Interview de Christian Sautter : Adjoint au maire de Paris chargé du développement économique, des finances et de l’emploi

Christian Sautter

Adjoint au maire de Paris chargé du développement économique, des finances et de l’emploi

Bertrand Delanoë a géré Paris comme une petite entreprise en grattant sur toutes les dépenses

Publié le 07 Mars 2008

Quel bilan économique dressez-vous de l’équipe de Bertrand Delanoë ?
Pour commencer, l’équipe de Bertrand Delanoë a interrompu la chute de l’emploi -qui avait été très forte dans les années 90- et a accompagné et peut-être impulsé une remontée de l’emploi salarié privé à partir de 2005.

Deuxièmement, son équipe -notre équipe-, je pense, a un peu changé l’image de Paris, pour autant, je pense que nous avons contribué à ce que Paris devienne ce que l’on appelle une technopôle, c’est-à-dire que nous avons fait en sorte que la création d’entreprises innovantes soit beaucoup plus ample que par le passé, notamment grâce à notre soutien aux pôles de compétitivité.

Troisièmement, nous avons développé les services à la personne –services aux familles, services aux personnes victimes de handicap, services aux personnes âgées en situation de dépendance mais étant à domicile.

Et puis, dernier point, nous avons lancé l’économie sociale et solidaire sur Paris qui y était pratiquement absente avant 2001.

Vous avez dernièrement souligné que le différentiel entre le chômage parisien et le taux de chômage national n’est plus que de 0,3%, toujours à la défaveur de Paris…
L’écart était d’environ 2 points aux alentours de 2002-2003, le taux de chômage parisien surpassant la moyenne nationale, maintenant, l’écart est réduit autour de 0,3%.

Nous espérons -à condition de pouvoir poursuivre cette action- faire descendre le taux de chômage parisien au niveau du taux de chômage national et pourquoi pas en dessous, parce que Paris a des atouts formidables dans le domaine du développement économique qui sont reconnus par toutes les études de benchmarking internationales.

Cette baisse du chômage est-elle juste une illusion - les précaires ayant fuit Paris trop cher- ou bel et bien le fruit d’une politique mise en œuvre par la Mairie de Paris ?
Si le chômage avait augmenté dans Paris ce serait notre faute, alors si le chômage diminue, nous y sommes peut-être pour quelque chose !

La population de Paris augmente et la thèse du déclin de la population parisienne était un thème des années 90, ce n’est pas un thème du début du 21ème siècle. Donc, s’il y a moins de chômage à Paris c’est parce que l’on crée davantage d’emplois dans Paris.

Quels types d’emplois ?
Juste un exemple très concret : nous organisons chaque année au mois d’octobre un forum qui s’appelle «Paris pour l’emploi» où plus de 200 entreprises proposent pendant deux jours environ 20 000 emplois à 50 000 visiteurs.

La dernière opération a débouché sur 5 960 emplois pourvus, dont les deux tiers en emploi durable.

Justement, un mot sur les loyers exorbitants et les cautions demandées de plus « solides », pour ne pas dire extravagantes… Quelle est votre politique en matière de logement social et même en matière de logement raisonnable tout simplement ?
La première mesure a été de construire des logements sociaux : nous en avions promis 3 500 financés par an, nous en aurons financé sur la mandature plus de 4 000 par an. C’est un très heureux contraste par rapport à ce qui se faisait précédemment.

L’idée pour les années à venir est d’accélérer le rythme de construction de logements sociaux, d’en financer 40 000 dans la mandature qui vient, de façon à atteindre le fameux objectif de 20% de logements sociaux dans le parc total de logements, non pas en 2020 comme l’implique la loi, mais en 2014, c’est-à-dire à la fin de la mandature à venir. Tous les candidats parisiens qui habitent à Neuilly pourraient s’inspirer de cette excellente proposition !

J’insiste sur le fait que contrairement à ce que disent certains, les instituteurs, les policiers, les infirmières ont tout à fait le droit -et je dois dire que c’est la meilleure solution pour eux- de commencer leur carrière dans un logement social.

Il n’y pas que les logements sociaux, nous voulons aussi favoriser la construction de logements privés par des promoteurs, mais à loyer limité à 16 euros du mètre carré. Cela signifie que dans une opération d’aménagement, et nous réaménageons près de 10% de la surface de Paris, nous dirons : «Vous voulez faire des logements ? Vous êtes les bienvenus, mais dans le paquet de logements que vous faites, il doit y avoir une part de logements sociaux et une part de logements à loyer modéré».

Avez-vous déjà ciblé les zones ?
Absolument. Paris a adopté un plan local d’urbanisme (PLU) contre lequel la droite a voté et les Verts se sont abstenus. Il y a par exemple l’opération des Batignolles, 40 000 hectares au-dessus de la gare Saint-Lazare, où nous allons faire un quartier du 21e siècle, un «écoquartier», c’est-à-dire un quartier qui limitera ses consommations d’énergie grâce aux économies d’énergie, à l’énergie solaire, aux pompes à chaleur, etc.

Il y a l’aménagement de tout l’Est de Paris, notamment le quartier Mac Donald –le long du boulevard Mac Donald-, l’aménagement de la Porte des Lilas, de la Porte de Montreuil, de la Porte de Vincennes.

Il s’agit souvent de terrains qui sont des friches ferroviaires que nous achetons pour en faire des quartiers de ville, non pas des «mini-Défense» qui sont désertes après 18 heures et ennuyeuses à mourir, mais des quartiers dans lequel il y a de l’activité, des logements divers, des équipements publics et des espaces verts.

Quand débuteront ces travaux ?
Les travaux sur la Porte des Lilas ont démarré et une maison de retraite pour les personnes âgées dépendantes est même déjà terminée.

Aux Batignolles, nous avons acheté la plupart des terrains et avons déjà fait un parc ; vous voyez, nous avons commencé par le parc, ce qui n’est pas le plus rentable, mais je pense que les habitants du 17e arrondissement en sont tout à fait contents !

Les opérations vont s’épanouir pleinement au cours des six années qui viennent.

Et au niveau du financement ? Parce ce que je suppose que ça coûte très cher tous ces travaux, je pense notamment à l’ «écoquartier»…
Un «écoquartier» ça coûte plus cher, c’est vrai, de l’ordre de 10% plus cher, mais ça rapporte gros ! Ensuite, il y a moins de factures énergétiques à payer ; c’est un investissement, surtout avec un prix du baril qui a franchi le seuil des 100 dollars.

Alors comment finançons-nous ces travaux ? Et bien d’abord le terrain que nous achetons reste la propriété des citoyens parisiens et en général les terrains à Paris ne perdent pas de valeur au cours du temps, et en ce qui concerne les constructions de logements ou d’activité économique, nous faisons des partenariats avec le privé. Nous faisons des appels d’offres et il y a beaucoup de promoteurs qui sont prêts, sur un cahier des charges extrêmement précis, à développer ce type de projet.

Nous prenons en charge les écoles, les crèches, les équipements sportifs, tout ce qui est nécessaire pour les nouveaux habitants ; l’expérience des zones d’aménagement concerté montre que cela ne coûte pas cher aux contribuables et que cela rapporte de l’emploi, des impôts et de la qualité de vie.

L’opposition souligne que le nombre de fonctionnaires a augmenté de plus de 16%, ce qui a engendré une augmentation des dépenses de rémunération des personnels de la Ville et du Département de plus de 33%... A cela s’ajoute aussi un accroissement des dépenses de fonctionnement. Comment justifiez-vous cette politique ?
C’est vrai que Paris a créé  plus de 8 000 emplois budgétaires sur la mandature qui s’achève et on doit être aujourd’hui autour de 46 000 postes budgétaires.

Pourquoi avons-nous créé des emplois ? Non pas parce que nous sommes des socialistes gaspillant l’argent, mais, premièrement, parce que nous avons fait l’accord sur la réduction et l’aménagement du temps de travail sur lequel nos prédécesseurs n’avaient absolument rien préparé. Cela correspond à environ un tiers des emplois créés. C’est un progrès de qualité de vie et je pense aussi d’efficacité du service public.

Deuxièmement, nous avons créé beaucoup d’équipements, des écoles, des crèches, des équipements sportifs, des piscines, des équipements culturels, des bibliothèques, la médiathèque Marguerite Yourcenar… Il a bien fallu y mettre du personnel. Cela correspond aussi au tiers de la création d’emplois.

Et puis troisièmement, à Paris -comme dans beaucoup d’autres collectivités locales ou même comme ce qui existe au niveau de l’Etat-, il y avait des vacataires permanents, c’est-à-dire des contractuels qui employaient un poste permanent et qui avaient un statut précaire. Nous les avons titularisé.

Ceci a coûté de l’argent, c’est indéniable, mais je peux dire deux choses : nous avons fait parallèlement un effort d’économie sur le fonctionnement de la ville de l’ordre de 30 millions d’euros par an, ce qui n’est pas négligeable ; et puis surtout, lorsqu’un fonctionnaire partait en retraite, par exemple dans une administration centrale, nous n’avons pas systématiquement renouvelé le poste, mais nous avons créé en substitution un emploi de fonctionnaire sur le terrain, c’est ce que nous appelons dans notre jargon des redéploiements.

Au total, la masse salariale progresse d’un peu moins de 4% par an. A mon avis, c’est un chiffre raisonnable si on le compare à d’autres collectivités locales, et parfois même à l’Etat certaines années. Et ceci sans augmenter les impôts locaux pendant huit ans.

J’ai fait avec Bertrand Delanoë huit budgets sans augmenter les taux d’impôts locaux, c’est-à-dire la taxe d’habitation si vous êtes locataires ou propriétaires, l’impôt foncier si vous êtes propriétaires et la taxe professionnelle. Paris est peut-être la seule grande ville de France qui n’a pas augmenté ses impôts pendant huit ans.

Comment avez-vous équilibré le budget alors ?
Pour commencer, nous avons fait des économies et Bertrand Delanoë dit souvent qu’il a été responsable d’une PME de sept salariés. Il a géré Paris comme une petite entreprise en grattant sur toutes les dépenses.

Et puis, nous avons eu des dotations de l’Etat mais insuffisantes par rapport à ce que l’Etat nous transférait comme nouvelles responsabilités, notamment au titre du RMI.

Nous avons également bénéficié du progrès de la fiscalité immobilière à travers ce que l’on appelle les droits de mutation.

Nous avons aussi vendu des biens inutiles à la Ville.

C’est-à-dire ?
Quand je suis arrivé, j’ai demandé quel était l’inventaire du patrimoine de Paris, personne ne l’avait fait. Alors, nous l’avons fait et chaque année, nous avons vendu pour environ 130 millions d’euros de biens inutiles.

Il y avait des terrains d’immeubles, il y avait une participation dans la Compagnie nationale du Rhône –et vous savez que le Rhône ne passe pas à Paris-, il y avait des terrains d’épandage à Achères [Yvelines, ndlr] dont nous n’avions plus l’utilité.

Nous avons également vendu un certain nombre d’appartements dits du domaine privé de la ville. 

Chaque fois que nous pouvions faire des logements sociaux, nous avons gardé le terrain. Si le bien n’avait plus d’usage pour les Parisiens, nous avons vendu.

L’opposition vous critique beaucoup sur la transparence de votre gestion. D’ailleurs, à l'occasion du budget 2002, Bertrand Delanoë avait annoncé son intention de créer une commission d'évaluation des politiques publiques...
Tout ce qui a été inscrit dans le contrat de mandature de 2001, a été respecté, du moins à ma connaissance.

Premièrement, en matière de transparence des politiques publiques, les attributions de logements sociaux qui étaient dans une sorte de clair-obscur avant 2001, et qui le reste dans un certain nombre d’arrondissements conservateurs de Paris, sont étudiées dans des commissions, par exemple dans le 12e où je suis élu. Or, ces commissions d’attribution des logements sociaux se composent de représentants de l’opposition, ainsi que de représentants des syndicats de locataires…

Ensuite, on peut évoquer les places de crèches, qui sont attribuées dans la plupart des arrondissements, mais pas dans tous, à l’aide d’une procédure transparente également.

Enfin, sur l’aspect financier, rappelons qu’il y a une commission des finances qui se réunit chaque mois, et qui se compose notamment de plusieurs grands élus de l’opposition comme Mme de Panafieu ou M. Legaret. Leur rôle -et ils le tiennent- est d’éplucher les dépenses avec un soin démocratique auquel je rends hommage.

Je ne crois pas que nous ayons promis autre chose que cette commission des finances qui a tout de même tenu des réunions particulières sur tel ou tel sujet dès lors que l’opposition le demandait.

Nous avons, par ailleurs, hérité d’un système comptable et financier très archaïque au point que lorsque nous avons fait faire un audit par le cabinet Arthur Andersen, ils nous ont appris que le principal problème que nous avions, était de trouver des spécialistes de l’ancien «langage» informatique. Nous avons donc été contraints de dépenser beaucoup d’argent pour moderniser le système comptable et financier, pour le rendre in fine plus transparent.

Nous sommes donc aujourd’hui parvenus à un stade où les comptes sont parfaitement accessibles.

Ces budgets sont également examinés par la Chambre régionale des comptes -qui a d’ailleurs travaillé sur les gestions de 2002, 2003, 2004 et 2005, sans faire de commentaires défavorables. En outre, nous sommes audités chaque année sur les finances de la ville par les trois principaux cabinets d’audit mondiaux (Standard & Poor's, Moody’s et Fitch), lesquels nous ont attribué la note AAA. Or avec Vienne, en Autriche, Paris est la seule ville européenne à disposer d’une telle notation.

En 2001, nous avons trouvé des comptes dans un état correct, mais nous allons rendre le 16 mars une ville dont le niveau d’endettement sera inférieur à celui de 1997, alors que nous avons plus que doublé les investissements.

En résumé, du point de vue de sa santé financière, Paris est plutôt prospère. Ce qui ne signifie pas pour autant que la capitale était tuberculeuse avant. Mais il apparaît que nous avons su financer des dépenses supplémentaires dans le domaine du fonctionnement ainsi que dans celui de l’investissement pour le plus grand bien des Parisiens, et notamment des plus modestes d’entre eux, sans alourdir la fiscalité et accroître l’endettement de Paris.

Propos recueillis par Marjorie Encelot et Nicolas Sandanassamy