Interview de Jean-Marc Daniel : Professeur associé à l'ESCP, membre du comité scientifique de GenerationLibre

Jean-Marc Daniel

Professeur associé à l'ESCP, membre du comité scientifique de GenerationLibre

Un retour au franc résoudrait le problème de la dette publique mais il en créerait d'autres, certainement plus graves

Publié le 11 Avril 2017

Vous n'êtes pas d'accord avec l'idée qu'un retour au franc ferait exploser la dette publique. Pour quelles raisons ?
L'argument de l'explosion de la dette publique est fallacieux. On fait une confusion entre la dette extérieure du pays, exprimée en dollars, et la dette de l'Etat. Un Etat s'endette dans sa monnaie nationale, autrement dit si le franc est rétabli, la dette de l'Etat français sera convertie en francs. C'est ce qu'il s'est passé lors du passage à l'euro. A ma connaissance personne n'a fait de procès à l'Allemagne pour être passée d'une dette en deutsche marks à une dette en euros. Et pourtant l'euro valait potentiellement moins que le deutsche mark. J'ajoute que les Européens ont proposé à la Grèce de revenir à la drachme pour résoudre son problème de dette publique. Pourquoi la même chose ne serait-elle pas vraie pour la France ? Y aurait –t-il une vérité à Athènes différente de la vérité à Paris ? Un retour au franc résoudrait le problème de la dette publique par le biais de l’inflation mais il en créerait d'autres, certainement plus graves.

Quels sont les principaux problèmes liés à la sortie de l'euro ? 
Une sortie de la zone euro aurait 3 conséquences néfastes. La première, c'est une perte de pouvoir d'achat des ménages. Si vous dévaluez de 20% le franc par rapport à la devise allemande comme le propose le Front national, le coût des produits allemands importés augmente d'autant. Nos importations venues d'Allemagne s'élevant à 100 milliards d'euros, la perte de pouvoir d'achat serait de 20 milliards. Le deuxième effet est le retour de l'inflation. Or celle-ci pénalise surtout le pouvoir d'achat des plus modestes, car les prix ont tendance à augmenter plus vite que les salaires ou les pensions. Pour endiguer cette inflation, la Banque de France serait contrainte de relever fortement les taux d'intérêt, freinant l'activité du secteur privé. Enfin la dévaluation s'accompagnerait automatiquement d'un contrôle des changes tel qu'on l'a connu en Grèce en 2015 ou en France au début des années 1980.

En quoi consiste le contrôle des changes ?
Cela consiste d'abord à limiter les achats de devises étrangères par les Français. Ainsi en 1983 avait été instauré un « carnet de change » limitant 2000 francs par an (305 euros) le montant échangeable. Ceux qui séjournaient à l'étranger étaient vite à court d'argent et la plupart des Français étaient coincés chez eux. Ce que propose le FN, comme Jean-Luc Mélenchon d'ailleurs, c'est inévitablement un retour au moins temporaire au « carnet de change ». D'autres mesures plus radicales peuvent être instaurées, comme une limitation des retraits bancaires, pour éviter que les Français ne vident leur compte et ne passent la frontière avec des valises de billets. Cela a été instauré en Grèce, d'abord en 2010 puis en 2015 après l'arrivée au pouvoir du gouvernement Tsipras, avec plus ou moins d'efficacité (on estime qu'une centaine de milliards d'euros ont quitté la Grèce entre 2010 et 2015, ndlr). Si la perspective d'une sortie de la zone euro et d'une dévaluation de la monnaie apparaît, on assistera à un "bank run". Du point de vue des épargnants il est tout à fait logique de vouloir se prémunir contre la dévaluation. La France ne serait pas différente de la Grèce et il faudrait instaurer une limitation des retraits et un contrôle des sorties de capitaux dès le lendemain de l'élection.

La remontée des taux d'intérêt par la Banque de France ne serait-t-elle pas contradictoire avec l'autonomie monétaire voulue par Marine le Pen ?
Le durcissement de la politique monétaire ne coûtera rien à l'Etat. La Banque de France étant propriété de l'Etat ce dernier récupérerait sous forme de dividendes les intérêts qu’il lui versera sur la dette publique dont elle se portera systématiquement acquéreuse. En revanche les ménages et les entreprises supporteront, eux, les conséquences de cette hausse des taux et de l'inflation. Pour que la société obtienne effectivement une baisse du chômage en échange de ses efforts en termes de pouvoir d’achat, il faudrait que les exportations soient au rendez-vous. Or on constate en la matière une fragilité forte du commerce extérieur français. Celui-ci ne s’est pas amélioré ces derniers temps grâce à la dévaluation de l’euro mais grâce au contre-choc pétrolier. A moyen terme, sans des réformes structurelles notamment en termes d’innovation permettant à la France d’améliorer sa compétitivité hors coût, la dévaluation, loin de réduire le chômage, ne serait que le démarrage d’un enchaînement inflation/dévaluation dont le dernier exemple fut celui du début des années 80. Cela s’est terminé par l’obligation de mettre en place la politique de rigueur.

En sortant de l'union monétaire, la France remettrait en cause l'existence même de l'euro. Quelles seraient les conséquences d'une disparition de la monnaie unique ?
Dans le cas d'une explosion de la zone euro, on pourrait voir se reformer deux blocs. L'un, autour de la France et des pays du Sud de l'Europe (Espagne, l'Italie) avec une monnaie dépréciée et un autre autour de l'Allemagne et des pays du Nord (Pays-Bas, Autriche, Finlande). Néanmoins, que des blocs monétaires de substitution apparaissent ou que l’on en revienne à des monnaies strictement nationales est un enjeu moins important que l’enjeu géopolitique. Ce serait une vraie rupture dans le couple franco-allemand et cela ferait vaciller tout le projet européen. C'est l'une des raisons pour lesquelles la Grèce n'a pas opté pour le Grexit. Tsipras ne voulait pas créer un précédent et être accusé d'avoir initié le processus qui a fait s'écrouler l'Europe.

Propos recueillis par François Schott