Interview de Pascal Colombani : Président du conseil d'administration de Valeo

Pascal Colombani

Président du conseil d'administration de Valeo

Si la stratégie du management n'est pas sous tendue par une communication efficace des actifs immatériels de l'entreprise, elle ne sera pas crédible

Publié le 07 Juillet 2011

Pensez-vous que les sociétés aient clairement identifie? le poids considérable des actifs immatériels dans leur valeur ? Quels actifs immatériels sont reconnus en priorité ?
Les actifs immatériels sont de plus en plus reconnus, et en particulier le capital humain. Par exemple, Alstom, comme Valeo ou Schlumberger portent la plus grande attention au Capital Humain, qui permet de maintenir la performance de ses autres actifs. C’est une responsabilité du management, qui l’assure par la sélection du personnel, la délégation des responsabilités et le contrôle.
Le Capital Innovation est également un actif extrêmement important car constitutif d’avantages compétitifs et facteur de différentiation de performances entre les entreprises sur le long terme.

Par exemple, beaucoup d’entreprises françaises s’implantant en Chine ont réalisé l’obligation de constamment innover au risque de se faire dépasser par des concurrents locaux.

Le Capital relationnel peut potentiellement se révéler être d’une valeur extraordinaire. Dans la plupart des pays d’Asie, il est long à mettre en place mais est un socle de confiance et une garantie de bonne coopération. Aux Etats-Unis, ce capital est peut-être moins important mais ne doit pas être sous-estimé.

Selon votre perception, quelle importance accordent les acteurs des marche?s financiers (analystes financiers, investisseurs financiers, fonds...) au capital immatériel de l’entreprise ?
Les analystes et les actionnaires, qui pour la plupart se basent sur le consensus des analystes, ne semblent pas particulièrement focalisés sur les actif immatériels dans leur ensemble, même si certains sont évidemment pris en compte comme la R&D, les marques, la réputation.

La logique fondamentale est centrée sur la qualité des produits et des services, elle-même fondée sur l’excellence. La réputation d’une entreprise peut être considérée comme garant de cette excellence, laquelle pourrait être reliée au capital humain mais il n’est pas certain que les investisseurs établissent toujours cette corrélation. Les comportements des investisseurs long terme sont à différentier des investisseurs plus court termistes (hedges funds et autres). Ces derniers, n’ont pas d’intérêt particulier à analyser le capital immatériel, en dehors de l’image et de la réputation de l’entreprise.

Comment communiquez-vous sur ces actifs immate?riels a? la fois dans la communication corporate et financière ?
Autant le management a conscience du capital immatériel au sein de l’entreprise, autant il est difficile de le communiquer efficacement à l’extérieur.
Cependant une entreprise comme Schlumberger a effectivement communiqué activement sur les actifs immatériels et sa stratégie. Cette entreprise a été précurseur en matière de globalisation et de diversité du capital humain.
Cette action volontariste a privilégié une vision stratégique de l’entreprise sur le long-terme.

C’est la communication en amont de cette stratégie qui leur a permis de conserver la confiance des investisseurs. Mais en règle générale, en France, et de mon expérience, cette communication pourrait être développée.

Pour résumer, les actifs immatériels sont reconnus par tous à l’intérieur de la compagnie, mais à l’extérieur, les actionnaires ont une vision parfois un peu floue.

Avez-vous le sentiment que les marchés et les investisseurs sont convaincus par une approche parfois qualitative ou extra financière, en complément des critères financiers usuels ?
Je suis favorable à une approche plus qualitative. Les critères strictement financiers ne suffisent pas. Il y a besoin d’une vision. Et certains actifs immatériels sont représentatifs de cette vision. Si la stratégie du management n’est pas sous tendue par une communication efficace sur les actifs immatériels de l’entreprise, elle ne sera pas crédible.

Avez-vous le sentiment qu’il existerait un «value gap» entre la valeur des entreprises et celle perçue par les marchés ? Que ce «value gap» pourrait e?tre re?duit par une meilleure prise en compte de la valeur de ces immatériels et par une communication spécifique sur cet aspect de la valeur ?
Absolument oui. Il y a d’ailleurs un écart entre les entreprises aux performances financières équivalentes mais ne communiquant pas de façon similaire concernant les actifs immatériels.
Un bon manager doit communiquer sur ses actifs immatériels et son talent à le faire constitue un véritable avantage compétitif pour l’entreprise.

Selon votre expérience, quels seraient le contenu et les supports (rapport annuel, rapport spe?cifique de?die?, autres...) d’une communication corporate et financie?re qui pourraient fournir des informations cre?dibles favorisant la connaissance et la reconnaissance dans les me?thodes d’analyse et de valorisation de l’entreprise par les acteurs des marchés financiers ?
Les supports les plus efficaces selon moi seraient les présentations telles que les Investors’ Days ou les Road shows. C’est réellement par là que se fait le consensus des analystes.

La communication sur les actifs immatériels par essence se fait par communication orale, par interaction avec des sessions Q&A, et est donc plus utile selon ces modalités.

Quelle est votre prospective sur le sujet ? Pensez-vous que cette information financie?re et/ou extra-financie?re va aller croissant dans les entreprises vers une communication intégrée ?
Aujourd’hui un bon CEO doit pouvoir intégrer l’extra financier (j’appellerais d’ailleurs cela l’intégralité des aspects immatériels) et le financier dans la vision et la stratégie de l’entreprise. J’imagine mal un rapport qui ne traiterait que des actifs immatériels : cette communication doit être intégrée dans une vision générale de l’entreprise.

Schématiquement, la valorisation d’une entreprise se fait sur les chiffres (bilan, compte de résultat) mais également sur son futur. Et ce futur est porté par les actifs immatériels tels que Réputation, Capital Client (très important dans des pays émergents en Asie et pouvant être très délicat à entretenir)

Le plus important est de convaincre que la vision est la bonne…

Un référentiel international de l'immatériel vous semblerait-il utile ? Faudrait-il décliner par secteur? Qui doit l’établir et le diffuser ?
Je suis rarement partisan d’une législature contraignante, mais je suis ouvert à l’idée d’une comparaison des pratiques dans un même secteur/marché.
D’après mon expérience, les institutions européennes sont souvent inefficaces, et donc une initiative de leur part ne serait pas forcément la meilleure approche.

Selon moi, l’initiative doit venir des entreprises, avec intervention possible des institutions professionnelles.


Biographie : président du conseil d’administration de Valeo. Administrateur de Technip, Alstom, Rhodia. Senior advisor chez A.T.Kearney.

Tribune dirigée par M.A. Andrieux, ScPo-Deloitte