Interview de Xavier Timbeau : Directeur principal de l'Observatoire Français des Conjonctures Economiques

Xavier Timbeau

Directeur principal de l'Observatoire Français des Conjonctures Economiques

Sortie de la zone euro : pas de conséquences catastrophiques pour la France ?

Publié le 30 Mars 2017

Vous avez présenté ce mardi votre rapport sur les perspectives économiques pour la France 2016-2018 ? Quel principal enseignement en tirez-vous ?
Alors que nous vivons dans un monde empreint de nombreuses incertitudes-le Brexit, la désignation de Donald Trump comme nouveau Président des Etats-Unis, différentes échéances électorales en Europe, une reprise économique semble se confirmer en France.

Comment expliquez-vous cette relative résilience ?

Les agents économiques s’efforcent de composer avec ces incertitudes.

Jusqu’à quand ces incertitudes ne pèseront pas excessivement sur la reprise…
Il est difficile de répondre à cette question. Probablement tant qu’ils ne deviendront pas des réalités. On peut penser que l’adoption avérée d’une politique protectionniste ou la décision de sortir de la zone euro auraient sans doute des incidences très néfastes sur la santé de notre économie.

D’aucuns se sont dernièrement appuyés sur une étude de l’OFCE pour faire valoir qu’une sortie de la zone euro n’aurait pas de conséquences catastrophiques pour l’Hexagone ?
Ce constat n’est pas tout à fait exact. L’OFCE a effectivement réalisé une étude sur les effets de la sortie de la zone euro sur les bilans de l’Etat et des entreprises françaises. Il a été conclu que la redénommination des dettes et des créances en monnaie nationale aurait un impact relativement modéré. Ce que l’on aurait vocation à perdre d’un côté serait gagné d’un autre côté. De ce fait nous ne devrions pas avoir d’asymétrie majeure dans les bilans agrégés en France.

Cela est sans considérer une éventuelle problématique de redistribution.

Par ailleurs cette répercussion sur les bilans ne constitue qu’un canal de transmission du choc qu’entrainerait une sortie de la France de la zone euro. Il existe indéniablement d’autres canaux, comme celui de l’évolution du taux de change. D’une part l’éventuelle monnaie nationale réinstaurée perdrait ou gagnerait de sa valeur par rapport à d’autres devises étrangères. D’autre part, celle-ci serait assurément soumise à une forte volatilité sur les marchés. Cela aurait des contrecoups non négligeables sur le commerce et l’investissement en France, notamment pour les entreprises de dimension européenne ou internationale.
Un autre canal que nous pouvons mentionner est le canal bancaire. Les grandes banques françaises pourraient être confrontées à d’importantes difficulté de refinancement et se retrouver contraintes à resserrer le robinet du crédit qui mettrait à mal la dynamique économique.

Avez-vous tenté d’apprécier quantitativement les répercussions de cette sortie ?

L’appréciation quantitative d’un tel évènement est compliquée. Nous pouvons imaginer une multitude de scénarii dans la mesure où cette sortie peut être plus ou moins coordonnée.

Votre dernier rapport met en lumière des projections pour l’économie française à horizon 2022 dans le cas avec une politique inchangé et à environnement constant…
Ces projections ont été établies pour éclairer le débat de la présidentielle. A politique inchangée et environnement constant, la croissance devrait s’avérer en hausse de 1,6% en moyenne, donc significativement plus élevée que ces cinq dernières années, et le chômage devrait atterrir sous le seuil des 8%, en recul de près de 2%.
Avec de telles données, nous aurions une contraction de la dette publique même avec une augmentation des taux d’intérêt assez rapide.

Certains observateurs tendent à nuancer vos conclusions en soulignant que l’OFCE aurait un biais politique à gauche…

Notre analyse est faite à partir d’hypothèses explicites, assises sur des méthodes transparentes. Ceux qui pensent que les économistes de l’OFCE sont influencés par leurs convictions peuvent tout à fait reprendre nos paramètres et les discuter.
Au demeurant, on peut s’apercevoir que sur de nombreuses questions, nous avons des résultats proches de ceux du FMI ou de l’OCDE.

Vous avez évoqué au début de notre conversation trois grandes sources de risques : le Brexit, la présidence de Trump, les rendez-vous électoraux au sein de grands pays européens. A votre sens quelle source de risques est la plus significative à l’heure qu’il est ?
De toute évidence les rendez-vous électoraux en Europe-France, Allemagne, Italie- qui pourraient renforcer l’éclatement de la zone euro. La décision du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne renforce quelque peu cette menace.
La présidence de Trump est susceptible d’avoir des retombées néfastes sur le plan du commerce international. Cependant l’Europe étant une zone économiquement intégrée, elle est davantage protégée que d’autres régions dans le monde de ces hypothétiques turbulences.

L’OFCE a eu l’occasion de se prononcer sur des mesures phares avancées par certains candidats aux élections présidentielles. Au-delà de la sortie de la zone euro prônée par certains, une appréciation a été livrée sur le revenu universel. Quelles autres propositions décisives avez-vous été amenés à examiner ?
Nous sommes penchés sur la question du cout du travail et sur celle des dispositifs qui visent à le réduire, comme le Pacte de responsabilité et le Crédit d’impôt compétitivité emploi. Nous avons cherché à comprendre si le diagnostic d’un cout du travail trop élevé en France était pertinent et cherché à évaluer les répercussions que pouvaient avoir les mesures destinées à réduire ce cout, que le financement passe soit par une augmentation des impôts soit par une baisse des dépenses publiques.

Nous avons beaucoup traité de la question des dépenses publiques. Nous allons prochainement publier un nouveau rapport à ce sujet qui essaie de déterminer si ces dépenses sont trop élevées en France et quelle politique pourrait être conduite pour les baisser.

Nous sommes aussi intervenus sur les défaillances qui existent dans la gestion macroéconomique en Europe et sur les conséquences pour la France.

Vous êtes-vous livrés à l’exercice d’une analyse détaillée des programmes économiques des principaux candidats à l’élection présidentielle en France ?

On doit faire état dans quelques jours d’un rapport qui fait le point sur les différents programmes des principaux candidats pour aider au débat. Il fera la lumière sur la cohérence de ces programmes et discutera le diagnostic fait par ces derniers sur la situation économique de la France. Alors que François Fillon met en cause le cout du travail, Jean Luc Mélenchon déplore le manque d’investissement public, et Marine Le Pen blâme l’appartenance de la France à la zone euro.
Nous avons pour ambition de publier mi-juillet une évaluation du programme du nouveau président. Nous aurons alors une assez bonne idée de la majorité dont il disposera à l’Assemblée. Nous pourrons mieux apprécier les impacts sur le plan macroéconomiques, au niveau de la distribution des richesses, de l’emploi, de la compétitivité.

Propos recueillis par Imen Hazgui