Interview de Stéphane Piat : Directeur général de CARMAT

Stéphane Piat

Directeur général de CARMAT

Carmat a une avance d'une dizaine d'années sur ses concurrents éventuels

Publié le 01 Mars 2021

Quelle est la raison d’être de CARMAT ?

Elle est simple : s’attaquer au problème le plus important des temps modernes, l’insuffisance cardiaque avancée. Elle se manifeste par un gonflement et un affaiblissement du cœur, qui perd alors en efficacité. La fréquence cardiaque augmente pour compenser, et le cœur finit par lâcher. Ce mal croît aujourd’hui de façon exponentielle, au point de devenir dans certains pays la première cause de mortalité devant le cancer. L’augmentation forte des cas, conséquence indirecte de l’amélioration de l’espérance de vie qui cause davantage de fragilité chez les plus âgés, entraîne de sérieux problèmes systémiques de capacités hospitalières. Actuellement, plus de 100 000 patients se trouvent dans des conditions irréversibles, vivant avec un risque de mortalité exprimé en semaines.

Quel type de population est concerné par l’insuffisance cardiaque avancée ?

Deux types de profils. Dans certains cas, ceux des maladies congénitales, elle peut se déclarer très tôt, dès 30 ou 35 ans. Sinon, elle a tendance à se développer à l’approche de la fin de vie. Quand l’insuffisance cardiaque avancée apparaît, c’est qu’il reste en général une année de vie au malade. Contre les pathologies propres aux artères coronaires, on pose des stents. Et des valves chirurgicales lorsqu’elles vieillissent trop. Pourtant, la manifestation la plus radicale du mal est la défaillance cardiaque, le moment où le cœur, cette « pompe sophistiquée » qui amène de l’oxygène dans l’ensemble du corps, cesse brusquement de fonctionner.

Contre ce fléau, CARMAT a conçu un dispositif médical qui représente une rupture technologique…


À l’origine de CARMAT, on trouve un visionnaire : le professeur Alain Carpentier. C’est le premier scientifique qui a eu l’idée, il y a trente ans, de créer un cœur artificiel qui fonctionne vraiment comme un cœur humain : c’est-à-dire pas seulement comme une pompe mécanique. Grâce à son action qui mime le fonctionnement physiologique du cœur, il représente une alternative thérapeutique crédible à la transplantation. La bioprothèse que nous avons conçue est en effet hémocompatible, elle ne détériore pas le sang avec lequel elle entre en contact et évite au patient des complications dangereuses. Elle est aussi autorégulée : grâce à un software et une carte électronique reproduisant le cœur humain, elle adapte elle-même le flux sanguin aux besoins spécifiques liés à l’âge et à l’activité du patient. L’appareil fonctionne à l’énergie électrique, alimenté par une batterie externe à laquelle il reste connecté de manière continue par un fil qui sort de l’abdomen.

Pouvez-vous nous présenter rapidement la société ?

CARMAT est une start-up fondée en 2008 à partir d’un prototype avancé de cœur artificiel. Cette société, introduite en bourse en 2010, est la rencontre entre le savoir-faire du professeur Carpentier et l’entreprise Matra, devenue depuis MBDA. Chacun a prêté quelques lettres à ce qui est devenu « CARMAT » ! On peut dire que CARMAT est le produit d’un heureux concours de circonstances : grâce à l’alliance avec Matra, les débuts du travail de recherche ont été réalisés et soutenus par des fonds publics. Dans ce domaine, c’est une zone de fragilité essentielle pour des starts-ups comme la nôtre. En effet, l’investissement a tendance à être assez moutonnier : tant que le pionnier n’a pas fait la démonstration de son succès, personne d’autre ne se lance. Au sens propre, nous n’avons donc pas de concurrent à l’heure actuelle. Ce qui n’empêche pas tout un chacun de garder sur nous un œil attentif pendant que nous ouvrons la voie !

Cet attentisme peut-il aussi avoir une conséquence positive en favorisant les barrières à l’entrée ?

Je dirais que le modèle lui-même, dans sa difficulté, nous protège. Le niveau technologique avancé et les fonds très importants nécessaires au développement d’un dispositif médical de ce type représentent des obstacles dissuasifs. Mais le talon d’Achille de ce genre de développement se trouve dans le passage en production. À la fois pour convaincre et arrimer dans la durée nos fournisseurs à la société. Mais aussi pour bâtir et stabiliser un process de production, ce qui devrait nous prendre entre cinq et dix ans. Process pendant lequel nous ne cessons d’apprendre, d’expérimenter, d’améliorer… Cet effort immense se transforme automatiquement en avantage déterminant sur d’éventuels concurrents, avantage matérialisé par une avance correspondante de l’ordre d’une dizaine d’années.

L’augmentation de capital que vous avez engagée le 26 février est la quatrième de l’histoire de la société ouverte au public.

En ce qui concerne CARMAT, le lancement en Bourse de 2010 et les deux autres augmentations de capital ouvertes au public qui ont eu lieu en 2011 et 2017 ont d’abord permis l’acquisition d’une base de petits porteurs très attentifs et engagés. L’entreprise en est désormais plutôt au stade du cross-over, permettant l’entrée au capital de plus gros acteurs, comme durant le placement privé de 2019. Cette évolution du profil de l’investisseur démontre la validation de notre succès par les professionnels du secteur. Et c’est une très bonne nouvelle de plus pour CARMAT !

Quels sont les objectifs spécifiques de l’opération boursière actuelle ?

Selon le modèle classique de la start-up, nous consommons beaucoup d’argent pour garantir la qualité de notre produit. Et devons donc régulièrement nous tourner vers des investisseurs. Cette fois-ci, nous visons une levée de fond de 50 millions d’euros avec une clause d’extension de 15 %. Notre premier objectif est de financer la montée en puissance de la production de notre bioprothèse en vue de la phase de commercialisation, ouverte fin 2020 par le marquage CE obtenu en tant que pont à la transplantation. Le deuxième est de poursuivre nos efforts de recherche & développement, cruciaux comme vous pouvez l’imaginer pour une société comme la nôtre. Enfin, troisième objectif, nous cherchons à soutenir l’expansion commerciale et les études cliniques que nous engageons.

À ce sujet justement, avez-vous prévu de déléguer via des partenariats certains aspects de l’activité ?

Non, nous gardons la main sur l’ensemble du développement. Pour les raisons techniques déjà évoquées, d’une part. La stabilisation du process de production n’est pas seulement une étape du développement commercial. Elle nous permet aussi de continuer à apprendre. En gardant les yeux ouverts, on découvre beaucoup de choses ! Ce qui nous permet de continuer à améliorer notre bioprothèse. D’autre part, la partie commercialisation est relativement simplifiée par le cœur de spécialité qui est le nôtre : nous adressons des hôpitaux prescripteurs, peu nombreux, et suivons les procédures avec eux. Mais nous n’avons pas à convaincre car nos interlocuteurs attendent avec impatience notre dispositif médical.

Sur quels territoires cherchez-vous à vous déployer en priorité ?

En priorité, l’Allemagne. C’est le pays le plus peuplé d’Europe et la demande y est naturellement importante. Par ailleurs, la couverture de l’opération par le remboursement, déjà effective sur ce territoire, est un élément essentiel de notre stratégie. Nous espérons qu’elle sera disponible en France dès l’issue de l’étude PIVOT actuellement en cours. En tout cas, nous attendons nos premières ventes dans ces deux pays à partir du deuxième trimestre 2021. Fin 2019, sur le même territoire, près de 1 600 patients se trouvaient en attente de transplantation. Nous envisageons ensuite d’adresser 2 000 patients par an en Europe. Nous prévoyons aussi de lancer des études cliniques aux États-Unis à partir de la fin du premier trimestre 2021. Naturellement, nous adresserons en parallèle tous les gros centres hospitaliers spécialisés qui nous en feraient la demande dans d’autres pays qui reconnaissent le marquage CE .

Quelles perspectives de croissance établissez-vous ?

Notre bioprothèse étant très attendue, nous n’avons aucune inquiétude sur notre développement dans les années à venir. Dès que la phase de commercialisation, qui débute juste, nous le permettra, nous communiquerons des objectifs chiffrés. Ceci dit, notre challenge résidera plutôt dans notre capacité à accroître rapidement nos capacités de production pour suivre la forte demande. Et c’est précisément l’un des objectifs de notre augmentation de capital actuelle.





Aymeric JEANSON

NB : Cette opération est proposée aux clients d’EasyBourse. Les souscriptions sont ouvertes jusqu’au 5 mars 2021.


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