Interview de Patrice Etienne : Interview du PDG et fondateur de Winfarm

Patrice Etienne

Interview du PDG et fondateur de Winfarm

Notre ambition ? Accompagner la transition alimentaire.

Publié le 30 Novembre 2020

Pouvez-vous nous présenter votre entreprise en quelques mots ?

Winfarm est le leader français de la distribution et de la vente à distance de produits agricoles. Il compte à ce jour 250 salariés, un large catalogue de 14500 produits et services et plus de 41000 clients. Nos activités se déclinent sur quatre volets : agrfourniture, agroexpérimentation, agronutrition et agroconseil. Axées sur une certitude : la distance n’est pas un frein au levier de développement. Le modèle traditionnel et vieillissant des coopératives agricoles s’appuie sur la proximité physique, dans un monde agricole traversé par de profonds et rapides changements. Dans ce contexte, appuyé par l’intégration galopante du digital dans les exploitations, Winfarm représente une opportunité pertinente pour un très grand nombre de professionnels du secteur au service de leur performance opérationnelle et de leur compétitivité.

Vous avez fondé le groupe Winfarm en 1990, que vous dirigez depuis. Pouvez-vous nous résumer votre parcours ?

Fils d’agriculteur, je suis diplômé de l’école d’agronomie de Rennes. À la suite de laquelle je me suis d’abord exercé au management dans un lycée agricole pendant deux ans, avant de céder à l’envie d’entreprendre. Autour d’une première idée : avec Agri-Tech Service, proposer du conseil indépendant dans le domaine de l’agronomie. J’ai ainsi pu acquérir la confiance d’un réseau d’agrimanagers, et découvrir à leur contact combien le choix de l’indépendance représentait pour eux une précieuse souplesse dans les achats liés aux cultures. En germe se trouvait ici l’idée d’une deuxième activité : la distribution, lancée en 1996 sous le nom de Vital Concept. Nous l’avons imaginée sur un modèle novateur dans notre milieu en appliquant le principe de la vente à distance à destination du secteur de la polyculture élevage. De cette façon, notre stratégie était à la fois d’entrer dans les processus de production, mais aussi de nous orienter vers le consommable afin de nous baser sur le principe de récurrence.

Comment avez-vous résolu la question de l’acheminement des marchandises vers vos clients ?

Quatre ans après le lancement de Vital Concept, nous avons fait le choix audacieux de nous doter d’une couverture nationale pour bénéficier d’un outil logistique moderne et performant. Une nécessité afin d’acheminer des commandes dont le poids moyen est de 1,2 tonne : ce n’est pas tout de vendre, il faut aussi savoir livrer ! Cette grosse prise de risque s’est révélée payante, car les treize plateformes régionales dont nous disposons aujourd’hui en France nous permettent de répondre avec précision aux besoins de nos clients. Et de nous adapter facilement à leur évolution en ajustant notre flotte de poids lourds dédiée à la livraison finale. Une fois le socle et le modèle de l’entreprise posés, nous nous sommes tournés en 2004 vers l’achat d’Alphatech, une activité de compléments alimentaires pour animaux d’élevage. Nous avions en effet l’intuition de l’importance stratégique de ce marché du bien-être animal et des produits naturels à base de plantes permettant de réduire le recours aux médications. Malgré l’opposition de lobbys puissants, nous avons persévéré dans la recherche de moyens d’améliorer concrètement les conditions d’élevage en respectant l’éthique animale. Et pu ainsi démontrer que l’ambitieux challenge de produire naturellement représente aussi un levier de résultat concret : il ne nuit pas à la performance, au contraire. Un succès validé par le rayonnement de cette activité : aujourd’hui, nous réalisons 60 % de son CA à l’international !

Le groupe Winfarm dispose aussi d’une activité de recherche ?

Depuis la fondation de l’entreprise, nous cherchons en permanence à innover et à créer de la valeur. Il était donc logique de nous doter dès que possible d’installations dédiées à la recherche. Ce que nous avons fait en 2017 avec la ferme expérimentale Bel Orient qui nous permet à la fois de tester nos produits et services avant leur commercialisation, d’accélérer notre innovation interne, de former nos personnels et d’identifier de nouveaux besoins. Cet outil nous maintient ainsi en prise directe avec le métier de nos clients, et le souci de trouver pour chacun d’eux le moyen de booster sa rentabilité. Difficile de ne pas parler en même temps, sur ce chapitre, de la constitution d’une base CRM qui nous permet de les suivre de façon extrêmement précise. Winfarm ayant pris tôt le virage du digital, cet outil est aujourd’hui le premier du secteur et repose sur une innovation permanente et ambitieuse. Machine-learning, production, structuration et interprétation de data, algorithmes de recommandation d’achats nous permettent un accompagnement toujours plus personnalisé et pertinent de nos clients. De quoi proposer à chacun une sorte de mini-catalogue adapté à la singularité de son profil.

L’activité du groupe s’est développée aussi vers la diversification…

En effet. La première date de 2007, dans un domaine très proche de l’agriculture puisque c’est le marché des professionnels du cheval, avec la marque Equideos. Nous y avons appliqué le concept Winfarm en proposant une offre large, avec succès : la croissance annuelle moyenne de ces dernières années oscille entre 20 et 25 %, et nous y avons acquis une notoriété nationale. En 2013, nous nous sommes lancés dans une seconde diversification sous la marque Vital Concept Paysage, cette fois-ci orientée vers le marché français du paysage : les paysagistes, gestionnaires de parcs, collectivités locales ou campings qui tiennent et aménagent les espaces verts. Dans cette activité également, nous enregistrons une forte croissance.

Le groupe Winfarm a-t-il souffert du contexte actuel de pandémie ?

En 2019, notre chiffre d’affaires consolidé s’élevait à 87 millions d’euros, en croissance de 8 % par rapport à 2018. Celui de 2020, en projection, atteindra 97 millions pour une croissance de 12 %. Autant dire que notre modèle de distribution est hautement résilient. D’ailleurs, nous avons assisté à un sensible accroissement d’activité à chaque période de confinement, dû en partie au chômage partiel enduré par les acteurs et forces de vente concurrents sur le terrain. Dans ce contexte, beaucoup de gens ont testé nos formules, se sont trouvés rassurés et continuent depuis de faire appel à nous. L’autre grande force de Winfarm, qui assure au groupe son rang de leader en France, est son positionnement dans quatre activités. De quoi répartir le risque tout en encourageant de fortes synergies naturelles.

Dans ce contexte favorable, quels sont les objectifs que vous poursuivez avec votre introduction en bourse ?

Pour une entreprise familiale comme la nôtre, cette étape de l’ouverture du capital est très importante. Elle répond à la nécessité d’entrer dans une nouvelle phase de développement à partir d’une structure stable et d’un modèle innovant déjà validé en couplant croissance organique et croissance externe, et d’atteindre en 2025 un CA de 200 millions d’euros en doublant la taille de l’entreprise. D’une part en continuant à progresser en parts de marché sur nos marchés historiques. Et d’autre part en ouvrant de nouveaux en domaines et en territoires, et en poursuivant le mouvement entrepris en Belgique en 2016. Une façon à l’époque de nous adapter, dans un contexte simplifié par une culture linguistique commune et la proximité géographique, à un système fiscal étranger et des réglementations différentes sur l’hygiène et la distribution des produits d’alimentation. La conclusion que nous en avons tirée est que notre modèle est tout à fait adapté à ce type de marché. Nous entendons donc poursuivre l’expérience avec les Pays-Bas, où nous réfléchissons à prendre à court terme le contrôle d’un distributeur local. Une opération de croissance externe qui nous permettra de nous adosser à lui, avant dans un second temps d’appliquer la même stratégie vers l’Allemagne, premier pays agricole d’Europe.

Winfarm pourrait-il s’imposer à moyen terme comme un distributeur international ?

La stratégie de développement international du groupe vise à mériter notre statut de distributeur européen, de façon à pouvoir être reconnu et interagir avec les plus grandes sociétés mondiales du secteur. Car leur besoin, précisément, est de s’allier à des distributeurs capables de leur offrir le concours des vastes réseaux internationaux. Notre ambition est donc plus que jamais de continuer à porter l’innovation sur les marchés où nous sommes présents. Et, grâce à cela, d’enregistrer dans les cinq ans 50 millions d’euros de croissance organique et 50 autres millions de croissance externe en France et à l’étranger. Nous réfléchissons par exemple à acquérir une entreprise dans le domaine du paysage qui ferait de nous le leader français. Les maîtres-mots de cette stratégie sont à la fois « cohérence » et « simplicité » dans la vision de l’entreprise. Celle qui nous porte à poursuivre notre vocation : accompagner le mouvement de la transition alimentaire.

Vous posez-vous la question d’une stratégie offensive vers une autre filière ?

Grâce à l’outil que représente notre ferme expérimentale Bel Orient, nous prévoyons en effet de nous déployer très prochainement dans la filière laitière. Il s’agit d’un projet de rupture, dans un environnement marqué par des débouchés limités et une production peu valorisée. Notre ambition est de développer un nouveau modèle basé sur un partage équitable de la valeur, en nous appuyant sur nos savoir-faire : production d’un lait à haute qualité nutritionnelle, dans le respect du bien-être animal et en proximité forte avec les acteurs de la filière avec lesquels nous travaillons déjà. Pour répondre à ce projet ambitieux, 1,5 millions d’euros issus de l’actuelle levée de fond seront notamment destinés à doter Bel Orient d’un outil pilote opérationnel.

Aymeric Jeanson