Interview de Bernard  Delattre : Président d'Altimeo Asset Management

Bernard Delattre

Président d'Altimeo Asset Management

Plus personne ne veut de Carrefour aujourd'hui. Je pense néanmoins qu'il y a quelque chose à faire sur la valeur

Publié le 15 Juillet 2011

Quel est votre perception de l'environnement des marchés à l'heure actuelle ?
Nous attendons clairement l'issue de la réunion des membres de l'Eurogroup la semaine prochaine pour voir quelle sera la suite donnée à l'épisode grec. Le pays doit en effet trouver 6,6 milliards d'euros courant août pour faire face à des remboursements de titres arrivant à échéance.
Par ailleurs, les résultats des stress tests bancaires pourront donner une meilleure visibilité. Les publications aux Etats-Unis devraient également aider à dessiner une tendance.

Comment voyez-vous le dénouement de la crise de la dette en Europe?
Nous ne tablons pas sur un défaut de la dette grecque. Nous pensons que l'Europe ne prendra pas ce risque.
Nous pourrions alors avoir un rachat par le FESF (Fonds de soutien) de la dette grecque qui pourrait redonner confiance au marché.

Compte tenu de ce sentiment, qu'en est-il de votre exposition au marché actions actuellement?
Nous sommes pour le moment, dans notre fonds diversifié, exposés à presque 100%. Notre gestion est pour l'essentiel une gestion de conviction.

Ceci étant, Parce que nous sommes, en ce moment, sur un marché de sentiment, nous nous inscrivons davantage dans une position opportuniste.

Nous profitons des mouvements de baisse pour renforcer nos positions à bon compte, partant du principe que ce qui est bon à 10 est encore meilleur à 9 ou 8 !

Quelles sont les secteurs que vous jouez particulièrement en ce moment ?
Le secteur de l'aéronautique est un secteur que nous suivons de près. Nous connaissons une véritable reprise du secteur. Les carnets de commandes sont en forte croissance.

Nous nous intéressons en particulier à Latecoère. Nous avons eu la confirmation d'importantes commandes au salon du Bourget. On parle d'un carnet de commandes de 5 ans, ce qui est très rassurant. Pierre Gadonneix a clairement indiqué que la société était dans une problématique de rachat par une dizaine de candidats potentiels. Une décision devrait tomber avant fin 2011. Des offres chiffrées ont circulé dans la presse notamment d’Avic, l'avionneur chinois, de GKN, de Fokker, de Spirit ou EADS.

Même si l'opération de rachat ne devait pas se faire, Latecoère est une société qui connait une véritable reprise de son activité suite à un plan de restructuration entamé en 2009.

La croissance des bénéfices attendue pour 2011 est de 20%. L'objectif d'Ebit est de 7% pour 2011, 8% en 2012, contre 5,9% en 2010.

Le titre côte six fois les résultats après exercice des bons de souscription et conversion des obligations convertibles.
Nous voyons un potentiel de progression à 20 euros contre 11 euros aujourd'hui d'ici 12 mois.

Quels sont les risques qui pèsent sur la valeur ?
Le risque principal réside dans la taille d'Airbus qui représente près de 60% du CA.

Un autre secteur que vous appréciez est celui de l’optique ?
Le secteur de l'optique est ce qui permet de transférer des données numériques d'un point à un autre. En 2000 beaucoup de capitaux ont été levés sur les marchés et d'énormes investissements ont été effectués, entre 1200 et 1400 milliards de dollars. De trop grosses capacités de transmission de données ont cependant été mises en place ce qui a conduit à une absence de rentabilité des sociétés du secteur. Sur 800 sociétés qui se sont créées, seulement 300 sociétés ont subsisté.
Fin 2007, on est vite arrivé au bout de ces capacités, environ 70 à 80% avec un trafic des données en doublement tous les six mois. Les opérateurs ont dû réinvestir dans le développement de nouvelles capacités.
Est arrivée la crise avec tous les effets collatéraux, et une baisse consécutive des investissements. A partir de 2009, 2010, le secteur a redémarré. Tous les opérateurs de la planète ont passé d’importantes commandes afin de pouvoir répondre à la demande.

Il y a eu un surstockage, et, comme souvent dans pareil cas, le marché des composants optiques s’est provisoirement dégonflé, et les titres ont alors été massacrés, surtout que, pour beaucoup d'analystes cet arrêt des commandes laissait penser que le secteur serait durablement affecté.

Cela n'a pas été notre avis. Nous estimons que la thématique n'est pas morte. La correction des inventaires devrait prendre fin d’ici la fin de l’été. Le secteur a alors encore plusieurs années de belle croissance devant lui.

Quelles sont les valeurs sur lesquelles vous êtes exposés ?
Nous avons une position dans Finisar. La société cotée sur le Nasdaq fabrique des composants qui permettent d'installer des réseaux de fibres optiques.
Finisar détient 25% du marché outre Atlantique et réalise 40% du CA en Chine.
La société a un bilan très sain et une trésorerie positive.

Nous avons également une position dans Oclaro.

Quel potentiel de progression du cours escomptez-vous ?
Si, comme nous le pensons, les commandes reprennent, alors le potentiel de réappréciation peut être extrêmement fort. Les titres peuvent facilement doubler sur leur cours actuels de 17 dollars pour Finisar et 6 dollars pour Oclaro.

Une autre de vos convictions est Carrefour dans le secteur de la distribution. Il s’agit là d’un pari contrariant ?
Il est vrai que plus personne ne veut de Carrefour aujourd’hui. Je pense néanmoins qu’il y a quelque chose à faire sur la valeur.
Carrefour est le deuxième opérateur mondial après Walmart. La société réalise 40% de son CA dans les émergents.
Le concept de Carrefour Planet semble fonctionner et les investissements d’aujourd’hui seront très certainement payants à moyen terme.
La société joue la séparation des actifs avec le spin-off de Dia, ainsi, la somme des parties devrait être plus valorisée que le groupe réuni. La cession de Carrefour Property pourrait aussi constituer un fort catalyseur.

Nous espérons récupérer sur l’ensemble des entités environ 40% de valeurs d’ici 12 mois.

Combien de lignes détenez-vous au total dans votre portefeuille ?
Nous avons une vingtaine de lignes dans notre fonds.
Ce qui nous intéresse, c’est d’investir sur des titres décotés sur lesquels le potentiel de gain est significatif. C’est l’approche qui nous semble la plus pertinente dans ces marchés compliqués. « Put your money where your mouth is!* » comme le dit le proverbe anglo saxon.

*Investissez sur ce en quoi vous croyez !

Propos recueillis par Imen Hazgui