Interview de Stéphane  Déo : Stratégiste au sein de la gestion de La Banque Postale Asset Management

Stéphane Déo

Stratégiste au sein de la gestion de La Banque Postale Asset Management

Où se situent les principaux risques pour les marchés financiers en 2018 ?

Publié le 02 Janvier 2018

Quel bilan faites-vous de l’année 2017 sur les marchés financiers ?
L’année 2017 a été assez cohérente avec ce qui était majoritairement attendu par les marchés. La croissance économique a été au rendez-vous des anticipations. Les pressions déflationnistes se sont éloignées. Les banques centrales ont continué à normaliser leur politique tout en restant très prudentes. Dans ce contexte, les taux longs ont légèrement remonté, les marchés actions se sont bien tenus et la volatilité est demeurée basse.
Derrière ce constat d’apparence, une analyse plus détaillée de la situation montre plusieurs surprises. En premier lieu, la persistance d’une faible volatilité en dépit de multiples risques politiques aux Pays-Bas, en France, en Allemagne et en Espagne. Dans un contexte de croissance économique solide, les risques politiques sont passés au second plan. Par ailleurs, les performances boursières se sont avérées bien meilleures qu’escomptées au sein de plusieurs zones géographiques. Finalement, les matières premières (pétrole, métaux et agricoles) ont progressé de manière marquée.

Comment expliquez-vous le remarquable élan de performance de ces matières premières ?

S’agissant du pétrole, le regain de la croissance au niveau mondial a permis de soutenir une demande solide. L’augmentation de la demande est la principale raison à la performance. Parallèlement, la meilleure maitrise de la production pétrolière induite par l’accord de l’OPEP a contribué à la hausse des prix.

Du côté des métaux, la moitié du cuivre mondial est consommée par la Chine, portée pour les deux tiers par la dynamique du secteur de l’immobilier. La forte demande, mais aussi l’effort pour réduire les surcapacités en Chine ont donc joué.

Quelle lecture faites-vous de la faible volatilité perçue sur les marchés actions ?
Je l’explique par trois principales raisons.
Tout d’abord, l’absence de surprises manifestes dans les données macro et microéconomiques. Nous n’avons pas eu de choc violent dans les statistiques ou dans les résultats annoncés de nature à conduire le marché à revoir drastiquement ses anticipations. Il n’y a pas eu non plus de sensible rotation de style de gestion de la part des investisseurs.
Par ailleurs, de l’avis général des opérateurs sur les marchés, les grandes banques centrales ont su montrer qu’elles demeuraient à l’œuvre pour influencer le prix des actifs financiers et éviter une trop vive correction.
Enfin, de nombreux intervenants ont décidé d’adopter une position courte sur les indices de volatilité. La stratégie implique donc de vendre les indices de volatilité, ce qui les fait baisser.

Cette relative accalmie est-elle inquiétante ?

Cela peut constituer un point d’inquiétude si de véritables surprises venaient à se manifester à l’avenir. Nous pourrions alors constater de violents mouvements dus à des débouclements massifs.
Plus généralement, un environnement de volatilité faible peu pousser les investisseurs à prendre trop de risque pour augmenter leur rendement.

De quelle manière pressentez-vous l’année 2018 ?

Nous avons le sentiment que l’année 2018 sera dans la continuité de 2017 avec une croissance économique qui va se poursuivre (2,1% en Europe et 2,6% aux Etats-Unis) et une inflation qui va rester relativement modérée (1,5% en Europe et 2,1% aux Etats-Unis). Cette vue est très largement partagée par les consensus et par les marchés.
La véritable question à se poser pour l’année prochaine n’est donc pas vraiment sur le scénario central, mais plutôt sur les risques potentiels et s’ils sont de nature à induire une quelconque inflexion sur les marchés.

Quel est votre avis sur ce sujet ?

A notre sens, plusieurs sources de risques peuvent être identifiées. En premier lieu, une erreur de comportement ou de communication des banques centrales. La Fed peut être amenée à accélérer le rythme de hausse de ses taux si l’inflation devait accélérer. La BCE pourrait, quant à elle, susciter une certaine crainte des opérateurs par un abaissement trop prononcé du niveau des actifs achetés. La mauvaise perception d’une décision prise par une de ces grandes banques centrales pourrait avoir pour incidence une remontée brutale des taux d’intérêt et une vive correction sur les grandes places boursières.

Une autre menace est relative à une crise en Chine qui entrainerait un effet domino dans différents pays d’Asie du sud-est, une forte baisse des cours de certaines matières premières. Nous pensons que la probabilité d’un tel événement est assez mince à un horizon d’un an.

La concrétisation de risques géopolitiques en Corée du Nord ou au Moyen Orient pourrait constituer une autre source de perturbations sur les marchés. 

Quid de la menace d’une accélération de l’inflation ?

C’est probablement un des risques majeurs sur cette année. L’inflation pourrait accélérer sous l’impulsion d’une revalorisation des salaires dans un cycle économique particulièrement long. Nous pensons que les pressions inflationnistes devraient rester suffisamment modérées pour ne pas provoquer de brusques impacts sur les marchés. Cependant, un profil plus marqué pourrait forcer les banques centrales à agir plus vite, les taux d’intérêts monteraient plus rapidement et la bourse serait certainement affectée.

De ce fait, sur quelle allocation d’actifs êtes-vous positionnés en ce début d’année ?
Nous demeurons sur une allocation d’actifs similaire à celle que nous avons eue en 2017.
Dans un environnement de stabilité de la croissance avec une augmentation marginale de l’inflation, des banques centrales qui continuent à être relativement accommodantes, les taux longs devraient assez peu remonter. Nous voyons le Bund à 10 ans à 0,85% fin 2018 et le Treasury à 2,70%.

En conséquence, les marchés actions devraient poursuivre leur tendance ascendante.

Nous persistons à préférer les actions européennes. Les valorisations restent attractives. Le différentiel de PER (cours sur bénéfices futurs) des actions européennes avec celui des actions américaines est plus élevé que d’habitude : les actions européennes sont moins chères. Les bénéfices des sociétés européennes sont plus cycliques que ceux des sociétés américaines en raison de la moindre marge de manœuvre sur les couts, ils devraient donc progresser plus rapidement. Cette configuration laisse place à un potentiel de revalorisation non négligeable pour les actions européennes.

Nous préférons les valeurs européennes cycliques. Nous avons pour l’heure une surpondération sur les bancaires européennes en raison d’une vue positive sur l’incidence de la hausse des taux et de la baisse de l’impact des créances douteuses sur les résultats.

Nous demeurons, par ailleurs, optimistes sur les actions japonaises.

Quelle performance escomptez-vous pour les actions européennes ?

La performance des actions européennes devrait être en ligne avec la progression des profits, entre 8% et 10% sur l’année. Nous n’avons pas eu d’expansion significative des multiples en Europe depuis 2015.

Quel sentiment avez-vous à l’égard du marché du crédit européen ?

Nous affichons une certaine prudence sur le crédit et notamment sur le high yield. Les spreads sont très resserrés. Il y a une forte asymétrie sur les résultats. Le marché bouge assez peu à la suite de l’annonce de bons résultats. En revanche, la publication de chiffres moins bons qu’attendu donne lieu à des sanctions sévères. Cette situation est typique d’un marché qui commence à être nerveux.
Par ailleurs, la diminution des achats de la BCE d’actifs obligataires devrait pousser certains opérateurs à délaisser le compartiment du high yield pour se repositionner plus naturellement sur celui du crédit investment grade.

Les obligations convertibles sont un bon moyen pour obtenir, dans les portefeuilles obligataires, une exposition au marché actions.

Nous sommes également investis dans les obligations souveraines des pays périphériques de la zone euro, comme le Portugal, l’Italie ou l’Espagne. Le carry est plus significatif et un resserrement des spreads devrait avoir lieu à la suite d’une nette amélioration des fondamentaux macroéconomiques et d’un relèvement des notations et accroitre la rentabilité des titres.

Propos recueillis par Imen Hazgui