Interview de Antoine Brunet : Président d'AB Marchés,  Coauteur avec Jean-Paul Guichard de 'La visée hégémonique de la Chine' chez L'harmattan.

Antoine Brunet

Président d'AB Marchés, Coauteur avec Jean-Paul Guichard de 'La visée hégémonique de la Chine' chez L'harmattan.

L'inflation qui devrait être de 6% fin 2011 n'est pas le risque principal pour l'économie chinoise

Publié le 30 Mars 2011

Au-delà du spectre du resserrement de la politique monétaire par la Banque centrale, les investisseurs devraient selon vous redouter l’adoption de mesures particulières analogues à celles prises en 2006/2007 (mises en garde publiques contre des hausses excessives de l’indice, taxations des ordres de bourse…). Pourquoi donc ?
Les dirigeants chinois sont très vigilants face aux bulles. Ils ont conscience que le principal facteur susceptible de déstabiliser leur économie serait « une séquence bulle + krach » comme ont en subie le Japon avant puis après 1989, les Etats-Unis et l’Europe avant puis après 2000, et une deuxième fois avant puis après 2006.
Les dirigeants chinois s’interdisent par ailleurs de monter fortement leurs taux, et ont déjà du mal à maitriser l’évolution de leurs prix immobiliers. Ils ne peuvent pas admettre en plus une inflammation de leurs indices boursiers.

De ce fait, de quelle manière voyez-vous évoluer le marché actions chinois ?
Les indices boursiers chinois ne feront pas un carton important cette année comparativement aux autres marchés boursiers.

La hausse du seuil des réserves obligatoires ne fait pas le compte. Ce qui est important c’est la hausse des taux d’intérêt. Or beaucoup d’analystes déplorent que les taux directeurs chinois ne montent pas plus Qu’en pensez-vous ?

L’insuffisance de la hausse des taux directeurs provient d’un conflit entre deux couples d’objectifs. Le premier couple d’objectifs est la volonté de limiter les bulles sur les marchés d’actifs immobiliers et boursiers et de limiter la hausse des prix à la consommation. Ce premier couple d’objectifs devrait normalement amener la Chine à monter son taux directeur plus vigoureusement qu’elle ne le fait.
Mais la Chine a aussi un deuxième couple d’objectifs qui est encore plus prioritaire : elle veut maintenir le yuan en permanence sous-évalué, en particulier pour maximiser le PIB et l’emploi. Or plus le différentiel de taux s’écarte entre la Chine et les Etats-Unis, plus nombreux sont les capitaux de la diaspora chinoise qui affluent vers la Chine, plus l’Etat chinois doit accentuer ses achats de dollars et d’euros, ce qui induit une évolution explosive de la masse monétaire.

C’est cet antagonisme entre les deux couples d’objectifs qui explique que le taux directeur monte mais ne monte pas assez vite.

Quel regard portez-vous sur l’inflation chinoise ?
Il y a un hiatus entre le chiffre des salaires et le chiffre de l’inflation. D’un coté on avance le fait qu’il y a eu en 2010 une hausse de 20% sur les salaires minimums qui aurait été répercutée sur les salaires moyens. De l’autre coté on annonce une augmentation des prix de seulement 5% l’an. Or, outre la forte hausse des salaires, l’inflation a été boostée par une importante augmentation des prix des matières premières d’autant plus forte que le yuan est resté collé au dollar.

Du coup, on ne sait pas quel est le chiffre faux. Faut-il corriger le chiffre officiel de hausse des salaires qui la surestimerait ou le chiffre officiel d’inflation qui la sous-estimerait ?
Ce qui demeure, c’est qu’en maintenant le taux d’intérêt créditeur taux de rémunération des dépôts- à 3,25% en dessous d’une inflation qui est au moins à 5%, on décourage l’épargne. De même en conservant un taux débiteur- celui pratiqué sur les crédits- à 6,25% quand l’inflation est à 5% ou un peu au dessus, on encourage l’endettement.

Le risque d’inflation n’est pas selon vous le risque principal pour l’économie chinoise...
Les dirigeants ont fait de multiples déclarations rassurantes sur le fait qu’ils ne laisseraient pas l’inflation s’envoler. Ils ont certainement également manipulé quelque peu les chiffres officiels pour apaiser à bon compte les craintes de la population.

Ceci étant, très clairement, comme je l’ai déjà dit, les dirigeants font primer l’objectif du yuan et de l’emploi sur celui de la limitation de l’inflation.
C’est une première raison pour penser que l’inflation restera élevée dans le pays. Je la vois atteindre 6% en chiffre officiel fin 2011.

Une deuxième raison réside dans le maintien d’une croissance forte de la Chine en 2011 et 2012 qui accentue la hausse des matières premières. Il y a quelques facteurs spécifiques qui sont haussiers sur le pétrole (Libye, Moyen-Orient, dégoût du nucléaire) et sur l’alimentaire (catastrophes climatiques). Mais en dehors de ces deux facteurs, la tendance reste de toute façon haussière depuis mars 2009 parce que le PIB mondial en PPA marche à +4,5% l’an. La Chine tient la clé. Le pays représente 22% du PIB mondial, enregistre une croissance à 10% par an, sa contribution au PIB mondial est de ce fait à elle seule de +2,2%…..

De combien devrait être le taux de croissance, si l’on voulait normaliser la situation ?
Si l’on voulait calmer la tendance des matières premières, il faudrait que la Chine ramène sa croissance à 6% l’an pendant quelque temps. Mais cela est en opposition avec l’objectif prioritaire déjà évoqué de forte croissance du PIB et de l’emploi.

La Chine privilégie l’objectif d’une croissance forte pour avoir un emploi très dynamique au détriment de l’inflation. Vous ne voyez pas de risque de dérapage en raison de l’inflation ?
Le risque existe mais il est limité. Si l’inflation atteint les 6% mais que les salaires augmentent de 20%, le pouvoir d’achat restera préservé. L’augmentation récente des salaires permet d’absorber l’inflation accrue. Le mécontentement de la population ne sera pas suffisant pour qu’elle prenne le risque énorme de sortir dans la rue et de s’affronter à la répression policière du régime.

Il est de plus en plus difficile pour la Chine de rendre compatible tous les objectifs qu’elle a ?

La Chine poursuit quatre objectifs principaux : la stabilité du yuan, une croissance maximum de l’emploi, une limitation de la hausse des prix des actifs immobiliers et boursiers, une limitation de la hausse des prix à la consommation.
Compte tenu des priorités retenues, les prix immobiliers vont continuer leur progression, l’indice Shanghaï connaîtra une hausse très modérée, l’inflation va passer de 5 à 6%. La croissance va demeurer robuste. D’ici fin 2011, le taux d’intérêt débiteur va passer de 6,25 à 7% et le taux créditeur de 3,25% à 4%. Le yuan devrait s’apprécier de seulement 3% contre dollar d’ici fin 2011.

Propos recueillis par Imen Hazgui