Interview de Stéphane Cadieu : Sous Titre de l'interview

Stéphane Cadieu

Sous Titre de l'interview

Le Cac 40 pourrait descendre entre 4800 et 4900 points avant de reprendre son ascension vers 5300-5400 points en fin d'année

Publié le 03 Juin 2015

Quel regard portez-vous sur l’évolution des actions de la zone euro depuis le début de l’année ?
La performance notable des actions de la zone euro affichée à l’issue du premier trimestre doit être analysée dans une longue perspective. Le cycle haussier a débuté à l’été 2012 après les déclarations percutantes du président de la Banque centrale européenne Mario Draghi et a marqué un point d’arrêt au second semestre 2014 du fait d’un ralentissement de la conjoncture économique, des tensions dominant le dossier grec, et des craintes accompagnant la chute du baril de pétrole. Le chemin parcouru au cours des premiers mois de l’année n’a fait que nous remettre dans le trend haussier commencé il y a trois ans.
Nous sommes d’avis que le rallye n’a pas été exagéré.

Comment expliquez-vous pour autant la force du rallye : plus de 20% de performance à fin mars ?
Par le niveau ahurissant des taux d’intérêt auxquels nous sommes parvenus en début d’année. Personne n’avait envisagé que les taux aillent aussi bas. En avril, plus du tiers du total du stock des dettes souveraines en Europe était en taux négatif, soit plus de 2200 milliards d’euros. Cela a constitué comme une sorte d’électrochoc pour beaucoup de gérants de fonds contraints à rendre des comptes à leurs clients et a engendré des mouvements gigantesques de réallocation, totalement inattendus.
Parmi les actifs susceptibles de générer une performance suffisamment attrayante avec un risque limité figuraient les actions de la zone euro et l’immobilier.

Quelle lecture faites-vous de ce repli plus prononcé que prévu des taux des Etats de la zone euro ?
Indéniablement, le déclenchement du programme de quantitative easing de la Banque centrale européenne en a été la principale raison. Lorsque Mario Draghi avait fait part de son intention de s’aventurer sur le terrain de ce QE, nombreux étaient les acteurs du marché qui soit n’y croyaient pas soit ne tablaient pas sur un programme ambitieux. Des interrogations portaient en outre sur la faculté de la BCE à trouver du papier à acheter compte tenu des contraintes réglementaires auxquelles sont soumises les banques et les compagnies d’assurances, grands intervenants sur le segment et de l’implication des Banques centrales étrangères eu égard à l’impératif de diversification de leurs réserves de change.

Au-delà des investisseurs européens, les investisseurs américains ont joué un rôle déterminant dans le rebond des actions de la zone euro ?

Absolument. Ces derniers ont dans une large mesure joué le phénomène de rattrapage des actions de la zone euro sur les actions américaines. L’arrivée des flux entrants a été d’autant plus favorisée par le différentiel de change entre l’euro et le dollar. Ainsi la performance de l’Eurostoxx exprimée en dollar s’est révélée très modérée pour les investisseurs américains.

A quelle suite des évènements vous attendez-vous ?

Nous voyons la phase de consolidation qui s’est ouverte perdurer quelques semaines. Une correction de 5% à 10% au total n’est pas à exclure. Cependant la hausse devrait par la suite reprendre. Le Cac 40 pourrait descendre entre 4800 et 4900 points avant de reprendre son ascension vers 5300-5400 points en fin d’année.
Les profits au sein de la zone euro sont encore 25% inférieurs à ce qu’ils étaient en 2007 alors qu’aux Etats-Unis ils sont supérieurs au niveau d’il y a huit ans dans la même proportion. La reprise économique qui semble se confirmer dans la région à travers de multiples indicateurs laisse supposer un accroissement de ces profits. Ce d’autant plus que nous avons assisté à une forte baisse de l’euro, à un significatif repli du cours de plusieurs matières premières, en premier lieu desquels le pétrole. Nous commençons d’ailleurs à percevoir des signes tangibles d’amélioration au niveau des chiffes d’affaires.

Pas encore vraiment au niveau des résultats ?

Effectivement. De nombreuses stratégies de couverture ont été mises en place par les sociétés sur une période de 12 mois. C’est ainsi davantage au cours du second semestre, lorsque ces stratégies arriveront à leur terme, que nous devrions observer des effets positifs notables au niveau des bénéfices.
Ceci étant, cette embellie bénéficiaire a clairement été intégrée par le marché même si les entreprises ne l’ont pas encore démontré.

Quelle interprétation faites-vous de l’essoufflement du rallye constaté depuis plus d’un mois ? L’Eurostoxx perd 1,65% sur un mois et 1,28% sur une semaine ?

Nous avions indiqué en début d’année identifier un ensemble de facteurs de risque sur le deuxième trimestre pour les actions de la zone euro. En premier lieu, la Grèce. Le dossier n’est toujours pas résolu et devrait continuer à peser sur le segment des actions de la zone euro un moment.
En second lieu, des craintes ont été nourries au sujet des élections outre Manche. La probabilité d’une victoire du parti travailliste menant une politique hostile aux marchés financiers était perçue comme sérieuse. Dans le cas où le parti conservateur ressortait gagnant, le spectre du référendum concernant la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne était pleinement dans les esprits. Dans la mesure où le pays avait un déficit de sa balance courante représentant 8% de son PIB, la menace d’un vote positif à ce référendum soulevait l’inquiétude de voir les investisseurs étrangers cesser d’accepter de financer ce déficit.
Un troisième élément de risque a résidé dans la force du dollar qui a affecté les résultats des entreprises américaines. La croissance des bénéfices à la fin du premier trimestre pour les entreprises du S&P 500 a été quasi nulle. Une tendance similaire est escomptée pour le deuxième trimestre.

A cela il faut ajouter une augmentation du prix du baril (+8,26% dollars sur trois mois) et un raffermissement de l’euro contre le dollar (la parité est revenue à 1,11, en progression de 2,27% sur les sept derniers jours).

Pensez-vous que la parution des données économiques décevantes outre Atlantique a pesé dans la balance ?

Je ne le crois pas. A mon sens l’essoufflement de la reprise américaine a été occasionné en grande partie par les mauvaises conditions climatiques et les mouvements de grève sur la côte est des Etats-Unis qui ont notoirement conduit à des blocages dans des chaines de production au sein de l’industrie automobile. La conjoncture américaine devrait s’avérer meilleure au cours de la seconde partie d’année.
Je suis bien plus préoccupé par les doutes qui portent sur le comportement à venir de la Réserve fédérale américaine. Le marché intègre une remontée des taux en septembre. L’amélioration de la visibilité au niveau des indicateurs avancés au deuxième trimestre, en particulier sur le plan de la revalorisation des salaires, pourrait pousser la Fed à agir plus tôt que prévu.

C’est ce qui a sous tendu la nervosité dans l’univers des taux de ces dernières semaines ?

En autres. Plusieurs grands acteurs du marché obligataire parmi lesquels Bill Gross ont clairement signalé que le niveau négatif des taux constituait une opportunité pour initier des positions vendeuses. Cette stratégie menée par de multiples grands investisseurs institutionnels a entrainé un vent contraire pour les taux malgré le quantitative easing de la BCE. C’est ainsi que le Bund à dix ans est passé de 0,05% à 0,5% en l’espace d’une dizaine de jours alors que notre prévision de fin d’année était de 0,70%. La violence du mouvement a contribué avec les facteurs de risque susmentionnés à la correction sur les actions de la zone euro.
Une autre explication à la remontée des taux des deux côtés de l'Atlantique tient aussi à l’augmentation des chiffres d’inflation depuis Avril. On a ainsi assisté à une élévation des anticipations d'inflation à 5ans dans 5ans.

Selon vous, la phase de consolidation que l’on traverse doit être appréhendée comme présentant des opportunités d’achat ?

Il y a lieu de saisir les points d’entrée plus intéressants qui apparaissent dans la mesure où les fondamentaux économiques restent très solides. Je pense que la violence de l’appréciation des taux devrait assez rapidement prendre fin sous l’impulsion du retour d’investisseurs qui jugeront les niveaux désormais atteints suffisamment attrayants et avec l’aide des opérations entreprises par la BCE.
Nous cherchons pour notre part à réinvestir sur le marché des actions de la zone euro.

Quels thèmes jouez-vous principalement ?

Celui de l’euro faible avec par exemple le secteur du tourisme (avec Amelia, Accor) et les secteurs dérivés comme la restauration (avec Sodexo) ou les transports (avec Eurotunnel). Les conditions sont favorables pour voir des touristes étrangers, notamment américains venir massivement en Europe.
Un deuxième thème est celui des infrastructures (avec Eiffage, Abertis, ACS).
Un troisième thème est celui de la consommation européenne et les services cycliques comme les médias (avec TF1, M6, Mediatech).
Un dernier thème est celui des banques en raison du redémarrage du cycle du crédit au sein de la zone euro.

Nous évitons le thème des investissements de capacité du fait de la faiblesse des taux d’utilisation et de la négativité de l’output gap.

Quel est votre principal scénario adverse ?

Le principal scénario adverse est que le choc sur les taux s’amplifie et se transforme en krach obligataire. Sa probabilité de réalisation est peut être de 15%. Dans un tel scénario il faudra toutefois rester sur les actions de la zone euro qui continueront à garantir un rendement intéressant et des gains en capital mais s’éloigner de tous les secteurs à duration longue.

Quid du paramètre inflation au sein de la zone ? Celui pourrait-il compromettre le programme de la BCE ?
Le point bas de l’inflation a certainement été touché en avril. A présent nous devrions assister à un retour progressif de cette inflation en particulier sous l’effet de l’augmentation du prix du baril et à une révision graduelle des anticipations d’inflation à 2% à moyen terme. L’inflation devrait cependant demeurer suffisamment modérée pour permettre la persistance du calendrier du QE mené par la BCE jusqu’à septembre 2016.


Propos recueillis par Imen Hazgui