Interview de Claudia  Bernasconi : Economiste spécialiste des marchés émergents chez Swiss Life Asset Management

Claudia Bernasconi

Economiste spécialiste des marchés émergents chez Swiss Life Asset Management

Nous avons trois scénarii possibles pour l'évolution de la situation économique et politique du Brésil

Publié le 13 Avril 2016

Pourriez-vous nous rappeler quelle est la conjoncture du Brésil actuellement ?
En 2015, le Brésil s’est retrouvé dans une grave récession. Le PIB s’est contracté de 3,8%. Nous pensons qu’un repli similaire devrait être observé cette année.
La situation dans laquelle s’inscrit le pays est pratiquement aussi désastreuse qu’en 1930 ?
Absolument. Le PIB a reculé de près de 7% depuis le pic atteint en 2014. Les investissements se sont effondrés de 25%. Le niveau de confiance a atteint un plus faible niveau jamais vu. Le déficit primaire, avant paiement des intérêts, s’est considérablement creusé. Il s’élève à -2% du PIB alors qu’il était à presque +2% du PIB en 2013. Après paiement des intérêts, le déficit budgétaire du Brésil représente -10% du PIB.

Vous estimez que le point bas de la croissance devrait être atteint au premier trimestre 2016 ?

Tel est notre scénario mais la reprise devrait être très lente. Ainsi le repli de la production industrielle est passé de -14% en janvier à -10% en février.

Pour observer une notable amélioration dans le pays, un changement politique est indispensable ?

Absolument. Sans un changement politique, l’économie ne peut pas se redresser significativement. Nous nous attendons de plus en plus à une destitution de l’actuelle présidente, Dilma Roussef. Celle-ci perd de plus en plus de soutien. En particulier celle-ci a perdu l’appui du parti de coalition PMDB.
Qui plus est, les investigations sur Lula et sur l’ancien gérant de la compagne présidentielle de Dilma ont d’autant plus affaibli sa position.
La probabilité que la destitution se fasse vous parait élevée ?
Absolument.

Les marchés ont réagi très positivement sur les derniers développements politiques ?

Nous avons effectivement observé un rallye de l’ensemble des actifs brésiliens dans le segment actions, obligations et devises. A mon sens, cependant le marché ne prend pas en compte l’existence d’éventuelles problèmes pour le gouvernement qui succéderait au gouvernement présent.

Que voulez-vous dire ?
Si Dilma Roussef venait à être destituée par un vote, son remplaçant serait le premier ministre actuel Michel Temer. Or ce dernier est chef du parti PMDB dont un important représentant, Eduardo Cunha, est également concerné par les investigations. Des rumeurs courent également sur le fait que Michel Temer serait lui-même impliqué.
Par conséquent, non seulement le nouveau gouvernement constitué sous l’égide de M Temer sera aussi affecté par le scandale de corruption, mais en outre, il pourrait avoir des difficultés à mettre en œuvre des réformes. Le Congrès dans sa composition actuelle est extrêmement fragmenté, avec près de 30 partis différents qui ont tous des intérêts à défendre. Ainsi même si le programme présenté par Temer est cohérent en ce qu’il vise une consolidation fiscale, sa mise en œuvre sera compliquée.
Par ailleurs et non des moindres, Temer est proche de la personne de Dilma Roussef. Il avait déjà été une première fois son vice-président de 2000 à 2014. De ce fait, il lui est difficile de se détacher d’elle.

Qui d’autres que Temer pourrait prendre les rênes du pays pour améliorer notablement la situation ?
Difficile de se prononcer. Cela devrait être une personne qui n’est pas liée au scandale. Même Aecio Neves, qui est arrivé second lors des dernières élections présidentielles de 2014 fait l’objet d’investigations.

Pensez-vous que la banque centrale du Brésil a une marge de manœuvre pour baisser les taux et donc soutenir l’économie ?

En 2015, l’inflation a fortement monté en raison de l’effondrement du réal et de l’augmentation des prix administrés. Le taux d’inflation a atteint un pic à 10.7% en janvier. Les effets de base commençant à disparaître, le taux d’inflation s’est réduit à 9.5%. Nous nous attendons à ce qu’il continue de baisser, jusqu’à 7.5% fin 2016.
Même si le taux d’inflation reste au-dessus de l’objectif de la banque centrale de 2.5% – 6.5%, sa diminution devrait permettre à cette dernière de baisser les taux à partir du troisième trimestre.

Pensez-vous que la situation dans laquelle se trouve le Brésil pourrait dégénérer ? Est-ce que le risque de défaut peut se poser pour le pays ?

Nous avons trois scénarii possibles pour l’évolution de la situation économique et politique du Brésil. Dans le premier scénario, Dilma, Temer ou un autre outsider tente de changer la situation mais n’y parviennent pas. La situation ne renouerait avec une croissance positive qu’en 2017.
Dans un deuxième scénario, plus négatif, le président du Brésil, quel qu’il soit, décide pour contenter les Brésiliens de mettre en place une politique très populiste. Dans ce cas, les investisseurs internationaux perdront totalement confiance dans la gouvernance du pays.
Enfin dans un troisième scénario, une personne crédible arrive à prendre le pouvoir et à mettre en place les réformes requises pour sortir le Brésil du marasme où il est embourbé.

Quel est votre scénario principal ?

Le premier scénario.
Octobre 2018 constitue une date cruciale qui pourrait accélérer le rétablissement du Brésil ?
Effectivement, c’est à cette date que doit être renouvelée la composition du Congrès. A la suite du passage d’une nouvelle loi en la matière, il est très probable que le nouveau Congrès soit moins morcelé.

Un dernier élément sur le regain d’appétit des investisseurs pour les actifs brésiliens. Pensez-vous que celui-ci devrait perdurer ?
Indépendamment des derniers développements politiques, cet appétit des investisseurs est également revenu du fait de la hausse des prix des matières premières et notamment du pétrole et de la position accommodante de la Fed vis-à-vis de la remontée de ses taux directeurs. Cet appétit est quelque peu retombé. Il faut réellement que l’on ait des nouvelles concrètes positives pour observer un nouveau rallye.

Quel est votre positionnement sur ces actifs brésiliens ?

Nous sommes restés prudents dans notre positionnement.

Propos recueillis par Imen Hazgui