Interview de Estelle Ménard  et Wesley Lebeau : Gérants du fonds CPR Invest - Global Disruptive Opportunities chez CPR Asset Management

Estelle Ménard et Wesley Lebeau

Gérants du fonds CPR Invest - Global Disruptive Opportunities chez CPR Asset Management

Adyen, Twilio, Siemens, Roche, Umicore : la disruption peut impacter tous les grands pans de l'économie

Publié le 03 Juillet 2018

Racontez-nous la genèse du fonds CPR Invest - Global Disruptive Opportunities (LU1530899142) ? Pourquoi a-t-il été créé ? Pour répondre à quelle opportunité d’investissement concrète ?
Nous souhaitions créer un fonds thématique qui connaisse un succès comparable à notre fonds CPR Silver Age (FR0010836163). Après avoir réfléchi aux différentes pistes qui se présentaient à nous, il nous a semblé opportun d’emprunter celle de l’innovation.
Plusieurs fonds existaient autour de cette grande notion. Ces fonds avaient toutefois à nos yeux le désavantage d’être centré sur un univers d’investissement restreint. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes positionnés sur une acception un peu plus élargie, et de ce fait plus durable, de l’innovation qui est la disruption.

Qu’entendez-vous par disruption ?

Nous comprenons la disruption, comme l’innovation de rupture. Elle peut impacter évidemment le secteur de la technologie et de la biotechnologie, mais également l’ensemble des grands pans de l’économie.
La disruption est un changement intervenant sur un produit, un service qui aura les caractéristiques de le rendre moins cher, plus rapide, plus facile à utiliser de tel manière qu’il aboutira à la création d’un nouveau marché ou à la transformation d’un marché existant.

De quelle manière appréciez-vous la création d’un nouveau marché ou à la transformation d’un marché existant ? 

Nous nous sommes aperçus dès la conception du fonds qu’il était difficile sur l’appui de critères quantitatifs systématiques de définir ce qu’est la création d’un nouveau marché ou la transformation d’un marché existant.
Des ratios de dépenses en R&D par exemple, ne conditionnent pas forcément une société à être en capacité de créer un nouveau marché ou de transformer un marché existant.
En conséquence, nous nous sommes plutôt orientés vers approche basée sur des critères qualitatifs.

Que voulez-vous dire ?

Nous pouvons illustrer notre idée en mettant en lumière ce qu’a fait une société salesforce.com sur la partie CRM. La société s’est distinguée par une croissance de son chiffre d’affaires en accélération. Elle était dans une démarche de renforcement de ses effectifs, en particulier dans la fonction d’ingénieur. Nous avons été interpellés par la dynamique en cours.
Progressivement nous nous sommes aperçus que d’autres sociétés se sont mises à distribuer des logiciels par le cloud et à se lancer dans la spécialisation par la verticalité. Toute une industrie s’est alors mise en place qui génère désormais plus de 80 milliards de chiffre d’affaires tous les ans.

Avez-vous une nette visibilité sur l’univers d’investissement dans lequel vous êtes à même de puiser ?

Les contours de cet univers se sont dessinés au fil de ces deux dernières années. Mais il s’agit d’un univers mouvant en ce qu’il est alimenté continuellement par des sociétés qui font leur entrée en bourse, ou des groupes cotés qui décident de mettre sur le marché une de leur entité pour la mettre davantage en lumière. Il est ainsi passé de 600 à la création du fonds à 750 titres aujourd’hui, avec 80 titres qui ont fait l’objet d’une opération de fusion-acquisition.

Sur quelle allocation géographique êtes-vous ?

Nous considérons l’ensemble des places mondiales, pays émergents compris. Toutefois, plus de 60% de l’univers se situe sur le territoire des Etats-Unis.

Un mot sur l’équipe de gestion ?
Le fonds est piloté par nous deux. Nous avons l’avantage pour l’un d’avoir un œil avisé dans le segment de la haute technologie, grâce à la gestion d’un fonds spécialisé dans la technologie au niveau mondial pendant plus de 12 ans (Wesley Lebeau), et pour l’autre d’avoir une expertise forgée dans les restructurations économiques et les fusions acquisitions ce qui est un atout lorsque l’on sait que de nombreuses sociétés disruptives sont des valeurs cibles avérées (Estelle Menard).

Nous nous appuyons, par ailleurs, sur notre équipe thématique constitué de onze gérants seniors.

Est-ce que les titres de votre portefeuille doivent nécessairement avoir été choisi dans d’autres portefeuilles de CPR AM ?

Pas du tout. Il peut nous arriver d’avoir des valeurs communes mais ce n’est pas une condition sine qua non.
Au-delà de sociétés de haute technologie très matures, comme Google, Facebook, il vous arrive également de vous positionner sur des acteurs traditionnels…
Tout à fait, pour peu que ces sociétés aient réussi à se réinventer en allouant une partie de leurs investissements dans la disruption. Tel est le cas de Siemens, Roche ou Umicore qui ont vraiment su redéfinir leur profil d’activité.

S’agissant du processus d’investissement, où réside sa valeur ajoutée ?

Tout d’abord, nous avons régulièrement des signaux sur la base d’outils propriétaires à CPR AM à partir desquels nous pouvons travailler. Nous avons optimisé un alpha sur lesquels l’univers disruptive réagit bien quelque soit le cycle de marché.
Nous recoupons les signaux reçus avec des données de Credit Suisse.
Cette étape d’implémentation est cruciale dans notre processus d’investissement puisqu’elle permet des déterminer les titres sur lesquels va se faire une analyse fondamentale.

Qui plus est, nous construisons le portefeuille en aillant continuellement à l’esprit trois métriques déterminantes : le risque de volatilité ex ante du portefeuille, le niveau de valorisation en termes de PE et de EV/Ebitda, le niveau de croissance inclus dans le fonds. Nous cherchons à optimiser la quête d’une croissance par rapport à un certain niveau de valorisation avec un budget de risque limité. Une manière de procéder est de calculer la moyenne du portefeuille pour ces trois métriques clés et d’éviter les titres qui se situeraient au-dessus de ces moyennes.

Que doit-on comprendre par « risque de volatilité ex ante du portefeuille » ?

C’est une donnée livrée à partir du modèle de risque Barra sur la volatilité non réalisée avec des matrices de variances et covariance appréciées sur des historiques de volatilité de long terme et de court terme.

Comment vous efforcez vous d’agir sur le niveau de volatilité ?

Nous aurons tendance à agir sur le niveau de volatilité du portefeuille par la pondération accordée aux titres plus ou moins volatiles dans le fonds. Plus un titre sera volatile et moins il aura de poids dans le fonds.

Qu’en est-il des spécificités relatives à la composition du fonds ? Quels biais ? Quelle concentration ? Quel turnover ? Quelle durée moyenne de détention des titres ?

Le fonds se compose de 80 titres. Ce grand nombre de titres nous permet de mieux maitriser le risque fondamental lié à l’activité intrinsèque des sociétés. L’« active share » du fonds est très élevée, autour de 93%. Le fonds est donc géré très activement.
Le fonds affiche un biais midcap et un biais croissance avec un risque d’exécution non négligeable.
Sur un plan géographique, nous sommes davantage investis en Amérique du nord. D’un point de vue sectoriel, nous mettons l’accent aujourd’hui sur la technologie, la santé et l’industrie.
La durée de détention moyenne des titres est de deux ans.

En ce qui concerne les risques, comment sont-ils pilotés ? Mettez-vous en place des protections ?

Nous ne mettons pas en place de couverture particulière. Notre optique n’est pas de hedger le beta mais d’optimiser l’alpha.
Tous les jours, nous monitorons les sous performances et surperformances d’un titre. Dès que l’objectif de bourse fixé est atteint, assez rigoureusement nous prenons les bénéfices et coupons la position.
Il peut y avoir une poche de liquidité, mais cela aura peu d’impact tactiquement sur le comportement du fonds. Le beta est autour de 1,15. Le niveau de tracking s’établit autour de 6. Mécaniquement il y a une forte dispersion par rapport à l’indice.

Le principal driver du turnover est donc l’atteinte de l’objectif de cours par le titre sélectionné...

Effectivement. Le turnover s’est avéré important l’année dernière, aux environs de 80%. Il est moitié moindre sur ce premier semestre 2018.
Nous restons confiants sur le reste de l’année.

Combien de valeurs de votre portefeuille actuel sont susceptibles d’être des proies potentielles ?

Même si ce n’est pas une condition d’éligibilité, 80% du portefeuille pourrait faire l’objet d’une OPA. De nombreuses entreprises importantes ont accumulé du retard par rapport aux évolutions qui s’imposent dans leur secteur. Pour combler ce retard, elles sont enclines à réaliser des opérations de fusion-acquisition. C’est ce qui explique de beaucoup d’entreprises disruptives de petite taille apparaissent comme des proies idéales.

Vous arrive-t-il de vous positionner sur des IPO ?

Oui, notamment lorsque nous connaissons bien la société avant son entrée sur le marché et sous réserve bien entendu que leur business model nous semble valide. Nous avons ainsi fait le choix d’investir dans Adyen

Donnez-nous un exemple de conviction contrariante qui a particulièrement bien performé dans le fonds ?

Nous pouvons mentionner la société Twilio qui fournit des infrastructures de communication en mode cloud. Cela change la manière dont les clients communiquent avec les fournisseurs de services.
Historiquement Twilio avait Uber parmi ses premiers clients qui représentait une importante de son chiffre d’affaires. Les infrastructures délivrées par Twilio permettait au client de suivre la voiture de Uber et au chauffeur de Uber d’échanger avec le client de manière sécurisée.
Uber a décidé de substituer à Twilio un autre prestataire qui avait un pricing plus important.
A la suite de cette annonce, l’action Twilio a été très chahutée. La direction de la société, qu’on a eu l’occasion de rencontrer, a pris les choses en main en renforçant la diversification dans d’autres industries, en particulier celle de la banque privée. Le titre a bondi de 150% sur les six derniers mois.

Donnez-nous un exemple d’erreur de jugement et dites-nous de quelle manière des ajustements ont été apportés pour rectifier cette erreur ?

En guise d’erreur d’appréciation, nous pouvons mentionner Celgene, spécialisée dans le traitement du cancer avec Revlimid, qui a racheté Juno Therapeutics. Il est apparu que le management manquait de conviction à se diversifier et à trouver un nouveau relai de croissance à leur traitement phare. Nous avons compris cela après que la société ait reçu une lettre du FDA, RTF (Refuse to file), rarement émise pour une société cotée. Nous avons tout de suite coupé la position après la délivrance de ce document.

Une autre illustration peut être donnée avec Acuity Brands qui développe des solutions intelligentes dans les maisons, immeubles et aéroports autour du LED. Nous pensions qu’il serait intéressant de vendre Cree également spécialisée dans la LED pour nous renforcer dans Acuity Brands qui avait un niveau de valorisation moins élevé. Ce n’est pas ce qui s’est produit. Cree a notamment été portée par de l’engouement pour la silicone carbide utilisée dans les véhicules autonomes. Ainsi, alors que Cree est remonté, celui d’ Acuity Brands a baissé. Nous avons coupé notre position dans Acuity Brands.

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Propos recueillis par Imen Hazgui