Interview de Didier  Borowski
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Responsable de la stratégie et de la recherche économique chez Amundi

Didier Borowski

Responsable de la stratégie et de la recherche économique chez Amundi

Nous prévoyons un repli entre de la parité euro-dollar entre 1,25 et 1,30 d'ici la fin de l'année

Publié le 13 Février 2013

Selon vous, il n'est pas à exclure une poursuite de l'appréciation de l'euro vis-à-vis du yen dans les mois à venir...
L’appréciation de l’euro vis-à-vis du yen correspond à certains fondamentaux, mais pas à tous. La configuration sur les soldes commerciaux du Japon et de la zone euro est inobservée au cours 40 dernières années. D’un coté, l’excédent commercial des biens et services au niveau de l’ensemble de la zone euro s’est renforcé, et représente environ 2% du PIB. De l’autre coté, le déficit commercial du Japon s’est creusé à -1,5% du PIB. La perte de compétitivité des exportations japonaises explique pour partie ce résultat. De ce seul point de vue, il n’est donc pas illogique de voir l’euro s’apprécier face au yen.

Pensez-vous que l’euro pourrait beaucoup s’apprécier ?

Non, c’est peu probable. L’essentiel de l’appréciation de l’euro est probablement derrière nous. Deux facteurs avaient été à l’origine de ce mouvement haussier : un facteur technique, et un facteur lié aux flux de capitaux.
Une partie de la correction a découlé d’une normalisation des positions courtes sur la monnaie unique, qui étaient exagérées.
L’apaisement des tensions financières au sein de la zone euro depuis l’été dernier a incité, qui plus est, des investisseurs étrangers à se repositionner sur des actifs européens en « jouant » la baisse de la prime de risque politique (la fin du risque systémique). De nombreux titres européens étaient décotés, que ce soit du côté des obligations (Etats périphériques et entreprises) ou des actions.
Ces deux facteurs sont, par essence, de nature temporaire. La poursuite d’un mouvement haussier sur l’euro ne correspondrait pas aux fondamentaux de la zone qui vont tôt ou tard revenir sur le devant de la scène.

C’est pourquoi, nous ne tablons pas sur une surréaction de l’euro à la hausse. Et si cette surréaction devait quand même avoir lieu, la BCE serait là pour servir de rempart, au moins en termes de communication. Mario Draghi a été particulièrement habile dans sa communication jeudi 7 février. Malgré le caractère sensible du sujet en raison des divergences de point de vue entre Paris et Berlin, le président de la BCE a indiqué qu’une appréciation supplémentaire de l’euro ne correspondrait pas aux fondamentaux, mettrait en risque la reprise escomptée pour le second semestre de l’année et ferait baisser davantage l’inflation (très en deçà de sa cible de 2%).
En filigrane, Mario Draghi laisse ainsi entendre que la BCE pourrait, le cas échéant, baisser ses taux directeurs. Cela a conduit à une correction sur l’euro. Reste à savoir si cet avertissement suffira.

Quelle évolution du comportement de la BCE envisagez-vous ?
Mario Draghi va sans doute demeurer très vocal sur l’euro à partir du niveau actuel qui fait souffrir des pays autres que l’Allemagne qui n’ont pas une position compétitive très solide. Mais il ne faut pas s’attendre à des interventions sur le marché de changes.

Nous seulement, vous n’escomptez pas une ascension de l’euro mais vous anticipez un recul ?
Un maintien durable de l’euro à 1,35 nous parait difficile compte tenu de la conjoncture très dégradée. Nous prévoyons un repli entre 1,25 et 1,30$ d’ici la fin de l’année. Ceci dit, dans les mois qui viennent l’euro peut rester fort pour les raisons évoquées.

La guerre des changes est pour l’heure une épée de Damoclès...

Oui. Beaucoup de pays développés ne vont pas pouvoir s’appuyer sur un redémarrage de la demande interne en raison des processus de désendettement des pouvoirs publics et des agents privés. Face à la reprise du commerce mondial, la tentation est donc grande de tenter de capter un peu d’énergie à ce moteur externe grâce à une dépréciation du change. Mais c’est là un jeu non coopératif qui peut conduire à des mesures de rétorsion. Ceci dit, gardons à l’esprit que les pays qui ont la marge de manœuvre du Japon pour aller loin dans l’expansion du bilan de la banque centrale sont peu nombreux. Dans une éventuelle guerre des changes, du fait de sa déflation, le Japon est probablement le mieux armé pour pouvoir agir de manière puissante. Mais c’est une stratégie risquée.

Le Japon a donc les clés en mains...

C’est pour cela que le ministre de l’économie japonais a voulu calmer les esprits la semaine dernière en disant que le yen s’était déprécié de manière trop rapide. Le scénario le plus probable est que les autorités japonaises n’appuient pas sur le champignon de la dépréciation, continuent à s’exprimer sur le sujet du yen et à évoquer leur programme d’achat de titres pour 2014 afin d’aboutir à une dépréciation graduelle de la monnaie sans « braquer » leurs principaux partenaires commerciaux. Pour le moment, les autorités ont beau jeu de dire qu’elles ne font rien. La simple promesse d’une action vigoureuse a été faite et cette promesse a pesé sur la devise. S’il venait à forcer le trait en anticipant sur leur programme de 2014, les autorités japonaises affirmeraient leur volonté de dévaluer le change de manière plus marquée. Dans ce cas de figure, les partenaires commerciaux y verraient une « déclaration de guerre » sur le front des changes. Des ripostes (des interventions de banques centrales) pourraient être observées, à commencer par la Corée.

Il faut garder à l’esprit que ce type de manœuvre de Banque centrale a un impact à court terme...
Il est rare qu’un pays, grâce à la dévaluation de sa monnaie uniquement puisse générer durablement de la croissance.
Une plus grande interférence de la BoJ aura uniquement pour effet de donner une bouffée d’oxygène au Japon. Elle ne suffira pas, à elle seule, à extirper l’économie japonaise de la déflation. D’une certaine façon, on peut faire un parallèle avec les politiques budgétaires expansionnistes. Elles ont pour effet de stimuler la demande interne à court terme. Mais cet effet s’estompe vite si les dépenses ne sont pas bien ciblées.

Ce thème de la dévaluation du yen pourrait bien continuer à soutenir la bourse japonaise…
Oui, en particulier les valeurs exportatrices, les biens d’équipement, avec premier rang l’automobile. Mais le mouvement a déjà été très marqué depuis quelques mois…

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Propos recueillis par Imen Hazgui