Interview de Marc le Bozec : Co-gérant du fonds Pluvalca Biotech chez Financière Arbevel

Marc le Bozec

Co-gérant du fonds Pluvalca Biotech chez Financière Arbevel

Malgré une performance de plus de 1850% en trois ans, le potentiel de hausse supplémentaire de Genfit reste important

Publié le 04 Mai 2015

Pensez-vous que nous connaissions aujourd’hui une certaine euphorie sur le segment des valeurs biotechs françaises ?
Pas du tout. C’est d’ailleurs cette conviction qui nous a conduits à créer un fonds d’investissement dédié aux valeurs biotechs européennes, en grande partie françaises, qui présentent une valorisation très faible par rapport à leurs homologues américaines, en dépit d’un niveau de développement équivalent.

Vous êtes d’avis qu’il existe une marge de rattrapage significative ?
Absolument, tout particulièrement à la lumière des segments d’activité dans lesquelles évoluent les sociétés phares du secteur.

Ainsi une valeur comme Cellectis, spécialisée dans le traitement du cancer a gagné plus de 140% depuis janvier après avoir communiqué des accords industriels remarquables et reste faiblement capitalisée eu égard à ses concurrents internationaux.

Que pensez de la performance affichée par la société Genfit, soit plus de 1850% en trois ans ?

Ca dépend de quelle manière on apprécie cette estimation. En absolue, cela peut sembler énorme. Cependant en relatif, ce pourcentage perd beaucoup de son acuité.
Il y a trois ans, Genfit était faiblement valorisée et malgré le vif rebond affiché depuis trois ans, le potentiel de la société reste important. En effet, le marché adressé par leur candidat médicament est évalué à près de 30 milliards de dollars. Il est tout à fait possible que le produit en cours de développement qui présente moins d’effets secondaires que celui du concurrent américain parvienne à générer plusieurs centaines de millions voire plusieurs milliards de dollars de revenus par an à moyen terme. Ainsi, la valorisation de Genfit nous parait non seulement raisonnable mais aussi attractive.

D’après vous, non seulement nous ne sommes pas dans une phase d’euphorie sur le segment, mais nous ne serions qu’au début du rallye haussier ?

De très nombreuses sociétés biotechs arrivent à maturité. Certaines ont 10 à 20 ans d’âge et des équipes de management plus expérimentées. L’état des recherches est très avancé. L’efficacité de cette recherche s’est elle-même grandement améliorée. Nous n’avons donc pas à faire à de la pure spéculation.
Au-delà de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de garder à l’esprit que les maladies en voie d’être traitées sont des maladies qui étaient incurables il y a quelques années, comme l’hépatite C, certaines formes de cancer... Nous sommes véritablement face à une révolution que beaucoup sous estiment.
Pour toutes ces raisons je pense que le mouvement haussier observé depuis plusieurs trimestres a vocation à se poursuivre.

Quel est le différentiel de valorisation des biotechs françaises par rapport aux biotechs américaines ?
L’écart va de 5 à 10.

D’aucuns avancent le fait qu’il y aurait une bulle dans la sphère biotech aux Etats-Unis et que l’éclatement de cette dernière pourrait avoir une incidence néfaste sur le segment des biotechs françaises. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que la perception des excès dépend de l’horizon auquel vous vous placez. Dans un horizon de moyen long terme, parler d’excès pour des sociétés comme Gilead, Amgen, Celgene, Biogen n’a pas de sens. Les comptes de résultats de ces grandes sociétés américaines font déjà mention de profits. Les portefeuilles de produits en développement sont très étoffés.
A bien regarder les PE, on relève que ceux-ci ne sont pas à des niveaux excessifs. Une société comme Gilead se paie 10 fois les résultats 2015.

On aurait donc tort de parler de bulle aux Etats-Unis ?

Il ne faut pas s’arrêter à un point de vue technique, chartiste mais prendre en compte la valeur d’origine, regarder le contenu des portefeuilles de développement et s’attacher aux résultats cliniques des sociétés.

La thématique de la biotech étant porteuse, de plus en plus de nouvelles sociétés font leur entrée sur la cote, ce d’autant plus que le rôle des capital risqueurs s’est beaucoup amondri dans le financement de ces sociétés, à coté des fonds d’amorçage et de la Bourse. Pour certains, des sociétés insuffisamment matures sont amenées à faire leur entrée sur le marché. Pensez-vous que nous connaissons un déclin de la qualité des sociétés qui s’introduisent en bourse ?

Globalement non. Ponctuellement, certaines sociétés peuvent être opportunistes et profiter de la fenêtre qui est ouverte aujourd’hui alors qu’elle n’aurait probablement pas pris le chemin de la cotation dans une autre configuration moins propice.

La prolifération d’IPO prématurées n’accentue-t-elle pas le risque d’accident dans l’industrie ?

Je ne crois pas à cette logique de contagion. Genfit qui était la société la plus importante en termes de valorisation a perdu 44% à la suite de la publication de résultats décevants aux yeux des investisseurs. Il n’y a pas eu d’incidence majeure sur les cours de bourse des autres sociétés. C’est un exemple particulièrement frappant. Ce d’autant plus que la société était scrutée par de très nombreux investisseurs exposés au secteur, y compris par les petits porteurs.

Comment l’expliquez-vous ?

Nous commençons à avoir une communauté d’investisseurs qui s’intéressent de plus en plus aux valeurs biotechs et qui sont en mesure de faire la part des choses entre les différentes sociétés du segment. C’est d’ailleurs ce qui fait de la place de Paris, une place unique en dehors des Etats-Unis.

De quelle manière analysez-vous le moindre rôle des capital risqueurs dans le financement des biotechs françaises ?

Il y a effectivement un gap important entre l’amorçage et la mise en Bourse. Trouver un million d’euros pour démarrer une activité dans le domaine est relativement aisé. Le financement par la Bourse est également relativement efficace. Cependant nous sommes confrontés à un déficit criant du financement par le capital risque.
Cette situation est très dommageable dans la mesure où nous avons dans le pays de multiples équipes de recherche d’excellence. Cela peut obérer notre capacité à créer de la richesse à partir de notre innovation.

Un autre sujet d’inquiétude réside dans le fait que les autorités ne mettent pas en place la dynamique nécessaire pour que les essais cliniques qui sont les éléments clés de la réussite des sociétés du secteur se fassent à des conditions moins laborieuses ?
Ponctuellement, il existe un blocage administratif qui met à l’arrêt certains essais sur de nouveaux médicaments. Il y a un manque de sensibilité de nos politiques sur le sujet de l’innovation en matière médicale.
Ce blocage est indéniablement néfaste pour notre industrie à la fois pour nos propres sociétés et pour les sociétés étrangères qui voudraient investir en France.

Sur quels critères en particulier opérez-vous votre sélection d’investissement ?

Nous nous efforçons de rechercher des sociétés avec un profil peu risqué sur le plan technologique et qui n’ont plus en face d’elles que des risques d’exécution : enregistrement d’un produit, mise en place d’une structure commerciale propre ou avec un tiers pour atteindre la population de patients. Ces sociétés représentent plus de 50% de notre portefeuille.

Quelles sont vos convictions du moment ?

Cellectis, DBV, Erythech, Nanobiotix, Innate Pharma.

Le réservoir de valeurs est également important en Europe ?

Nous aimons également Galapagos, Ablynx et Argen-X.

Quels sont les derniers ajustements apportés à votre fonds d’investissement s’agissant des titres français ?

Nous avons pris des partiellement des bénéfices sur Cellectis, après son remarquable parcours boursier, mais demeurons investis compte tenu de l’excellence de ses fondamentaux et nous avons récemment renforcé notre position sur Nanobiotix.

Propos recueillis par Imen Hazgui