Interview de Loïc Dessaint : Directeur général de Proxinvest

Loïc Dessaint

Directeur général de Proxinvest

Il faut une loi pour contraindre les entreprises à prendre en compte le vote des actionnaires

Publié le 23 Mai 2016

Pourquoi avez-vous appelé à voter contre la rémunération de 7 millions d'euros perçue par Carlos Ghosn en 2015 pour ses fonctions à la tête de Renault ?
Nous jugeons cette rémunération totalement disproportionnée. Nous considérons qu'elle correspond à un mi-temps puisque Carlos Ghosn est également président de Nissan. Si l'on ajoute sa rémunération chez Nissan (8 millions d'euros), on arrive à un total de 15 millions d'euros, quatre fois plus que la moyenne des rémunérations du CAC40. Plus de la moitié de cette somme (9 millions) correspond à un salaire "fixe" totalement indépendant des résultats de l'entreprise. Par ailleurs Renault est la seule société du CAC 40 à ne pas communiquer la rente du régime de retraite additionnel (retraite chapeau) que percevra Carlos Ghosn, alors qu'il s'agit d'une obligation de la loi Macron. D'après nos calculs cette indemnité s'élèvera à environ 1,3 million d'euros par an. Pour toutes ces raisons nous avons appelé à voter contre la rémunération de M. Ghosn et nous nous réjouissons qu'une majorité d'actionnaires ait suivi cette recommandation.

La décision du conseil d'administration de Renault de maintenir le salaire de M. Ghosn vous a-t-elle surpris ?
Nous n'avons pas été vraiment surpris. Le conseil d'administration de Renault est l'archétype d'un conseil qui ne fait pas son travail, malgré plusieurs avertissements (en 2013 et 2014 la rémunération de Carlos Ghosn avait déjà été fortement contestée). D'autres entreprises jouent le jeu du "say on pay". Par exemple Danone a bien réagi face à la contestation du say on pay de Franck Riboud lors de l’assemblée générale de 2015, qui avait recueilli seulement 53% d’approbation. Cette année, la communication de la société s’est grandement améliorée, permettant de mieux comprendre les mécanismes sous-jacents du variable annuel. D’ailleurs, le say on pay d’Emmanuel Faber (le nouveau DG, ndlr) a enregistré un score élevé d’approbation de 97,15%. Le patron de Legrand Gilles Schnepp a quant à lui aligné l'augmentation de son salaire sur celle de ses salariés (+2%) et refusé une partie de son variable.

Faut-il une loi pour mettre un terme aux abus ?

Oui, nous pensons qu'il faut une loi pour contraindre les entreprises à prendre en compte le vote des actionnaires. Ce sont eux les véritables propriétaires de l'entreprise. Je ne pense pas que le gouvernement veuille fixer le niveau des salaires des patrons. Cela porterait atteinte à la liberté d'entreprendre et serait certainement censuré par le Conseil constitutionnel. En menaçant de légiférer Emmanuel Macron cherche plutôt à faire pression sur Renault, dont l'Etat est actionnaire, mais aussi sur les organisations patronales (Afep/Medef) qui freinent toute évolution en faveur d'un renforcement du pouvoir des actionnaires.

Les actionnaires ne sont-ils pas en partie responsables des rémunérations exorbitantes accordées à certains dirigeants ?

Certains actionnaires votent toujours en faveur de la rémunération des dirigeants, du moment qu'ils jugent leur propre rémunération satisfaisante (dividendes, plus-values). Cependant les questions de rémunération des dirigeants deviennent de plus en plus sensibles car elles sont liées à la responsabilité sociale de l'entreprise. Nous avons beaucoup de clients (investisseurs, ndlr) qui veulent savoir comment ça se passe à l'intérieur de l'entreprise, par exemple quelle a été l'évolution des salaires moyens. Là encore beaucoup de conseils d'administration en France ne répondent pas à ces questions. Leurs homologues anglo-saxons publient, eux, le "CEO pay ratio" qui permet de mesurer l'écart entre la rémunération du dirigeant et la médiane des salaires dans l'entreprise. Il n'y a pas de "norme" ou de plafond associé à ce ratio mais c'est un élément de transparence vis-à-vis des investisseurs.

Quel bilan faites-vous de la mise en œuvre du Say on Pay en France depuis trois ans ?
Le Say on Pay a poussé les entreprises à une plus grandes transparence, mais pas forcément à une plus grande modération des salaires des dirigeants. Il reste encore beaucoup de progrès à faire notamment pour lier la rémunération à la performance à long terme de l'entreprise. Dans trop de cas les critères de performance ne sont pas assez bien définis et conduisent à des bonus y compris lorsque l'entreprise n'est pas bénéficiaire. Idem pour les actions gratuites qui ne sont même pas mentionnées alors qu'elles constituent une rente future pour les dirigeants.

Propos recueillis par François Schott