Interview de Yves  Maillot : Directeur des investissements et de la gestion actions de Robeco Gestion

Yves Maillot

Directeur des investissements et de la gestion actions de Robeco Gestion

A ce jour, nous sommes positionnés sur France Telecom, Telefonica, Deutsche Telecom

Publié le 23 Février 2012

Quel regard portez-vous sur la situation financière du secteur télécoms ?
Traditionnellement les grands opérateurs historiques sont des structures présentant un ratio d'endettement élevé mais génèrent en face d’importants free cash flow.
Le ratio d’endettement de France Telecom se situe aujourd'hui autour de 90%.

Sur le plan de la profitabilité, le secteur des télécoms fait partie des secteurs les plus rentables avec le secteur de la santé, des cosmétiques, des produits alimentaires. L'ordre de grandeur du secteur en moyenne si l’on considère la marge ebitda sur les revenus se situe entre 15 et 20 %. Il n y a que le secteur du luxe qui présente une profitabilité supérieure.

Il faut distinguer profitabilité et croissance des bénéfices. Le niveau de rentabilité est un niveau structurel propre à chaque secteur. Il correspond à un niveau de marge industrielle apprécié par rapport au chiffre d’affaires ou par rapport à la valeur ajoutée, en tenant compte des investissements importants à effectuer, des segments de marché spécifiques, des barrières à l'entrée.

Les bénéfices nets, quant à eux, peuvent beaucoup varier d'une année sur l'autre en fonction de la conjoncture. Ceci étant, ce n'est pas l’évolution des bénéfices nets qui est le plus important. Cela n’a pas beaucoup d’intérêt quand on fait une analyse fondamentale du secteur.

La profitabilité n’est donc pas systématiquement synonyme de hausse des profits. D'ailleurs le secteur des télécoms est révélateur de ce phénomène.
Même s'il y a des relais de croissance, il y a un niveau de progression des revenus moyen attendu faible.

Parmi les relais de croissance des profits identifiés nous trouvons les dépenses d’investissement dans les infrastructures qui devraient amener les opérateurs à pouvoir exercer sur les clients un certain pricing power. Qu’en pensez-vous ?
Les dépenses en investissement devraient irrémédiablement croître dans la mesure où le trafic des données est destiné augmenter fortement et durablement.
D’où l'arrivée sur le marché de nouveaux acteurs sur le marché. Nous avons vu en France l'entrée fracassante de Free mobile.
La nécessité de ces dépenses amène les opérateurs télécoms à devoir avoir des tailles importantes et les petits acteurs à devoir se développer d’autant plus en conséquence pour atteindre cette taille critique.

Un autre relai de croissance des bénéfices réside dans le positionnement géographique, en particulier sur les marchés émergents ?

Il est vraisemblable que dans les marchés émergents qui affichent une forte dynamique et une augmentation de la classe moyenne, les offres des opérateurs évoluent en qualité et en valeur ajoutée.
A cet égard, nous pouvons mentionner l'exemple d’actualité de France Telecom qui pourrait se renforcer dans la zone moyen orient à travers le rachat possible des parts qu'il ne détient pas dans l’opérateur égyptien Rascom.

Le secteur a l’avantage d’être moins sensible à la crise que d’autres…
Les offres se complexifiant, et montant en gamme, la sensibilité à l’environnement économique est sans doute plus élevée que par le passé.
Cependant, on observe tout de même que jusqu’ a un certain niveau de dépenses, les consommateurs sont prêts à se priver de beaucoup de choses mais toucheront à leur budget téléphonie en dernier.

Cette moindre sensibilité à la conjoncture explique la moindre volatilité de ce secteur en bourse.

La moindre variation des cours s’explique également par le fait que les groupes distribuent une part importante de leurs résultats et offrent des dividendes élevés. Néanmoins cette tendance a vocation à s’estomper…
Avec une faible croissance, la plupart des grands opérateurs ont maintenu un niveau de distribution élevé. Ce qui amène a des taux de rendement des dividendes considérables, presque anormaux. Nous avons frôlé le seuil des
12% avec France Telecom. Si la situation financière (manque de croissance, couts de financement) se détériore nous devrions avoir un ajustement de cette politique de distribution.
Cela n’empêchera pas les titres des grands opérateurs d’avoir un taux de rendement encore très élevé.
Les analystes s'attendent à une stabilisation pour les deux années à venir. Cela implique une hypothèse sous jacente du maintien du niveau de cash flow.

Pensez-vous que le risque souverain pourrait impacter davantage le secteur à l’avenir ?
Le risque souverain a eu des répercussions dans les conditions de financement des opérateurs sur le marché comme tout autre secteur.
Il y a néanmoins lieu de relativiser. Le risque souverain n’a pas été un élément très discriminant. Ce n'est pas dans ce secteur que l'on a observé les écartements de spreads les plus significatifs.

Certains analystes mettent en avant une réduction de la marge de manœuvre dans la maitrise des coûts ?
Cela dépend de qui. La partie tarification est de toute évidence une composante qui manque de flexibilité, le régulateur veillant de près et la concurrence étant féroce.
Ce n'est pas tant dans la maitrise des coûts que dans la maitrise des niveaux de marge que les choses se compliquent.
A présent, dans la guerre des prix qui s’est fait jour il y a quelques semaines, j’avoue avoir du mal à me rendre compte de l'impact de la politique de dumping menée par certains compétiteurs et de la véracité du
discours des opérateurs historiques lorsqu’ils signalent que le niveau de marge est incompressible au risque de maintenir un niveau d’investissement suffisant et de gager de la qualité des réseaux à venir.

Êtes-vous à l’heure actuelle investis sur ce secteur ?
Nous sommes positionnés sur France Telecom, Telefonica, Deutsche Telecom.
Avec Telefonica nous jouons le dynamisme de certains marchés d’Amérique latine. Deutsche Telecom a une importante position en Europe centrale. Sur France Telecom nous misons essentiellement sur le profil défensif. Il s’agit de rester prudent face aux incertitudes qui dominent sur le plan économique et financier.

Vous n’êtes pas investis sur Iliad ?

Le rallye boursier a été très rapide. Nous attendons de voir de quelle manière le dossier va évoluer. Nous ne sommes pas sur un profil aussi calme que sur les grands opérateurs historique. Il s’agit d’un acteur de niche qui a décidé de se différencier par des prix ultra compétitifs.


Propos recueillis par Imen Hazgui