Interview de Yves  Maillot : Directeur des investissements et de la gestion actions de Robeco Gestion

Yves Maillot

Directeur des investissements et de la gestion actions de Robeco Gestion

Je me méfie des sociétés qui procèdent à des opérations de rachat d'actions

Publié le 30 Septembre 2011

Comment expliquez-vous la multiplication des opérations d'actions sur le Vieux continent et plus particulièrement en France ?
Ces opérations de rachat sont le résultat de plusieurs éléments. Les sociétés disposent d'importants montants de cash et ont donc des situations financières très confortables ou assainies depuis la crise de 2008. Elles peuvent alors se permettre de procéder à ces opérations de rachat. Cela a un effet bénéfique sur la rentabilité par action. Cependant, cela traduit une sorte de panne sur le plan stratégique.

Pensez-vous que ces rachats sont davantage motivées par une absence d'idée ou d'opportunités pour procéder à des acquisitions ou par la volonté de jouer la sécurité face à un manque de visibilité sur l'avenir ?
Je pense qu'il y a les deux. L'absence d'idée ou d'opportunités pour procéder à des acquisitions peut être illustrée par l'intervention de Warren Buffet pour racheter des actions de sa société Berkshire. Cette intervention est étonnante dans la mesure où une bonne partie de sa carrière, Mr Buffet expliquait avec raison que les rachats d'actions n'étaient pas des opérations stratégiquement satisfaisantes.
Le manque de visibilité sur l'avenir peut sans doute être reflété par l'important rachat d'actions décidé par Bouygues. Il est alors possible que certains dirigeants à l'instar de M Bouygues se disent que quitte à prendre un risque aujourd'hui autant le prendre sur ce que l'on connait le mieux à savoir sa propre entreprise.

Doit-on s'attendre à une poursuite de cette tendance ?
Pour l'instant oui.

Quelle appréciation faites-vous de ces opérations ?
Même si tous les dossiers ne se ressemblent pas exactement, je me méfie de ces opérations. L'argent dépensé pour le rachat des titres, même si le timing peut paraitre intéressant, est autant d'argent qui ne sera pas dépensé pour faire de la croissance additionnelle, de la croissance organique ou de la croissance externe. Les sociétés ne sont alors pas en mesure de faire jouer du levier opérationnel.

Par conséquent il y a un corollaire entre la multiplication de ces rachats et la diminution des opérations de fusion-acquisition ?
D'une certaine manière oui. Même s'il faut bien distinguer pour ce qui est de ces fusions acquisitions ce qu'il y a en Europe et aux Etats-Unis. Il est vrai qu'en Europe, nous avons pu observer peu d'opérations. Outre Atlantique, nous continuons à avoir de petites opérations ou des opérations moyennes pratiquement toutes les semaines. Il semble qu'il y ait un terreau plus dynamique là bas.
Ainsi alors que nous avons une coexistence rachat d'actions opérations d'acquisitions aux Etats-Unis, cette coexistence est moins vraie en Europe.
Il est probable que la grande frilosité du secteur bancaire européen pour accorder des financements soit un paramètre explicatif de cette différenciation.

Comment analysez-vous les différentes cessions d'actifs qui sont réalisées ?

Ces cessions d'actifs sont un moyen pour les sociétés de se recentrer et de prendre un certain niveau de confort par prudence, par crainte de l'avenir.

Les small et mid caps sont actuellement confrontées à un durcissement des conditions de refinancement auprès des banques. Parallèlement, elles ont beaucoup de mal à accéder au marché obligataire. Seules deux sociétés allemandes sont parvenues à émettre sur le compartiment high yield depuis le début de cet été. Ce problème de refinancement pousse à s'interroger sur les opportunités d'investissements dans ce compartiment. Qu'en pensez-vous ?
Nous avons effectivement sur le marché obligataire un tarissement important des nouvelles émissions. Cela s'est retourné de manière nette et quasi mécanique. Sur le marché actions, la plupart des opérations d'augmentation de capital ou d'IPO ont été abandonnées en prévision du manque d'appétit des investisseurs et dans l'attente des jours meilleurs.

Ceci étant, beaucoup de ces sociétés sont rentables voir très rentables.
Les situations de bilan sont confortables. Le besoin de refinancement est beaucoup moins important. Un crédit crunch ou la fermeture du marché obligataire pourraient alors bloquer plutôt des opérations à plus long terme ou des opérations annexes mais ne devraient pas conduire à des conséquences plus pénalisantes. Peu de sociétés s'inscrivent dans une configuration délicate à ce jour contrairement aux Etats.

Pour ce qui est des Etats, quelle vision avez-vous sur la suite des évènements dans la zone euro ?

Une vision pas très positive. Il sera moins évident qu'il ne parait d'augmenter la capacité d'action du FESF. Il faudra d'abord un véritable accord affiché entre tous les intervenants au sein de la zone euro. Pour l'instant nous n'en sommes pas là. L'opinion publique et les échéances électorales sont des éléments bloquants importants.
Par ailleurs rajouter de la dette à de la dette n'est pas la meilleure des solutions. L'Europe doit avancer vers une fédéralisation de la gouvernance de la gestion budgétaire et vers une restructuration des finances publiques et des dettes.

La reprise que nous connaissons depuis lundi est surtout technique. Elle n’a pas vocation à durer. Nous avons connu le même mouvement fin aout. Nous avions eu un rebond de quelques jours et le marché avait replongé plus vite derrière. Tous les indicateurs de volatilité et de risque sont encore plus haut qu'à cette période.

Quelle est votre exposition en conséquence au marché actions ?
Dans une gestion flexible tactique je suis très défensif.

Propos recueillis par Imen Hazgui