pensez-vous ?

La formule est facile cependant la parité en matière de traitement est difficile à concevoir. Selon moi nous comparons des choses qui ne sont pas comparables.
En outre, l’épargne est souvent le fruit du travail. Elle subit un prélèvement en amont. Taxer l’épargne revient à taxer deux fois le travail.

Au delà de l'idée d'équité qui semble prévaloir dans cette réforme, une distorsion est créée entre l'épargne longue et l'épargne courte…

Les dividendes des actions, qui servent au financement de l'économie, vont être lourdement taxés.
Parallèlement, la poche défiscalisée de l'épargne courte-constituée du livret A et du livret de développement durable-est élargie. Le plafond sur le livret est relevé à 19 125
euros tandis que celui du LDD a 12 000 euros. Si l'on multiplie ces montants par 4 en moyenne dans une famille, on atteint des sommes défiscalisées en épargne à court terme supérieures à la moyenne de l'épargne financière des ménages. En effet, cela pourrait représenter 124 000 euros quand la moyenne de l’épargne financière tourne autour de 100 000 euros. Le caractère "de précaution" de cette épargne perd de son sens.

Pour certains, la défiscalisation de ces produits bancaires est à relativiser par rapport au faible niveau de rendement que ces produits procurent compte tenu notamment du niveau d'inflation ?

Si l'on considère d'un coté le rendement du livret A et du LDD, (de 2,25% net d'impôt) et de l'autre le rendement délivrés par les livrets bancaires ou dépôt à terme de plus de 2 ans (3% en moyenne auquel sont appliqués désormais le barème de l’impôt sur le revenu dont le taux marginal est de 45 voire 75 %, et des prélèvements sociaux de 15,5 %, on peut arriver à un taux global rapidement supérieur à 50 %. Le rendement net tourne autour de 1,40% soit nettement moins que l’inflation qui est de 2 %. il y a indéniablement une vraie distorsion de concurrence entre les livrets défiscalisés et les livrets fiscalisés.
Si l'on considère l'assurance vie, à présent, le taux de rendement du fonds en euros est évalué à 3%. Net d'impôt, après une période de 8 ans, mais avec application des prélèvements sociaux, le taux net se situe autour de 2,45%. Ainsi la différence entre un produit court défiscalisé et un produit long légèrement fiscalisé est faible.
Cette situation conduit à un risque de mauvaise allocation de l'épargne, d'autant plus que l'on observe déjà dans l'Hexagone une propension à aller sur le court terme et sur le liquide et une aversion forte au risque.

Comment expliquez-vous l’orientation du gouvernement ?

Le livret A est devenu tellement populaire qu'il en a retiré un caractère sacré. 15 milliards d'euros ont été collectés depuis le début de l'année et on se dirige vers les 20 milliards d'euros d’ici fin décembre.

Il s’est alors avéré inconcevable de toucher à ce livret. Le gouvernement a bien tenté de creuser quelques pistes et la Cour des comptes a émis l'idée de le fiscaliser pour le montant dépassant les 15 300 euros. Cependant, il a fallu rebrousser chemin.

Mobiliser une épargne abondante par le biais du livret participe à une réflexion. Aujourd'hui le financement de l'économie ne fonctionne plus pour deux raisons distinctes. En premier lieu, parce que les banques ne peuvent plus prêter autant en raison de la reconstitution de leurs fonds propres afin de se conformer aux normes de Bâle III. Ensuite, échaudés par les marchés actions à la suit de la crise de 2008, les Français ne veulent plus prêter à long terme. Ce faisant, l'Etat doit suppléer à cette double défaillance.
N'ayant plus les moyens de sa politique en raison du déficit public, les autorités n’ont d’autre choix que de mobiliser l'épargne des Français et de jouer le rôle d'intermédiaire en transformant l'épargne de court terme en investissement de long terme. C'est ce que fait la Caisse des dépôts avec le livret A.

Un tel mécanisme de financement n’est pas sans inconvénients…
En effet, passer par le livret A pour financer l’économie a un cout économique lié au prix de la collecte du livret A, et à la mise en réserve d’une partie de l’argent collecté pour pour assurer la liquidité en permanence du livret. Ce cout est la plupart du temps négligé par l’opinion publique.

Dans 100 euros collectés dans le livret A, 50 euros servent à financer le logement social ou à alimenter la banque publique d’investissement et 50 euros sont mis en réserve dans le fonds d’épargne de la CDD et investis en titres courts (monétaire et obligations d’Etat) pour permettre à tout moment le retrait par les épargnants de leurs économies. Ces placements à court terme ne sont pas les placements les plus efficients.
Ainsi, pour que ce mécanisme de financement par le biais du livret A soit efficace, il faudrait orienter 100% des encours vers le financement de long terme et notamment au financement des entreprises. En l’état actuel des choses, ce mécanisme opère une mauvaise allocation de la richesse du pays.

Quel analyse faite vous du plafond généralisé pour les niches fiscales à 10 000 euros. Certains regrettent les exceptions envisagées ?

Etablir un plafond généralisé évite de regarder plus précisément ce qu’il y a dans les niches fiscales. J’aurais préféré que l’on passe au peigne fin les niches pour déterminer lesquelles sont efficaces et lesquelles ne le sont pas.
Cela fait 30 ans que l’on dit que la niche sur les DOM-TOM est inutile. De nombreux rapports ont montré que cette niche n’était pas productive. Le lobbying l’a emporté sur l’analyse objective.

A lire également : "Les nouvelles mesures adoptées par le gouvernement Hollande contribue au désert économique entre grandes entreprises et petites entreprises"

Propos recueillis par Imen Hazgui