Interview de Marie-Jeanne  Missoffe : Responsable de la gestion actions de croissance chez Mandarine Gestion

Marie-Jeanne Missoffe

Responsable de la gestion actions de croissance chez Mandarine Gestion

Actions françaises : parmi nos principales convictions du moment figurent Ingenico, Dassault, L'Oréal, Renault, Teleperformance, Norbert Dentressangle, Publicis, Crédit Agricole et Zodiac

Publié le 23 Avril 2015

Quel regard portez-vous sur le rebond du Cac 40 de plus de 20% à l’issue des trois premiers mois de l’année ?
Fin 2014, nous étions particulièrement optimistes sur l’évolution des actions françaises cette année. Toutefois, comme beaucoup, nous ne nous attendions pas à ce que le rallye soit si rapide. Clairement l’annonce puis le déclenchement du programme de quantitative easing de la Banque centrale européenne qui a conduit à une nouvelle envolée du marché obligataire suivi d’ une forte hausse des actions, constitue l’essentiel de l’explication du mouvement.
A ce stade du rallye, pensez-vous qu’une pause devrait avoir lieu ?
De multiples raisons identifiées peuvent amener à une pause, il est difficile cependant d’en déterminer avec exactitude le timing. Sachant par ailleurs, que les facteurs fondamentaux et techniques militent pour une poursuite du parcours haussier.

D’aucuns avancent une correction qui pourrait aller de 10% à 15% étalée sur quelques mois ?

Sauf accident majeur, une correction de plus de 10% me parait difficile. On observe que jusque là les mauvaises nouvelles sont rapidement absorbées par le marché.

Pour beaucoup la persistance du rebond est conditionnée à la progression des résultats des entreprises françaises. Pour l’heure le consensus table sur une hausse de 15%. Qu’en pensez-vous ?
Ces 15% correspondent à la prévision avancée début 2013 et début 2014. In fine nous nous sommes retrouvés soit en stagnation, soit en légère amélioration de 5%. Nous sommes d’avis que cette estimation est à présent largement atteignable en 2015. L’effet positif induit par la dépréciation de l’euro face à ses principales contreparties, notamment contre le dollar, parait avoir été mal intégré à la fois par les analystes, les gérants et les entreprises elles mêmes. Nous commençons à la percevoir dans les dernières publications des sociétés.
Même si nous assistons à une stabilisation de la parité euro dollar, nous n’arrêterons vraisemblablement pas de voir les répercussions positives. Compte tenu de la faiblesse du dollar pendant plusieurs années, de nombreuses sociétés européennes ont initié des couvertures. Pour certaines de ces sociétés très exposées à la devise américaine le plein effet de son appréciation ne jouera qu’en 2016.

Il est admis que la baisse de l’euro devrait contribuer à 10% d’appréciation des bénéfices cette année ?

Un tel niveau est totalement plausible au regard des données qui sont communiquées par les entreprises.

Peut on dire que parmi les trois moteurs identifiés pour l’accroissement des profits : dépréciation de l’euro, repli du cours du pétrole et amoindrissement des taux de refinancement, c’est l’effet devise qui aura la plus grande influence ?

L’effet devises est effectivement le plus important notamment pour le marché français. Ce d’autant plus que de nombreuses acquisitions ont été faites en dollar par des sociétés françaises au premier semestre de l’année dernière, à un moment où l’euro était fort. C’est une thématique sur laquelle nous sommes fortement positionnés.
Qui plus est, la multiplication des opérations de rachat d’actions pourrait aussi participer à une hausse des bénéfices par action.

Cette hausse des bénéfices devrait cependant être atténuée par le poids important des valeurs pétrolières dans l’indice parisien ?

Absolument. Il ne faut pas perdre de vue qu’une valeur comme Total a un poids conséquent dans le Cac 40.

Au-delà d’un alignement des cours de bourse avec les perspectives bénéficiaires, peut-on escompter une expansion des multiples additionnelle sur le segment des actions françaises cette année ?

Cette expansion des multiples a de grandes chances de se matérialiser du fait du QE de la BCE. Aujourd’hui nous sommes encore dans une zone de valorisation qui n’est pas exagérée. Des excès pourraient se matérialiser à l’instar de ce que l’on a pu constater sur le marché obligataire.

In fine quel potentiel de rebond supplémentaire pressentez vous pour le Cac 40 cette année ?

Un rebond de 20% additionnels est plausible. Il suffit de s’attacher à ce qui s’est passé sur le marché des actions américaines à l’issue de la première année du QE de la Réserve fédérale américaine.

Quels principaux risques discernez-vous ?
Le traitement du dossier grec est sans doute la principale source de menace aujourd’hui. Une sortie de la Grèce de la zone euro en 2015 serait certes moins tragique que ce qu’elle aurait été en 2012. Le QE de la BCE constitue une énorme sécurité. Elle tend à cantonner l’effet de contagion aux autres pays et à empêcher une envolée des taux obligataires des pays périphériques à condition de ne pas avoir une trop vive remontée des partis populistes dans ces pays. Cependant, la Grèce reste néanmoins une source d’inquiétude et risque de provoquer un surcroit de volatilité.
L’absence de réformes structurelles du gouvernement français est également un sujet d’inquiétude à plus long terme. La politique monétaire très accommodante actuellement menée est censée donner une bouffée d’oxygène suffisante pour inciter les autorités nationales à mettre en œuvre les réformes requises dans de meilleures conditions. Le fait de ne pas profiter de cette fenêtre d’opportunité pour avancer dans l’assainissement des finances publiques et l’amélioration de la compétitivité, peut, in fine, s’avérer très pénalisant.

Quid du référendum au Royaume-Uni ?
Nous avons l’impression que l’on se dirige outre-Manche vers une coalition. Si tel est effectivement le cas, la réalisation du référendum n’est pas une chose acquise.

Sur quelles thématiques d’investissement êtes vous particulièrement positionnés présentement ?

Nous avons déterminé cinq grandes thématiques d’investissement. Tout d’abord celle de l’innovation dans laquelle nous pouvons mettre Ingenico et Dassault. Ensuite, l’international avec L’Oréal.
Nous sommes encore quelque peu prudents s’agissant de l’exposition aux secteurs les plus cycliques. Nous donnons la préférence aux biens de consommations, avec des valeurs automobiles comme Renault ainsi que des équipementiers automobiles. Nous ne sommes pas encore revenus massivement sur les grandes valeurs industrielles comme Schneider ou Legrand.
Comme précédemment indiqué nous avons un engouement pour les sociétés qui ont procédé à de la croissance externe. Cela nous donne de la visibilité sur leur croissance bénéficiaire. Près de 60% des sociétés que nous détenons ont fait de la croissance externe en 2014. Parmi celles ayant fait les opérations les plus significatives on peut citer Téléperformance (Aegis), Norbert Dentressangle (Jacobson), Publicis (Sapient).
Nous sommes également exposés dans une moindre mesure aux sociétés qui tirent avantage d’un environnement réglementaire favorable.

Quels sont vos biais négatifs ?
Nous détenons peu de valeurs bancaires. Elles constituent 3% du portefeuille contre 8,5% dans les indices. Les contraintes réglementaires se sont beaucoup endurcies notamment en matière de fonds propres. Il devient de plus en plus coûteux de faire du crédit bancaire. De plus, le niveau bas des taux d’intérêt est un handicap important pour les marges. Le taux euribor qui sert de référence aux prêts bancaires est passé sous le seuil de 0. Dans certains pays où les crédits ont été consentis à taux variable (Espagne) les banques seraient censées devoir payer leurs clients débiteurs. Nous avons un peu de Crédit Agricole du fait de l’histoire de restructuration.
Nous attendons de voir l’investissement croitre avant de nous positionner sur les valeurs industrielles très cycliques.

Quels sont les derniers ajustements apportés au portefeuille ?

Nous avons récemment renforcé Zodiac. La société a été sanctionnée en raison de problèmes industriels lourds liés à la fabrication de ses sièges car leurs usines américaines ne parvenaient pas à suivre la cadence. Elle a du investir dans l’amélioration de l’outil de production, et payer des pénalités aux constructeurs d’avion. Ce problème semble être en grande partie résolu et nous restons dans un cycle aéronautique très fort. Nous avons profité de la faiblesse de la valorisation pour accumuler.

Propos recueillis par Imen Hazgui