Interview de Frédéric Vincent : Directeur général délégué de Nexans

Frédéric Vincent

Directeur général délégué de Nexans

Pour Nexans, la croissance externe est un levier. Nous en avons fait beaucoup et continuerons d’en faire...

Publié le 30 Novembre 2007

Le chiffre d'affaires à cours des métaux non-ferreux constants a atteint 3,6 milliards d'euros sur les 9 premiers mois de l'année, avec une croissance organique de 12,8% pour les activités câbles. Quels ont été les moteurs de cette croissance ?
Il y en a trois : le premier concerne les réseaux d’infrastructures d’énergie. Il s’agit du segment de marché dans lequel nous vendons des câbles haute, moyenne et basse tension à des opérateurs d’électricité. Dans ce secteur, les besoins mondiaux sont importants, notamment en termes d’interconnexion transfrontalière des réseaux haute tension (terrestres ou sous-marins).

En Europe, ces besoins sont particulièrement importants compte-tenu de la libéralisation des échanges qu’impose Bruxelles. La demande est également forte en Amérique du Nord où les réseaux d’énergie sont vieillissants suite à une longue période de sous-investissements de la part les grands opérateurs d’électricité, de 1975 à 2003.

Enfin, dans tous les pays émergents, les besoins sont également notables tant en matière de liaisons moyenne ou haute tension, que de réseaux de distribution électriques liés aux nombreux projets d’urbanisation en cours.

Dans le domaine des infrastructures d’énergie, je signalerais pour terminer un dernier facteur de progression : le poids croissant de l’éolien. En effet, tous les gouvernements, aux Etats-Unis comme en Europe, partagent désormais un même objectif : l’éolien doit représenter 10% de leur production énergétique globale.

La conjonction de l’ensemble de ces facteurs nous a ainsi permis d’afficher une croissance d’environ 10% dans le secteur des réseaux d’infrastructures énergie.

Un second élément tire également la croissance organique : il s’agit du marché de l’industrie pour lequel nous fournissons des câbles spéciaux aux industriels qui les incorporent dans leurs produits. Dans ce domaine, deux secteurs sont en très forte progression : l’industrie pétrolière et les transports.

Pour le premier, nous vendons des câbles à des opérateurs ou à des sociétés spécialisées dans l’exploration pétrolière ; nous fournissons également à ce secteur beaucoup de câbles ombilicaux, câbles haute tension sous-marins, câbles spéciaux pour les plate-formes pétrolières, ainsi que des câbles pour les raffineries.

Aujourd’hui, avec un prix du baril de pétrole avoisinant les 100 euros, cela représente un potentiel de développement très important pour Nexans. Second secteur qui pousse notre croissance, le secteur des transports qui englobe la construction navale, le ferroviaire et l’aéronautique. L’ensemble de nos métiers industriels connaît ainsi aujourd’hui une croissance en volume de l’ordre de 15%.

Enfin, dernier secteur d’activité qui connaît une croissance forte : les câbles pour le bâtiment. Ce marché dont la croissance suit à peu de chose près la croissance du PNB mondial dans les pays où nous sommes présents, bénéficie depuis plusieurs années de structures de prix favorables.

Quel a été l’impact du prix des matières premières (cuivre, plastique, etc.) sur votre résultat opérationnel ? Et la parité euro/dollar…
Si l’on prend le cas des grandes matières premières utilisées par Nexans, comme le cuivre pour lequel notre groupe est le premier consommateur au monde, nous répercutons de manière automatique les variations de prix du cuivre dans nos tarifs de vente, ce qui signifie qu’aujourd’hui nous sommes insensibles à la variation à la hausse de ces cours.

Concernant les autres matières, plastiques pour l’essentiel, elles représentent une part moins importante. Nous n’avons pas de problème particulier soit pour répercuter les évolutions de prix de ces matières premières à nos clients, soit pour les absorber.

En résumé, la hausse du prix des matières premières n’est pas un sujet d’inquiétude pour notre groupe.

En ce qui concerne la parité euro/dollar, dans la mesure où l’industrie du câble est essentiellement une industrie régionale, l’impact est minime. Généralement, nous vendons là où on fabriquons, d’où une sorte de couverture géographique naturelle.

Les seuls points sensibles sont liés aux activités à la grande exportation, c’est-à-dire tous les grands chantiers où l’on vend en dollar après avoir produit en euro. Ceci correspond à environ 500 millions d’euros de chiffre d’affaires. Là, nous sommes effectivement exposés à une baisse du prix du dollar.

Selon certains analystes, entre 1/5ème et 1/4 de votre chiffre d'affaires découlerait des câbles de construction. Cet élément a fait craindre au marché que Nexans soit exposé à la crise des subprimes…
L’activité des câbles pour le bâtiment représente environ 750 millions d’euros en Europe, et environ 200 millions d’euros en Amérique du nord, à quoi il faut encore ajouter 200 millions d’euros de chiffre d’affaires dans les pays émergents.

Sur la partie américaine, l’exposition est faible, avec un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros. La part des câbles résidentiels ne représente en outre que 15 à 20% de notre offre. On voit donc que la crise du résidentiel ne nous affecte pratiquement pas, sachant par ailleurs qu’aux Etats-Unis, les câbles pour bâtiments commerciaux ou industriels sont biens positionnés.

Quant à l’Europe, le secteur de la construction progresse au rythme du produit national brut. Le marché espagnol est certes un peu plus difficile qu’il ne l’était auparavant, le marché résidentiel ayant baissé ; toutefois, les marchés des constructions industrielles et commerciales restent normalement orientés.

La baisse est donc compensée, si bien qu’aujourd’hui notre activité bâtiment se tient très bien. D’ailleurs, la progression que nous avons annoncée au troisième trimestre de cette année devrait être identique au quatrième de l’année 2007.
 
Nexans vient d’annoncer la signature d'un accord cadre portant sur l'acquisition de Madeco, le leader du secteur câbles en Amérique du Sud. Que représente Madeco en termes de chiffres d’affaires, de parts de marché… ?
Jusqu’à présent, Nexans avait une présence assez modeste en Amérique du Sud, or nous souhaitons nous développer dans les marchés émergents.

Nous cherchions donc à acquérir de la croissance et de la profitabilité. Nous avons eu l’opportunité, en initiant des discussions avec Madeco, d’acquérir le n°1 en Amérique du Sud en terme de part de marché, avec notamment une très forte présence au Brésil où cette société représente 50% du marché du câble.

Ce continent, en forte croissance, est très fortement poussé par les besoins en infrastructures d’énergie. C’est également un continent, surtout en ce qui concerne le Brésil et le Chili, dont les activités industrielles ne cessent de croître. A titre d’exemple, certains avions Air France sont désormais construits par Embraer au Brésil.
 
Le secteur industriel au Brésil, lié au besoin de développement, est donc en plein essor. Sur ces bases, le marché sud américain enregistre une croissance d’environ 10 à 12% par an et Madeco fait mieux puisque le groupe affiche une croissance de 15% depuis deux ans.

Nous sommes allés chercher non seulement de la croissance sur un continent en fort développement, mais également de la profitabilité puisque celle enregistrée par Madeco est pratiquement le double de celle de Nexans.

En 2007, le chiffre d’affaires de Madeco sera d’environ 800 millions de dollars, pour une profitabilité exprimée en Ebitda sur ventes de l’ordre de 10 à 11%. C’est un ensemble très bien géré, avec un bon positionnement et de fortes parts de marché en câbles d’énergie et industriels.

Pourriez-vous nous détailler les termes du contrat ?
Le souhait des actionnaires de Madeco était d’adosser la société à un grand groupe, en échangeant au travers de l’accord que nous venons de signer, 100% de leur activité câble en Amérique du Sud, contre une participation de 9% au capital de Nexans, le leader mondial.

C’est un peu un accord de «swap» qui se fait, au terme duquel nous avons une composante action, c’est-à-dire que nous rémunérons l’apport qui va nous être fait en émettant 2,5 millions d’actions, et en versant un complément en cash de l’ordre de 300 millions d’euros.

Quelles sont les synergies et les perspectives financières attendues d’une telle acquisition ?
Nous allons développer Madeco, comme nous l’avons fait avec Olex acquis un an plus tôt, en lui apportant l’ensemble des produits qui ne sont pas présents dans sa gamme comme les câbles haute tension, les câbles isolés ou spéciaux pour l’industrie aéronautique, ou encore les infrastructures pétrolières, en particulier au Brésil avec Petrobras.

Les synergies que nous allons développer résulteront donc, pour l’essentiel, de la diffusion au sein du réseau commercial de Madeco de produits Nexans. Madeco bénéficiera également d’une plus grande capacité financière par le biais des programmes d’investissements de Nexans. Nous allons apporter l’investissement nécessaire au développement de l’outil industriel pour que Madeco atteigne l’excellence industrielle et améliore ainsi sa profitabilité.

D’autres dossiers sont-ils actuellement à l’étude ?
Nous avons  constamment plusieurs dossiers en cours d’examen même s’ils ne sont pas par nature tous retenus. Cette opération avec Madeco avait été lancée au mois de mai, ce qui vous donne une idée du temps parfois nécessaire pour mener à bien ce type de projets.

Quoiqu’il en soit pour Nexans, la croissance externe est un levier de croissance. Nous en avons fait beaucoup jusqu’à présent et continuerons d’en faire, d’une part, dans les métiers de l’énergie, compte-tenu de notre place croissante sur ce marché, et d’autre part, dans des zones géographiques où notre présence n’est pas encore suffisante (aux Etats-Unis et en Inde notamment).
 
Quel commentaire vous inspire l’évolution de votre titre ?

Le titre Nexans a baissé d’environ 30% depuis le mois de juillet. Je crois qu’il exprime une inquiétude générale des marchés sur le secteur des biens industriels. Sur le secteur de la construction, le marché semble ne pas savoir comment l’économie mondiale va s’orienter en 2008.

Il me semble donc que c’est cette incertitude que reflète surtout l’évolution du titre. Ce que nous répondons à nos investisseurs et actionnaires c’est que la stratégie de Nexans consiste justement à se positionner sur des métiers à cycle long et réduire ainsi notre exposition aux cycles économiques.

Quand ceci sera mieux assimilé, le cours devrait remonter. Ce qu’il faut comprendre, c’est que cela ne nous empêche pas de continuer à bâtir une stratégie de développement commercial, industriel et de croissance externe. Le marché devrait nous en donner crédit. 

Propos recueillis Nicolas Sandanassamy