Interview de Gaspard Koenig : Philosophe, directeur du Think Tank GénérationLibre

Gaspard Koenig

Philosophe, directeur du Think Tank GénérationLibre

Emmanuel Macron porte l'espoir d'un renouvellement des politiques publiques

Publié le 28 Avril 2017

Emmanuel Macron se définit comme un libéral. A juste-titre selon vous ?
Il existe un libéralisme de gauche hérité de la Révolution française qui a imprégné de nombreux dirigeants tout au long du 19e siècle, jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale : Guizot, Jaurès, Léon Blum, entre autres. Plus proche de nous Michel Rocard, Pierre Bérégovoy ou encore Dominique Strauss-Kahn ont incarné ce courant même si les idées libérales se sont perdues sous la Ve République. Le fait qu'Emmanuel Macron ait prononcé, écrit et revendiqué le mot, c'est déjà beaucoup. Il a participé à la commission Attali qui a débouché sur un certain nombre de proposition d'inspiration libérale censées lever les blocages dans l'économie française. En tant que ministre de l'économie il a réussi à faire passer quelques-unes de ces mesures, même si le bilan est anecdotique au final. Je note également que son discours s'est brouillé au fil de la campagne : il ne parle plus de la remise en cause des rentes, du statut des fonctionnaires ou des 35h. Au final son programme est plutôt tiède. Nous espérons qu'il ira plus loin s'il est élu.

Pensez-vous que la société française attend aujourd'hui davantage de libéralisme, notamment sur le plan économique ?
Il n'y a pas une majorité en France appelant à plus de marché, plus de libre-échange. On en est même loin. L'extrême gauche radicale renaît à travers Nuit Debout et le succès de Jean-Luc Mélenchon. L'extrême droite a elle aussi pris un tournant anticapitaliste avec un programme très dirigiste. Ceux qui ont voté Fillon ne l'ont pas forcément fait pour son libéralisme économique. Bref, il y a encore un travail idéologique à faire pour promouvoir l'économie de marché comme moteur de justice et de paix sociale. Le libéralisme est une pensée aussi révoltée, aussi radicale que la pensée anticapitaliste mais avec des solutions radicalement différentes. L'idée est que l'Etat doit permettre à chacun de trouver sa place dans la société par une égalité de droits et par la suppression des corps intermédiaires. Cela passe par des politiques publiques d'éducation, de formation professionnelle, qui permettent à chacun de se construire et de faire des choix. C'est l'inverse du planisme du FN qui consiste à organiser les grandes structures sociales et industrielles d'en haut. Ce ne sont pas non plus les solutions conservatrices du Medef qui favorisent les détenteurs du pouvoir économique et politique au détriment des nouveaux entrants.

GénérationLibre a passé au crible le programme du candidat d'En Marche! Quelles mesures vous semblent aller dans le bon sens ?

Emmanuel Macron propose une vraie réforme des retraites avec la mise en place d'un système "par points". Cette mesure aurait le mérite d'uniformiser les régimes existants et de responsabiliser les Français, sans toucher au système par répartition. Concrètement tous les actifs, qu'ils soient salariés, fonctionnaires ou indépendants, accumulent en travaillant des points retraite. La valeur du point est fixée en fonction des conditions de croissance et de démographie. Elle peut donc varier mais elle est la même pour tous. Chacun sait à tout moment combien de points il a et est libre de choisir entre travailler plus longtemps pour avoir une meilleure pension, ou partir plus tôt avec une pension moindre. On règle ainsi le problème de l'âge légal de départ que personne n'est capable de fixer à l'avance. Idéalement on devrait même pouvoir se remettre à travailler après avoir pris sa retraite.
Les propositions en matière de fiscalité de l'épargne vont également dans le bon sens. Aligner la fiscalité de l'assurance vie sur celle des autres placements, au-delà d'un certain montant d'épargne, me semble être une bonne idée. Elle incitera les gens à investir directement dans les entreprises, plutôt que de financer la dette d'Etat. La volonté de renforcer la formation professionnelle est également une bonne idée mais il faudrait permettre à chacun de choisir sa formation via un "chèque formation". Enfin il faut aller au bout de la logique de la loi Macron qui visait à libérer un certain nombre de professions et secteurs où il y a des rentes qui empêchent les nouveaux entrants de trouver leur place (pharmaciens, notaires, auto-écoles notamment).

Lesquelles rejetez-vous ?

La suppression de la taxe d'habitation est une mesure populiste de base. Elle fait reposer sur le contribuable national ce qui reposait jusqu'ici sur le contribuable local, et enlève encore un peu plus de liberté aux collectivités locales. Un programme libéral sur la taxe d'habitation devrait faire tout l'inverse, c'est-à-dire décentraliser l'assiette et le taux de la taxe de manière à ce que chaque municipalité puisse en décider librement. Les services financés par cette taxe étant visibles par les administrés, les municipalités seraient ainsi tenues responsables de l'efficacité de cette taxe.

Vous êtes également très critique sur la réforme de l'assurance chômage…

Le principe de créer un filet de sécurité qui permette à chacun de rentrer et sortir de l'emploi salarié de manière beaucoup plus sereine qu'aujourd'hui est un bon principe. C'est une version "light" du revenu universel que nous préconisons. Le problème d'Emmanuel Macron est qu'il ne va pas jusqu'au bout de la logique qui consiste à verser la même somme à tous. Il veut garder différents niveaux d'indemnisation en fonction du temps travaillé, du niveau de salaire, ce qui risque de créer des effets d'aubaine pour ceux qui démissionneraient d'un emploi bien payé et qui seraient indemnisés par ce système. Pour éviter ce travers, le programme prévoit un renforcement du contrôle des chômeurs qui ne pourront pas refuser plus de deux offres d'emploi valables. Mais va-t-on demander à un indépendant pourquoi il a refusé des offres d'emploi ? C'est absurde. Il faut espérer que ce projet soit modifié dans les prochains mois si l'on ne veut pas avoir une nouvelle usine à gaz bureaucratique.

Les retraités ne sont-ils pas les grands perdants du programme d'Emmanuel Macron qui prévoit de financer une partie de ses mesures par une hausse de la CSG ?

Contrairement à une idée largement répandue les retraités français sont parmi les plus riches. Leur niveau de vie est supérieur à celui du reste de la population (ndlr : une étude du Conseil d'orientation des retraites de 2015 évalue le "niveau de vie" d'un retraité à 2050 euros en moyenne par mois contre 1950 euros par mois pour l'ensemble de la population). C'est une moyenne qui cache bien sûr des situations très difficiles. Mais le fait est que dans les grandes masses les retraités d'aujourd'hui vivent mieux que leurs enfants, à qui ils ont par ailleurs laissé une dette très lourde. Je ne trouve pas anormal qu'ils contribuent un peu plus à l'assainissement des finances publiques du pays. J'ajoute que la richesse relative des retraités par rapport aux actifs est une anomalie française. Si l'on fait le parallèle avec la moyenne d'âge de nos députés et sénateurs, qui correspond à la moyenne d'âge de départ à la retraite en France, on se rend compte qu'il y a là un conflit d'intérêt. Avec son mouvement, En Marche!, Emmanuel Macron porte l'espoir d'un renouvellement de génération au Parlement et donc, aussi, des politiques publiques.

Propos recueillis par François Schott