Interview de  Xavier  de Buhren  : Gérant actions françaises chez Mirabaud Asset Management

Xavier de Buhren

Gérant actions françaises chez Mirabaud Asset Management

Secteur télécoms : Bouygues Telecom devrait être de plus en plus marginalisé

Publié le 12 Avril 2016

Quel regard portez-vous sur l’échec de la fusion Orange-Bouygues Telecom ?
Les attentes autour de ce deal étaient très élevées. Le marché pricait entre 70% et 80% de chance que le deal se fasse. Stéphane Richard était allé jusqu’à évoquer un pourcentage de 90%.
La capitalisation du secteur télécom français avait augmenté depuis l’annonce de l’opération en fin d’année dernière de 6,5 milliards d’euros jusqu’au 1er avril. Les quatre grandes valeurs de la sphère, Orange, Bouygues, Iliad et Numéricable ont bien performé.
La déception autour de ce mariage manqué a été d’autant plus forte. L’annonce de la non réalisation de l’opération a conduit en début de semaine à l’évaporation de 10 milliards d’euros en deux jours.

Quelle lecture faites-vous de l’échec de cette transaction ?

Le deal était relativement complexe à mettre en place. Il y avait quatre parties prenantes concernées. L’entente devait concerner de nombreux points, notamment les actifs à récupérer, le prix de la transaction, les considérations sociales à traiter.
Il y a eu en outre une animosité extrêmement forte entre deux des participants, à savoir Martin Bouygues et Xavier Niel. Sans oublier le volte face du ministre de l’économie, Emmanuel Macron, qui après avoir indiqué être favorable au rapprochement, estimant qu’il était sain pour le secteur de passer de quatre opérateurs à trois, a décidé sur la dernière ligne droite de freiner le processus afin de protéger des intérêts court terme. Ce dernier a cherché à abaisser la valorisation proposée pour Bouygues Telecom de manière à ce que la part des titres Orange payés à Bouygues soit limitée, autour de 10%. L’idée sous jacente étant de restreindre les droits de Martin Bouygues dans la gestion d’Orange dans le futur.

Pourquoi parlez-vous de protection d’intérêts de court terme ?

L’opération aurait certainement créer de la valeur à moyen terme pour tous les actionnaires d’Orange, dont l’Etat.
Pensez-vous que le dossier du rachat de Bouygues Télécom est désormais clos ?
Je pense en effet qu’il est clos. Martin Bouygues a refusé deux offres à 10 milliards d’euros alors qu’il a initié le rapprochement. Le marché a fortement corrigé à la baisse la valeur de Bouygues Telecom à travers le cours boursier de Bouygues. La société est désormais valorisée à 6,5 milliards d’euros.
Nous ne voyons pas Orange, qui n’était pas demandeur de l’opération, faire une offre plus élevée. Numéricable a, pour sa part, également tenté de faire une proposition à Martin Bouygues qui l’a aussi rejeté. Il est hors de question qu’Iliad s’empare du dossier.
A priori il ne faut pas s’attendre à ce qu’un opérateur étranger se présente à la porte.

Pourquoi vous excluez cette dernière possibilité ?

Le rachat par un opérateur étranger ne changerait rien à l’équilibre aujourd’hui existant sur le marché français.

Quel avenir pressentez-vous pour Bouygues Telecom ?

Bouygues Telecom a une faible capacité financière et a pris du retard sur tous les investissements dans les réseaux fixes comme la fibre. Cette dernière a prévu d'investir 800 millions d’euros par an dans ces investissements quand Numéricable et Iliad vont dépenser 1,1 milliard d’euros par an. A cela il faut ajouter la mise à mal de l’entité par la guerre des prix qui est pratiquée. En cela, il est vraisemblable que Free n’hésitera pas à déployer une stratégie commerciale agressive pour récupérer des clients de Bouygues. Il sera difficile de remotiver les équipes, après quatre mois de quasi inertie, et le vif espoir échaudé de rentrer dans une nouvelle dynamique.
Nous avons de forts doutes sur l’aptitude de l’opérateur à atteindre ses objectifs. Il devrait être de plus en plus marginalisé.

Que voyez-vous sur le plan de la consolidation du secteur des télécoms dans l’Hexagone ?

Nous ne voyons pas d’autres opérations de rapprochement se faire entre les quatre acteurs du segment. La consolidation du secteur devrait plutôt se faire par la mort lente de l’un d’entre eux, à savoir le plus fragilisé. Mais on n’y est pas encore.

Escomptez-vous l’initiation par un des opérateurs du secteur français d’opérations transfrontalières ?

Orange s’intéresse à des acquisitions à l’étranger, notamment en Afrique. On peut s’attendre à ce qu’à moyen terme, une volonté soit explicitement affichée de mettre la main sur Telecom Italia du fait de son fort positionnement sur le mobile et du travail à faire en termes d’optimisation des couts.

Pourquoi parler de moyen terme ?

Vivendi et Xavier Niel ont des participations dans le capital de Telecom Italia ce qui rend l'opération plus complexe. Il existe une réglementation européenne qui interdit la gestion d’un réseau téléphonique par un opérateur basé dans un pays membre de l’UE dans un autre pays membre. Celle-ci devrait disparaitre, mais seulement à moyen terme.

Mis à part une alliance Orange Telecom Italia, voyez-vous d’autres opérations transfrontalières susceptibles de se faire ?
Il n y a pas longtemps, Iliad a tenté d’acquérir un opérateur aux Etats-Unis. Il n’est pas impossible qu’il réitère sa tentative. Altice continue à pointer son regard du coté du marché européen et américain.
Nous ne tablons pas en revanche sur le rapprochement de deux grandes entités comme Orange et Deutsche Telecom qui serait difficilement créateur de valeur.

Quelle évolution augurez-vous pour la valorisation du secteur des télécoms français ?
Un élément reste particulièrement favorable au secteur, le niveau de rendement. Nous restons positifs sur le trend du secteur, exception faite de Bouygues Telecom.
Orange a perdu 15% par rapport à son plus haut, et Iliad 20% de même que Numéricable.
A notre sens, la valeur qui parait la moins risquée et qui jouit de la base d'abonnés la plus solide et du meilleur réseau est Orange.
A présent, un grand travail d’optimisation des couts est effectué par SFR de manière à générer le cash nécessaire au remboursement de la dette que l’actuelle maison mère Altice a contracté pour l’opération de rachat. La politique tarifaire Iliad continue à être suffisamment agressive pour récolter de nouveaux clients éventuels.

Propos recueillis par Imen Hazgui