Interview de Arnaud  Lanctin : Gérant actions spécialisé sur le secteur bancaire chez Federal Finance Gestion

Arnaud Lanctin

Gérant actions spécialisé sur le secteur bancaire chez Federal Finance Gestion

ING, Intesa, Swedbank, Deutsche Bank, Unicredit : les opportunités d'investissement dans le secteur bancaire sont plus importantes ailleurs en Europe qu'en France

Publié le 28 Août 2015

A quoi vous attendez-vous pour le secteur bancaire européen au cours du second semestre de l’année ?
J’étais prudent sur le secteur bancaire européen depuis 2007. Finalement, je suis passé neutre en juin de cette année. Je n’ai pas estimé que les résultats du premier trimestre avaient permis de mettre en évidence des bonnes surprises. Les résultats du 2ème trimestre nous ont montré un renforcement du ratio de solvabilité grâce à des couvertures de changes sur les devises émergentes et une expansion des résultats grâce à la réduction plus rapide que prévu des provisions sur les crédits douteux.

Le consensus anticipe déjà une baisse du cout du crédit autour de 50 points de base d’ici 2017. Cela correspondrait à un point bas historique. La probabilité d’avoir de bonnes surprises sur les provisionnements est donc assez faible. Nous pourrions avoir de bonnes annonces sur la vitesse des ajustements d’un trimestre à l’autre en fonction de la mise en place des modèles internes (l’Italie est en retard) qui permet de dégager beaucoup de risques pondérés du bilan. Cependant ces modèles internes ont vocation à être harmonisé à travers l’Europe par la BCE d’ici quelques années.

Les banques qui sont dans l’optique d’un processus de réduction de couts agressif l’ont entamé. Ainsi ING va réduire de 41% la taille de son retail au Benelux. Les banques françaises sont dans une démarche plus mesurée qui devrait s’étaler dans le temps, la pression étant de nature structurelle. Il ne devrait pas y avoir de surprise non plus au niveau de contrôle des couts.

A ce sujet, les banques françaises vous paraissent-elles en retard par rapport à leurs homologues européennes ?

Le modèle de banque universelle suppose la conservation d’un réseau d’agences de proximité étoffé pour fidéliser leurs clients. Ceci étant dans ce processus de fermeture d’agences et de réduction du personnel, la France n’est pas en retard si on la compare à l’Espagne ou à l’Italie.

Quid de l’accélération de la distribution du crédit ?

Nous pensions en juin que cette accélération allait avoir lieu compte tenu d’un éventuel redémarrage de la machine européenne à la suite de la résolution du dossier grec. C’est ce qui nous a poussés à devenir neutres sur le secteur. Le ralentissement prononcé de la croissance chinoise, avec en parallèle le fort repli du cours des matières premières, sont venus changer notre opinion.
Il n’y a pas besoin que les banques soient directement exposées aux marchés émergents pour faire face à un ralentissement de la distribution du crédit. La plupart des entreprises internationales, clientes de ces banques, sont positionnées sur les marchés émergents qui subissent de plein fouet le contre coup des dévaluations des devises émergentes.

En outre, je jugeais trop bas le cout pondéré des capitaux, le « cost of equity ». Alors que ce cout était de 12% en pleine crise des dettes souveraines de la zone euro, il est tombé à 9% au deuxième trimestre de cette année. Présentement le capital subordonné (Tier one additionnel) est rémunéré 7,85%. Quand le « cost of equity » est tombé à 9%, cela signifiait que l’actionnaire n’exigeait qu’1% de plus de rémunération par rapport aux porteurs d’obligations subordonnées. C’était un niveau que j’estimais trop faible.
Ce « cost of equity » est remonté autour de 10%. Une méthode de valorisation stable dans le temps montre un rapport de 1 entre la rentabilité financière (ROE) et ce cout (COE) qui équivaut à la rémunération théorique des actionnaires requise pour permettre à la banque la poursuite de son activité. A mon sens, étant donné l’environnement difficile, la plupart des grandes banques européennes ne parviendront pas à court terme à avoir une hausse significative du ROE du fait des risques dont nous avons parlé. Avec un COE en hausse, le risque d’évolution du secteur est donc clairement de sous-performer le reste du marché.

Beaucoup s’attendent à un report de la décision de la Fed de remonter ses taux directeurs du fait de la dégradation du contexte international. Pensez vous que ce report pourrait être pénalisant pour les banques européennes ?

Un report de la hausse des taux pourrait provoquer un affaiblissement du dollar.
En revanche, nous ne tablons pas sur le fait que la hausse des taux de la Fed aura une incidence sur les taux européens du fait du soutien de la BCE. A présent, le maintien de taux très bas en Europe est pénalisant pour les marges d’intérêt des banques européennes. Celles-ci ont mis l’accent sur les frais et commissions pour compenser la faiblesse des revenus d’intérêts.
Pour cela, les banques mettent en avant l’épargne financière, via l’assurance-vie par exemple, et renégocient les crédits immobiliers. En l’absence de nouvelle faiblesse des taux, ce mouvement me semble largement derrière nous, et la faiblesse de la Bourse actuelle pourrait pénaliser les ardeurs des épargnants.

Quelles retombées entrevoyez-vous du fort ralentissement de la Chine et du fort repli du cours des matières premières sur les banques européennes au second semestre ?
Nous n’avons pas une grande visibilité de l’exposition des banques européennes sur la Chine. Lors de la présentation des résultats, la Chine était incorporée dans la région Asie hors Japon. Un éclaircissement que le marché escompte au troisième trimestre est l’exposition réelle à la Chine. Ce nouvel élément d’information sera probablement un facteur de discrimination. En montant du bilan, a priori BNP serait la plus exposée. Reste à voir ce qu’il en sera en pourcentage des fonds propres.
Les banques françaises sont assurément les banques européennes les plus exposées à la thématique des matières premières. A présent, il y a lieu de distinguer les différents pôles d’activité en relation avec cette thématique. Ainsi la partie la plus risquée dans le pétrole sera l’exploration, le financement d’une nouvelle mine ou d’un nouveau champ pétrolier. Cette partie ne représente qu’un infime pourcentage des crédits accordés. Le financement de la trésorerie ou des comptes courants des grandes compagnies pétrolières suppose une bien moindre menace.

La taxe sur les transactions financières ou la remise en cause du modèle de banque universelle constitue-t-elles des enjeux pour les prochains mois ?

La séparation entre l’activité retail et l’activité de banque d’investissement ne sera pas être actée à court terme dans l’Hexagone, même si celle-ci me parait incontournable dans un horizon plus éloigné.
La taxe sur les transactions financières est destinée à être essentiellement payée par les clients des banques dans la mesure où il y a de moins de transactions pour compte propre au sein des banques en raison des exigences réglementaires. Difficile de dire si ce dossier pourrait être bouclé d’ici la fin de l’année.

Êtes-vous d’avis que le mouvement de consolidation des banques va s’intensifier ?

Des rumeurs récurrentes courent au sujet de la volonté éventuelle de BNP d’acquérir Commerzbank en Allemagne. Cette cible n’est cependant pas facile.

Quel est le sens de votre réflexion aujourd’hui sur le secteur bancaire européen ?

Le sens de notre réflexion est de sous pondérer le secteur au cours des prochaines semaines. Le secteur bancaire européen a surperformé pendant l’été car il a été jugé domestique. Il y a un malentendu à ce sujet. Le marché devrait finir par s’en rendre compte. A cela s’ajoutent nos doutes sur la capacité à générer abondamment plus de crédit et à poursuivre la hausse des frais et commissions et nos craintes relatives à la hausse du cout pondéré du capital, et des marges d’intérêts.

Peut-on admettre que les opportunités d’investissement dans le secteur bancaire sont plus importantes ailleurs en Europe qu’en France ?

Oui car nous arrivons à trouver ailleurs en Europe des business modèles plus simples, plus prévisibles, avec moins de levier, et plus rentables. Nos valeurs préférées sont ING, Intesa, deux titres très consensuels. Le développement d’ING sur Internet, contrairement à celui de BNP avec Hello Bank par exemple, se veut offensif, partout en Europe, pour gagner de nouvelles parts de marché et non seulement garder les clients déjà existants.
Nous apprécions également Swedbank malgré l’inquiétude sur l’éclatement d’une bulle immobilière en Suède, pour la visibilité de son dividende et sa très forte rentabilité. Nous avons également une vision constructive pour des raisons opposées sur Deutsche Bank et Unicredit qui ont vocation à connaitre une simplification de leur structure à la suite d’un changement effectué de manager pour l’une et d’un nouveau plan majeur quinquennal attendu en novembre pour l’autre. Ces deux dossiers présentent a priori un fort potentiel de performance, avec des risques d’exécution élevés.

La définition du TLAC devrait être précisée lors du prochain sommet du G20 à Ankara en novembre. D’aucuns escomptent une définition moins pénalisante pour les banques françaises suite à un aménagement apportée par la législation allemande. Les déclarations découlant de ce sommet pourraient-elles se révéler source de revalorisation additionnelle pour les banques françaises ?

Toutes les banques françaises ne devraient pas profiter de cette évolution si elle a bien lieu. BNP a toujours indiqué qu’elle envisageait d’introduire dans ce ratio TLAC de la dette senior. Tel n’était pas le cas pour SG et CASA.
A présent, ce ratio TLAC doit être respecté à horizon 2019. Je ne pense pas en cela que pour le moment les investisseurs sur le secteur bancaire aient en tête cet aménagement possible, encore moins les investisseurs particuliers.

  A lire également la première partie de l'interview :


"Parmi les quatre banques françaises cotées, notre préférence va clairement pour Natixis : voir le cours repasser sur les 5 euros est une aberration"

Propos recueillis par Imen Hazgui