Interview de John Glen : Directeur Finances et Administration d’Air Liquide

John Glen

Directeur Finances et Administration d’Air Liquide

Nous ne sommes pas immunisés contre tous les changements de conjoncture, mais nous sommes tout de même dans une industrie plutôt résistante à ces évolutions.

Publié le 22 Février 2008

Air Liquide a publié un chiffre d’affaires de 11,8 milliards d’euros sur l’exercice 2007, en hausse de 7,8% par rapport à 2006 ainsi qu’un résultat net en progression de 12,1%, à 1,2 milliard d’euros. Quel commentaire vous inspire ces chiffres ? Quels ont été les moteurs de croissance ?
Ce sont des résultats d’excellente qualité. La croissance du chiffre d’affaires de +7,8% par rapport à 2006 a été réalisée au cours d’une année sans démarrages significatifs de grandes unités de production. Il faut noter par ailleurs que l’année 2007 a été impactée négativement par l’effet de change, en particulier du dollar et du yen. Hors cet effet de change négatif, la croissance de notre chiffre d’affaires aurait atteint +10,8% !

Nous avons également amélioré la rentabilité, donc la marge opérationnelle des l’activité Gaz et Services, si bien que nous avons pu dégager un résultat net en progression de 12,1%, à 1,123 milliard d’euros.

Toutes nos géographies sont en croissance. Notre principal moteur est la zone Asie-Pacifique, où nous bénéficions de positions fortes sur des marchés en forte progression. L’activité Asie-Pacifique a ainsi crû de 14,5% sur l’année, à base comparable, tandis qu’aux Etats-Unis, la croissance, certes plus modeste, a atteint 4,6%. Ceci étant, notre business plan en Amériques est très lié à notre activité Grande Industrie, et nous n’y avons pas eu de démarrages significatifs d’unités de production. Comme nos clients de cette activité sont déjà à des taux d’utilisation élevés de leurs capacités de production, nous n’avons pas pu augmenter la quantité de molécules vendues. Aux Etats-Unis, l’activité Grande Industrie a donc tenu un niveau fort de demandes, mais il n’y a pas eu de pic de croissance d’une année sur l’autre. En Europe, l’activité Gaz & Services a progressé de près de 6%, à base comparable, avec une bonne progression de toutes les activités. Ceci démontre la solidité du modèle économique d’Air Liquide et la robustesse de son portefeuille d’activités en Europe.

Si l’on regarde par branches d’activités, nous constatons que la Grande Industrie a progressé de 7,1%, l’Electronique a cru de façon très forte à près de +17%, en particulier en Asie, l’activité Industriel Marchand a gagné +4,8% et la Santé +8,7%, avec une forte croissance de cette dernière en Europe grâce à la contribution des acquisitions dans les soins à domicile menées en Allemagne et au Royaume-Uni.

Vous avez annoncé le lancement du programme Alma. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?
Alma est le projet d’entreprise du groupe Air Liquide. Il comporte trois composantes. La première consiste à trouver des leviers pour accélérer la croissance du groupe, en se fondant sur l’évaluation des marchés fortement porteurs. Le principe est donc de permettre au groupe de mieux identifier ces opportunités : c’est le programme Growth.

La deuxième composante est un programme d’efficacité (Goal) dont l’objectif est de réduire les coûts de 600 millions d’euros sur une période de trois ans.

Enfin, la dernière composante concerne la productivité dans nos actifs et de nos investissements (Capital). Autrement dit, nous cherchons à réduire l’intensité capitalistique (notre métier étant très capitalistique), que ce soit pour nos actifs existants, mais également pour les nouveaux investissements que nous effectuons.

Au-delà, Alma comprend quatre projets pour accompagner le changement de l’entreprise :
- la définition des business models qui vont nous servir à identifier où sont les opportunités et quels sont les critères de succès nécessaires au bon développement de notre business dans ces nouveaux marchés,
- le développement de nos collaborateurs : nous allons devoir recruter dans les années à venir, 25 à 30 000 personnes. Il va donc falloir gérer les talents, c’est-à-dire non seulement recruter, mais également former, accompagner l’évolution de ces talents, autant dans les économies émergentes que dans les pays matures…
- l’évolution de la «culture du groupe» car on ne peut pas entamer un changement de trajectoire, qui va conduire le groupe à doubler de taille, sans faire évoluer notre propre culture d’entreprise,
- la communication de l’entreprise, à destination de nos clients, de nos investisseurs... Air Liquide est un groupe connu, mais insuffisamment encore. Nous allons donc accroître la visibilité du groupe, et mieux faire connaître les solutions environnementales ou d’économies d’énergie qu’il peut apporter…

Vous évoquez dans la partie «Goal» une réduction des coûts sur trois ans de 600 millions d’euros. Comment êtes-vous parvenus à ce chiffre ?
Quand on cherche à réaliser des économies de l’ordre de 600 millions d’euros, il faut s’attaquer aux grandes sommes. Or, le premier poste de dépenses du groupe réside dans le domaine de l’énergie (gaz naturel, électricité, transport, etc.) qui représente quelque 3 milliards d’euros sur 9 milliards de coûts ! Dans ce domaine, nous pouvons mener beaucoup d’améliorations, que ce soit dans la manière d’acheter l’énergie, de la consommer ou d’optimiser nos unités de production pour réduire notre consommation énergétique…

Cette réduction des coûts va-t-elle se traduire par davantage de sous-traitance ou des fermetures d’usines ?
Nous faisons appel à la sous-traitance dans la maintenance par exemple, et dans ce domaine, nous travaillons à une plateforme européenne pour améliorer nos achats…

En revanche, réduire les coûts en supprimant des emplois n’est pas le sujet. Notre activité est plus intensive en capital qu’en main d’œuvre ! Notre objectif de réduction des coûts doit permettre de réduire l’intensité capitalistique de nos nouveaux investissements, tout en travaillant sur la productivité de nos actifs plus anciens, sur des marchés capables de générer davantage de croissance.

Pouvez-vous revenir sur les acquisitions majeures d’Air Liquide sur l’exercice 2007 et nous en donner un premier bilan ?
Nous pouvons les classer en trois catégories.

Nous avons racheté les minoritaires de sociétés que nous détenions en co-entreprises en Asie, à l’issue de la fusion de Linde et BOC. Suite à cette fusion, Linde a été contraint de céder ses participations. Nous avons donc racheté les parts minoritaires de ces sociétés au Japon, à Singapour, en Thaïlande, à Brunei et au Vietnam. Nous connaissons bien ces entreprises puisque nous en avions déjà le management.

L’acquisition de la société d’ingénierie Lurgi nous permet en outre d’élargir notre portefeuille de technologies, notamment en accédant aux technologies indispensables au marché de l’énergie (gazéification, hydrogène pour enlever le soufre des carburants, biocarburants de deuxième génération…).

Enfin, nous avons effectué une série de petites acquisitions dans des segments de marché que nous trouvons particulièrement intéressants. Le plus évident est celui des soins à domicile dans la Santé : il s’agit d’un marché encore très fragmenté, où nous avons la capacité de jouer le rôle de consolidateur en faisant l’acquisition d’un portefeuille de petites sociétés immédiatement intégrées à nos plateformes. Nous avons ainsi mené avec succès des acquisitions en Allemagne et au Royaume-Uni, si bien qu’aujourd’hui, nous sommes leader en Allemagne (et en France) et numéro 2 au Royaume-Uni sur le marché des soins à domicile, en fort développement. On peut aussi citer l’acquisition aux Etats-Unis d’une très belle marque dans un secteur de niche à forte croissance : Scott Specialty Gases, qui produit des gaz spéciaux.

Envisagez-vous de nouvelles acquisitions, si oui, dans quelle région du monde et dans quels secteurs ?
Il existe toujours des opportunités de croissance externe, y compris dans les secteurs déjà très consolidés. Nous continuerons à mener des acquisitions de taille petite et moyenne, sur des marchés bien ciblés, aussi bien dans les économies émergentes que dans les marchés matures.

Pourriez-vous nous détailler la composition de votre actionnariat ? Comment espérez-vous le voir évoluer ?
Actuellement, notre actionnariat se compose d’environ 37% d’actionnaires individuels, dont la majeure partie est Français, d’environ 1% d’actionnariat salarié, auxquels s’ajoutent 62% d’actionnaires institutionnels, français et internationaux.

Nous sommes très attachés à nos actionnaires individuels qui constituent depuis plus de 100 ans une force d’Air Liquide. Nous souhaitons continuer à développer ce lien étroit qui existe entre ces «petits porteurs» et notre groupe, en veillant à ce que leur part dans notre capital se maintienne ou progresse. Nous menons beaucoup d’actions pour encourager leur loyauté (communication, services avec la création d’un Espace actionnaires dans notre siège à Paris…). Mais la meilleure manière de fidéliser nos actionnaires est évidemment de réaliser de bons résultats !

Assez régulièrement, Air liquide est l’objet de rumeurs de fusions ou de rachats par de grands groupes, d’ailleurs Eurazeo a porté à 5,5% sa participation dans votre capital... Cela vous inquiète-t-il et que feriez-vous si une telle éventualité devait se présenter ?
Nous ne commentons pas les rumeurs de marché.

Un ralentissement économique aux Etats-Unis, voire dans le reste du monde, peut-il notablement impacter vos résultats ?
Nous ne sommes pas immunisés contre tous les changements de conjoncture, mais nous sommes tout de même dans une industrie plutôt résistante à ces évolutions.

Nous avons une bonne visibilité à travers nos contrats et nous n’avons pas, à ce jour, identifié dans notre activité de signaux clairs d’un éventuel ralentissement économique aux Etats-Unis.

Aux Etats-Unis, notre principale activité est la Grande Industrie (fourniture de molécules en grandes quantités à nos clients raffineurs, chimistes, sidérurgistes….) dans laquelle nous signons des contrats à 15 ans. Nous sommes donc sans doute un peu plus à l’abri que d’autres industriels… Dans notre activité Industriel Marchand,  nous couvrons pratiquement tous les secteurs de l’industrie d’une économie développée, ce qui peut nous permettre de mieux  «amortir» un éventuel ralentissement économique...

Nous restons vigilants, mais, à ce jour, nous n’observons pas de signaux concrets de ralentissement.

La Chine est un pays central dans votre stratégie de développement. Quelle est la solidité des clients chinois ? Quel est votre plan d’investissement dans ce pays ?
La Chine représente un énorme potentiel, non seulement parce que sa population est très importante, mais surtout parce que les Chinois développent de façon très rapide des infrastructures sidérurgique, chimique, de raffinage… qui sont justement les clients d’Air Liquide !

Notre activité y connaît une croissance très forte, et nous y investissons de façon plus importante et plus rapide : dans le portefeuille d’investissements du groupe en 2007, la Chine représentait déjà près de 20% des décisions d’investissements.

Nos clients en Chine sont à la fois des clients internationaux comme BASF, et des groupes Chinois. Nous n’avons pour l’instant pas d’inquiétude sur leur solidité financière… La croissance de la Chine n’est pas prête de s’arrêter, et ce pays offre à Air Liquide d’énormes opportunités de croissance.

Propos recueillis par Nicolas Sandanassamy