Interview de Michel Aglietta*  : Conseiller au Centre d'Études Prospectives et d'Informations Internationales (CEPII) et membre du Conseil d'Analyse Economique auprès du Premier ministre

Michel Aglietta*

Conseiller au Centre d'Études Prospectives et d'Informations Internationales (CEPII) et membre du Conseil d'Analyse Economique auprès du Premier ministre

Effondrement de la Bourse chinoise : il y a tout lieu de penser que Pékin parviendra à stabiliser la situation

Publié le 31 Juillet 2015

Quels commentaires vous inspire l’effondrement de la Bource chinoise de ces dernières semaines ?
A mon sens, le rallye baissier qui a été observé sur la Bourse chinoise n’a pas de lien avec un changement d’anticipation concernant l’évolution de la croissance de l’économie chinoise. En témoigne ce qui s’est produit en Europe. A partir de septembre 2012, une spectaculaire remontée des actions de la zone euro a été observée alors que la région était encore en pleine récession.
En cela, je dirai que la configuration que l’on a pu relever sur la Bourse chinoise n’a rien d’exceptionnel eu égard à ce que l’on a pu voir se produire sur d’autres grandes places boursières depuis le début de la crise financière de 2008.

Ensuite, il y a lieu de relativiser le repli qui a été observé. La Bourse chinoise qui était très sous évaluée par rapport à d’autres Bourse de pays émergents est montée de 150% depuis le milieu de l’année 2014 avant de retomber dans une bien moindre ampleur. Les investisseurs positionnés sur le marché depuis la mi-2014 enregistrent encore des profits substantiels.

Comprenez-vous ce bond spectaculaire de la Bourse chinoise en si peu de temps ?

Le nouveau gouvernement a manifestement décidé par rapport à l’ancien pouvoir de projeter la Chine comme puissance internationale en élargissant l’utilisation de la devise nationale en dehors des frontières et en libéralisant plus rapidement la finance intérieure. En découle une profonde mutation de l’allocation de l’épargne.

Que voulez vous dire ?
Les ménages chinois sont d’importants épargnants. Le placement prioritaire était jusque là l’immobilier, ce qui a eu pour conséquence des hausses violentes des prix dans un premier temps puis une baisse tout aussi considérable par la suite et donc des pertes conséquentes.
Afin d’atténuer ces perturbations, les autorités ont décidé d’introduire une gamme d’actifs financiers qui permettrait aux ménages de diversifier leurs portefeuilles : des actions, des obligations d’entreprises, des obligations de collectivités municipales…
Dans cette phase de transition, les ménages chinois n’ont pas encore de repère s’agissant de la constitution d’un portefeuille équilibré. Cette perte d’orientation n’est pas propre à la Chine. Tous les pays qui ont commencé à libéraliser leurs finances, le Royaume-Uni au début des années 70, les Etats-Unis au début des années 80 et même la France sont passés dans un premier temps par une période de déstabilisation.

L’ouverture de la finance de la Chine a été fortement accélérée. Comment l’expliquez-vous ?

Manifestement la Chine souhaite introduire sa monnaie dans le panier des monnaies qui définissent le DTS au sein du FMI. Ce souhait s’inscrit dans une démarche plus large qui s’est traduite par la création de nouvelles banques d’investissement, la construction d’ infrastructures lourdes comme les routes de la soie afin de permettre à la Chine de devenir le pôle principal de la région asiatique et d’amoindrir notablement l’influence des Etats-Unis dans cette zone du monde.

Les autorités chinoises restent, qui plus est, assez ulcérées par ce qui s’est passé en 2010.

Rappelez-nous ce qui s’est produit ?

Une réforme du FMI qui devait donner plus de poids aux pays émergents a été bloquée par la Congrès américain. C’est ce qui a conduit à la création de l’AIIB sur l’initiative de la Chine avec les autres pays des BRICS.

Quel regard portez-vous sur le changement de positionnement des autorités chinoises vis-à-vis de la direction qu’ils veulent donner à la Bourse chinoise depuis novembre 2014. Cela a commencé avec des mesures de soutien, notamment par la plateforme de connexion des Bourse de Shanghai et d’Hong Kong. Un resserrement a ensuite été annoncé en juin, puis de nouveau un assouplissement en juillet ?

Du fait de la transformation structurelle extrêmement profonde qu’elles ont entamé, les autorités sont dans l’incertitude vis-à-vis de la notion de prix d’équilibre des actifs.

D’aucuns n’hésitent pas à dire que le krach boursier est devenu incontrôlable ?

Les autorités ont eu probablement tort de trop laisser se développer les prêts sur marges aux ménages désirant investir en bourse par les brokers, eux-mêmes financés par les banques, un peu comme ils se sont trompés sur l’amplitude de leur plan de relance massif déployé en 2008 qui a eu pour effet un accroissement phénoménal de la dette.

A présent, de grands moyens ont été mis sur la table pour juguler l’hémorragie en Bourse. L'interdiction des ventes à découvert, les coupe-circuits (la variation quotidienne des cours ne peut dépasser 10%) pour circonscrire l'emballement des paniques. Un grand fonds d’investissement public a été créé obligeant les intermédiaires de bourse de financer les épargnants qui souhaitent investir. Les investisseurs institutionnels ont été grandement incités à se porter acquéreurs sur le marché. Il y a tout lieu de penser que la Chine parviendra à stabiliser la situation, à l’instar de ce qui s’était déroulé sur la Bourse de Hong Kong lors de la crise asiatique en 1997.

On justifie la dernière rechute de la Bourse par deux principaux arguments : un essoufflement plus prononcé que prévu de la croissance chinoise-certains économistes n’hésitant pas à livrer une estimation de hausse de PIB pour 2015 de 3% à 4%- et la crainte de voir le gouvernement alléger son dispositif de soutien suite à un avertissement lancé par le FMI. Qu’en pensez-vous ?
Il y a indéniablement des zones d’ombre au sein de l’économie chinoise, en particulier la surcapacité de production des entreprises dans le secteur manufacturier, une problématique d’endettement sous jacente. Pékin s’efforce de résorber le niveau colossal de la dette accumulée tout en évitant une crise qui entrainerait un ralentissement brutal de la croissance.
Pour autant, en dépit de ces points de vulnérabilité, les grandes organisations internationales restent encore sur une prévision de croissance du PIB pour la Chine d’environ 7% pour cette année. Il n’y a pas de raison de ne pas les croire car les salaires progressent rapidement, les ventes au détail restent robustes, le taux de chômage urbain n'augmente pas et de nombreux indices font état d'un redéploiement de la production de grande ampleur vers la consommation intérieure, les services et le resserrement des échanges entre les régions de l'Ouest en pleine expansion et le reste de l'économie.

Cela veut dire que la croissance chinoise est moins dépendante des importations qu'elle ne le fut et donc que les indicateurs qui avaient cours dans l'ancien régime de croissance tirée par l'immobilier, l'investissement productif et l'exportation ne sont plus pertinents dans le nouveau.

Les observateurs extérieurs qui postulent que la croissance de la Chine continue d’être drivée par les mêmes moteurs que ceux du passé font donc une erreur cardinale. De ce fait, le lien entre la Chine et les importations de matières premières n’est plus du tout le même. Il y a une surestimation de la baisse de la production industrielle chinoise en raison de la perte de vue de cette restructuration en cours.

La Chine a six mois d’acquis de croissance favorable autour de 7%. Il parait déraisonnable de penser que la croissance descendra bien en dessous de 7% à moins d’avoir un second semestre catastrophique, ce qui ne parait pas le plus probable et indiquerait une détérioration de la conjoncture mondiale beaucoup plus large.

Ce d’autant plus que pour le moment la Bourse n’a pas encore d’impacts importants sur l’économie réelle. L’effet richesse des ménages procuré par un investissement sur le marché actions est tout récent. Le financement des entreprises chinoises se fait pour le moment marginalement par la Bourse et bien davantage par le crédit bancaire.

Un quantitative easing est, en outre, menée actuellement par la Banque centrale par une réduction du ratio de réserves obligatoires des banques chinoises.

La crainte de voir Pékin alléger les mesures de soutien avancées pour soutenir la Bourse chinoise vous parait-elle fondée ?

Il me semble que la priorité du gouvernement reste celle d’éliminer les distorsions découlant de l’ancien régime de croissance en mettant l’accent sur l’innovation, la main d’œuvre qualifiée, la protection de l’environnement. La Chine veut ainsi évoluer d’une position de manufacture du monde à une économie industrielle de pointe. C’est ce qu’indiquent clairement les plans pour 2020 et 2025.
La Chine a besoin, pour atteindre cette ambition, de modifier sa place dans la division internationale du travail. C’est par rapport à cette optique que devra être apprécié l’alourdissement ou l’allégement de l’interventionnisme de la Chine dans ses finances.

Jusqu’où pourrait aller la correction qui a été amorcée ?

Nul ne saurait le dire. Cependant, il y a toujours des prix plancher sur les Bourses.
Ce qui dérange véritablement les autorités chinoises ce n’est pas tant l’allure de la baisse mais sa cause première qui tient à l’acquisition de titres par les ménages par le biais d’un fort effet de levier consenti par des intermédiaires boursiers qui se sont énormément endettés auprès des banques.
Le danger réside donc dans un effet de contagion sur l’économie réelle par cet excès d’endettement. Difficile de pronostiquer pour le moment sur l’importance de ce danger et le timing de sa matérialisation.

Que voyez-vous du coté du yuan ?

Depuis 2013, le yuan s’est renchéri dans le sillage du dollar. Selon le FMI la devise se situerait à un niveau d’équilibre en termes effectifs réels. La Balance courante du pays est en excédent de 2%, contre près de 10% pour un pays comme l’Allemagne.
A présent, si le dollar venait à s’apprécier bien davantage consécutivement au relèvement des taux directeurs par la Fed, la Chine pourrait vouloir ralentir la hausse de la valeur du yuan, voir même l’abaisser quelque peu. La volonté affichée par la Banque centrale de Chine d’élargir les marges de fluctuation de la devise, et donc de lui donner plus de flexibilité, va dans ce sens pour aider à la mise en place des réformes envisagées pour résoudre les distorsions dans le pays.

*Co-auteur du livre "La Voie chinoise: Capitalisme et empire"



Propos recueillis par Imen Hazgui