Interview de Jean-Pierre Clamadieu : Président directeur général de Rhodia

Jean-Pierre Clamadieu

Président directeur général de Rhodia

Paris, capitale mondiale de la Finance carbone

Publié le 07 Juillet 2008

Qu’est-ce que la Finance carbone ?
Il s’agit d’un levier puissant qui permet d’atteindre un certain nombre d’objectifs d’intérêt général.
Pour réduire les émissions de gaz dues à l’effet de serre, il a été estimé dans le cadre du protocole de Kyoto qu’un outil de marché pouvait s’avérer être plus efficace qu’une réglementation (sur les usines, les véhicules, le chauffage des logements…) ou qu’une taxe sur les émissions de CO2.  C’est ainsi qu’un dispositif de cap and trade a été concrètement institué en Europe depuis 2005.

10 000 installations industrielles européennes, dont 1000 installations en France se voient attribuer au premier janvier de chaque année le droit d’émettre un certain nombre de tonnes de CO2, en fonction de leurs émissions historiques, et la possibilité de s’échanger les droits alloués sur un marché spécifique.

Ainsi, si l’entreprise émet plus que ce qu’elle a reçu en allocation, elle doit alors acheter des crédits, si elle émet moins, elle peut valoriser ses moindres émissions en vendant ses crédits sur le marché.
 
De manière sage, la Commission européenne a décidé que ce marché fonctionnerait dans un premier temps de manière exploratoire entre 2005 et 2007.

A partir de janvier 2008, nous sommes entrés dans la véritable phase de fonctionnement de ce marché. Dans le protocole, les objectifs que se sont assignés les Etats signataires, renvoient aux émissions qu’ils vont réaliser pendant la période 2008-2012.

Quel est l’état de fonctionnement du système à ce jour ?
Parce qu’on avait alloué lors de la phase préliminaire un peu plus de crédits que ce qui était nécessaire afin d’assurer l’équilibre du marché, la valeur des crédits s’est fortement réduite au fil du temps.
Actuellement le marché fonctionne de manière relativement satisfaisante, avec une bonne liquidité. Il réagit à un certain nombre de signaux comme le coût de l’énergie, les besoins en énergie eu égard au climat.

Quelle est l’importance de ce marché ?
Il s’est échangé l’année dernière environ 60 milliards d’euros de valeur de crédits.

Ce mécanisme ne concerne t-il que les entreprises ?
Non. Le Protocole de Kyoto  prévoit que les Etats peuvent également acheter et vendre ces droits.

De quelle manière cela se passe-t-il dans le reste du monde ?
Un certain nombre d’autres mécanismes ont été mis en place sous des appellations différentes qui reposent tous sur l’idée que lorsqu’on réalise dans un certain nombre de régions du monde, en particulier les pays en développement, des projets qui conduisent à réduire les émissions de gaz à effet de serre, on reçoit des crédits qu’il est possible de valoriser sur des marchés dédiés comme le marché européen.

Pourquoi un groupe comme Rhodia s’est-il intéressé au sujet ?
Nous avons eu l’opportunité de développer dans un certain nombre de pays en développement des «clean development mechanism» (CDM). De fait, Rhodia est titulaire aujourd’hui d’un important portefeuille de crédits carbone, que nous valorisons sur le marché européen, que nous vendons à un certain nombre de gouvernements qui recherchent des crédits.
C’est devenu une véritable activité qui pèse de manière significative dans les résultats du groupe. Le portefeuille que nous détenons jusqu’en 2012 représente environ 80 millions de tonnes, soit près d’un milliard d’euros en valeur cumulée.
Nous avons créé une joint-venture avec Société Générale, Orbeo, pour faire du trading de CO2 dans le but d’optimiser la valeur de ce portefeuille de crédits. Nous mettons notre savoir-faire au service d’autres entreprises qui ont dans ce domaine des potentiels, des objectifs, ou des besoins en matière de crédits CO2 pour faire face à leurs émissions futures.

Pour quelles raisons la place de Paris aurait-elle un rôle à jouer dans cette finance ?
Il y a sur la place de Paris un certain nombre d’acteurs qui contribuent à l’essor de cette industrie naissante mais qui se déplacent en ordre dispersé.
La Finance carbone en Europe repose sur des allocations de crédits et la mise en place de registres qui ont été développés par la Caisse des dépôts qui a vendu le concept à un certain nombre d’autres Etats. Plusieurs banques comme Société Générale, BNP, Calyon… sont entrées sur ce marché en se disant qu’il y avait dans le domaine la base d’une activité significative.

Orbeo est en cela une idée intéressante d’alliance entre une banque et un groupe industriel.
EDF est un acteur important avec EDF trading. Des places de marché se sont développées autour des permis européens et des instruments internationaux, comme Bluenext, filiale de NYSE-Euronext.
Il y a lieu de rechercher les synergies qui peuvent exister entre ces différents acteurs afin que se développe autour de la place de Paris une véritable filière carbone.
Nous avons alors, au sein de la commission Finance carbone mise en place dans le cadre de l’organisation Paris Europlace, élaboré un rapport et formulé un certain nombre de propositions.

Paris a des atouts à faire jouer aux côtés de Londres pour devenir la capitale mondiale de la finance carbone.

Quelles sont les idées sous-jacentes à ces propositions ?
Rendre possible ou facile la gestion d’actifs carbone au sein des fonds gérés en France. Il y a à ce jour des contraintes réglementaires qui font obstacle. Les fonds carbone gérés à Paris sont des fonds luxembourgeois. Il y a lieu de faciliter la constitution de fonds qui commenceraient à acheter des crédits post 2012 comme certains organismes internationaux ont commencé à le faire.

Cette Finance carbone suppose ensuite que les administrations des différents pays dans lesquelles ces marchés se développent soient adaptées pour être en mesure de répondre aux besoins. Il existe en France une mission interministérielle de lutte contre l’effet de serre (la MIES) qui a ses équivalents dans tous les pays européens signataires de Kyoto qui a un important rôle à jouer dans le mécanisme de cap and trade.

Or la MIES a 10 fois moins d’effectifs que son homologue londonien. Ce qui signifie des délais plus longs dans l’instruction des dossiers, une moindre agilité faute de ressources.

Jean-Louis Borloo a décidé dans le cadre de la mise en place de son ministère de l’environnement, du développement et de l’aménagement durable de créer une grande direction climat énergie regroupant les anciens de la DGEMP (Direction générale de l’énergie et des matières premières), de la MIES et d’autres.

Une difficulté dans le développement de ce marché est 2012 qui marque la fin du protocole de Kyoto…
En effet. Il n’y a pas de doutes que l’on continuera à échanger des permis au-delà de cette date. Mais les règles du jeu ne sont pas claires.
Il faut donner de la visibilité, de la prévisibilité aux acteurs, et de ce fait vite comprendre ce que seront les règles du jeu après 2012.

La France s’est vue ouvrir une opportunité importante. C’est dans les prochains mois, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne que les règles du jeu devraient être fixées.

Il faut que nous ayons le plus rapidement possible une directive approuvée qui nous dessine clairement le chemin, et que la négociation internationale sur le nouveau traité qui remplacera Kyoto, avance.

Propos retranscrits par Imen Hazgui à la suite de la 15ème édition du forum financier international organisé par Paris Europlace le 2 et 3 juin 2008