Interview de Michel Rouger : Administrateur de Bouygues, Président Honoraire du Tribunal de Commerce de Paris

Michel Rouger

Administrateur de Bouygues, Président Honoraire du Tribunal de Commerce de Paris

Ce qui prime, c’est que le banquier fasse son métier de banquier avant de faire celui d’administrateur

Publié le 19 Avril 2007

Le 28 mars 2007, une conférence débat fut organisée par l’Institut français des administrateurs sur la question de «la place pour la banque dans la gouvernance de l’entreprise ». Michel Rouger, un des intervenants présents a accepté de nous livrer quelques précisions sur le sujet. 
 
Comment expliquez-vous le fait que les rapports entre les banques et les entreprises ne soient pas très bien définis ?
Je pense que ces rapports ont subi les dégâts collatéraux de la catastrophe du Crédit Lyonnais. A l‘époque, nous avons condamné le concept de Banque-industrie, sans jugement, sans débattre des intérêts que nous pouvions en tirer, sans nous efforcer d’y apporter un substitut : en fait, sans réfléchir, dans l’émotion politique liée à l’événement.

Certes, les Américains avaient encadré ce concept bien auparavant, en prohibant la détention du capital d’une société industrielle par une banque, encore qu’ils soient revenus sur cette norme. Il était interdit à une banque d'investir plus d'un certain pourcentage dans le capital.
A l’inverse, les Allemands en ont fait un principe et l’ont très largement développé. La population de leurs grosses PME en a profité. Elles nous manquent en France.
Je pense que nous avons raté bien maladroitement une évolution  indispensable.

Quels sont les enseignements que vous tirez de votre expérience comme administrateur concernant les relations banques-entreprises ?
Depuis  douze ans, j'ai vécu les conseils d'administration de deux sociétés du CAC 40.

Dans un de ces conseils, les banques avaient acquis un droit de présence par convention, au moment où ils avaient apporté les moyens qui permettaient à l'entreprise d'éviter des difficultés majeures. Ils ont voulu accompagner l'avenir de la société dans la sécurité en obtenant le droit de participer à son gouvernement. L’opération a permis à l’entreprise d’affirmer une réussite spectaculaire.

Dans le second conseil, il n'y a pas de banques. Il y a plusieurs anciens présidents de banques de grande qualité. Le conseil est très homogène. Les administrateurs indépendants peuvent s'exprimer, comme le personnel présent au capital (qui représente plus de 15%). La présence de grands séniors, devenus indépendants en gardant leur compétence technique, participe à cette homogénéité composée de diversités d’expérience. La réussite est tout aussi spectaculaire.

J’au aussi vécu deux conseils de PME.

Dans la première, devenue grosse, j’ai été confronté, dés mon arrivée, à la caricature qui stigmatisait l’entreprise du modèle des années 50, à savoir l’établissement de trois bilans : celui du patron, celui du banquier et celui  des impôts. Ce fut bref. À la première difficulté, les banquiers, qui étaient en risque, et qui étaient dans le conseil, ont mis la main sur l'entreprise, la  banque gérant l'affaire de l’intérieur, avec son propre système de gouvernance, avant de dégager les actionnaires anciens propriétaires.

Le plus récent conseil, celui d'une petite PME de haute technologie, mariait  les dirigeants d’origine, consacrés à leurs découvertes technologiques, peu sensibles à l’aspect financier de leur projet, avec les dirigeants détachés des banques qui détenaient la moitié du capital. L’arbitre que je fus a été obligé de siffler la fin de la partie en vendant l’entreprise.

Nous pouvons observer à travers ces quatre scénarios que les banquiers ne sont pas homogènes dans leur comportement et que les entreprises ne sont pas homogènes dans leurs objectifs. En réalité, il existe une infinité de situations. Ce qui primera alors avant toute chose, c’est la considération que le banquier en activité, donc en risque, fera toujours son métier de  banquier avant de faire celui de l’administrateur. On ne lui en demande ni plus ni moins.

De quelle manière se pose la question des conflits d’intérêts ?
Nos sociétés sont devenues très complexes tout comme sont devenues très complexes les relations entre le monde de la banque et celui de la production de biens et de services.
Nous subissons de ce fait une attraction irrépressible à l'égard du consultant, du conseil, de l'expert. Ils nous paraissent être des spécialistes utiles pour éviter les bévues ou carrément les grosses erreurs. Le problème est que l’utilisation généralisée de leurs services entraîne une généralisation  des situations de conflits d'intérêts.

Concrètement, pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, il ne faut pas mélanger deux fonctions : le banquier peut parfaitement être le conseil de l'entreprise, formé, documenté ; par les éléments de son propre contrôle interne, il peut développer des recommandations très utiles.
Néanmoins, il ne faut pas qu'il devienne délibératif : si il est à la fois en capacité de donner des conseils et que par ailleurs il est en situation de délibérer sur ses propres conseils, il crée le conflit d'intérêts. Sans oublier que le banquier n’a pas qu’un client, ni qu’une seule technique.
Il peut même arriver que sa main droite ignore ce que fait sa main gauche.

Quelles solutions préconisez-vous ?
Pour faire la chasse aux conflits d'intérêts, il faut réinventer la  notion de comptes-rendus. Des travaux sont en cours, au sein de l’Institut Presaje que je dirige, sur le concept anglais d’accountability. A l’heure actuelle, nous sommes très loin de l'application quotidienne de principes simples qui s’imposeront tôt ou tard  à tous ceux qui, de droit ou de fait, participent aux décisions des dirigeants sociaux, sans qu’il soit souvent rendu compte de leurs rôles. 

Propos recueillis par I.H.

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