Interview de Severino Jean-Michel : Directeur général de l'Agence Française de Développement (AFD)

Severino Jean-Michel

Directeur général de l'Agence Française de Développement (AFD)

Notre objectif global est d'engager 5,5 milliards d’euros d’ici fin 2009

Publié le 20 Mai 2009

Pourriez-vous nous commenter les résultats de l’agence pour l’année 2008 ?
Ces résultats sont en forte croissance.
Cette croissance affecte tous les compartiments sectoriels de notre activité, notamment le financement du secteur privé, et correspond à une progression significative de nos financements sur prêt. En 2008, les engagements de l’AFD se sont élevés à 4,5 milliards d’euros, soit une progression de 25% par rapport à l’année précédente. Réunissant 1,5 milliard des engagements (contre 1,16 milliard d’euros en 2007), l’Afrique subsaharienne est demeurée la priorité de l’intervention de l’agence.
Nous avons également augmenté nos engagements dans les collectivités d’Outre-mer de 200 millions d’euros (un milliard d’euros contre 800 millions d’euros en 2007).
Les financements directs en faveur des collectivités locales du Sud se sont élevés à 144 millions d’euros en 2008.
Concernant le secteur privé, Proparco, la filiale de l’AFD, a réalisé 789 millions d’euros d’engagements, soit une progression de 32% par rapport à 2007. Enfin, sur la même année, l’AFD a soutenu les ONG à hauteur de 22 millions d’euros.

Comment expliquez-vous ces résultats ? Certains d’entre eux vous ont-ils surpris ?
Ces résultats sont en ligne avec nos prévisions. Ils s’expliquent par des facteurs structurels et des facteurs conjoncturels.
Le facteur structurel tient dans l’implication du gouvernement français pour mobiliser les équipes,  instruments, et partenaires de l’agence au service d’un mandat reprécisé et clarifié. En fait, l’AFD poursuit trois objectifs dans ses interventions : la promotion et la croissance économique internationale des pays en développement, la réduction des inégalités, et la lutte contre les problèmes liés au développement durable, au réchauffement climatique…
Le facteur conjoncturel est lié à la crise financière et économique qui a fait croître les demandes de financement des investissements adressées à l’agence. Depuis un an, les marchés obligataires sont devenus extrêmement difficiles d’accès pour les entreprises privées comme pour les gouvernements des pays en développement. Le secteur bancaire a en outre resserré ses conditions de distribution de prêts. La mise en œuvre du plan stratégique de l’agence s’en est alors trouvée accélérée.

Quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés pour 2009 ?
Notre objectif global est de parvenir à engager environ 5,5 milliards d’euros d’ici la fin de l’année dont 1,3 milliards dans l’outre mer français -afin de répondre aux objectifs fixés par l’Etat dans le plan de relance en faveur des PME- 2 milliards d’euros en Afrique subsaharienne, environ 1 milliard d’euros dans les pays méditerranéens.
Par ailleurs, pour répondre aux objectifs de relance économique globale énoncés lors du sommet du G20 à Londres, le gouvernement réfléchit à l’extension géographique de l’activité de l’AFD à un plus grand nombre de pays en développement. C’est là une orientation qui a d’ores et déjà été mise en exécution par le biais de notre filiale Proparco.

De quelle manière s’est fait ressentir la crise sur les activités de l’agence ?
La prudence avec laquelle nous avons procédé dans la gestion de nos propres finances nous a conduits à ne pas être affectés ni par la crise des subprimes ni par les défaillances bancaires. Ce qui est important pour un établissement financier comme le nôtre.
Le problème central auquel nous sommes confrontés depuis quelques temps est la capacité à instruire et à répondre à l’accroissement considérable de la demande de financement.
Nous faisons parti des institutions qui ont un positionnement contra cyclique.

Votre plan d’affaires porte le thème cette année d’une croissance verte et solidaire…
Notre objectif est effectivement de pouvoir répondre à ceux qui sont les plus touchés par la récession, pour préserver des emplois, et maintenir le rythme des investissement en les basant sur des composantes vertes  : l’exigence de mener la lutte contre le réchauffement climatique est une clé de la compétitivité future des économies.

Appréhendez-vous l’évolution de la conjoncture cette année ?
Pour le moment, le niveau de risque que nous enregistrons dans nos comptes est très faible. Les défaillances de paiement nouvelles sont quasi inexistantes.

De quelle ampleur pourrait être la progression de la sinistralité ?
Il est absolument impossible d’avoir une visibilité précise sur ce que pourrait être cette progression. Ce qui est certain, c’est que nous n’avons à l’heure actuelle aucun signe concret allant dans ce sens.
Ce que nous observons en revanche, c’est que la remontée du niveau d’endettement des Etats souverains a amené les agences de notation à abaisser les notes attribuées, en particulier à des entreprises domiciliées dans les Etats les plus fragilisés.
La dégradation de ces notations est annonciatrice à l’échelle de l’économie mondiale d’une intensification des risques de défaut de paiement.

Quelle est l’importance de vos provisions ?
Nous ne provisionnons pas par anticipation.
Nos créances douteuses sont provisionnées à 80%. Le solde non provisionné représente moins de 1% de nos encours de risques.
Nos fonds propres réglementaires s’élèvent à environ 4,5 milliards d’euros. Le ratio de solvabilité est de l’ordre de 46% (contre un ratio de 8% imposé par les accords de Bâle).

La crise a-t-elle eu des incidences s’agissant de l’instruction de vos dossiers ? Sur quels critères spécifiques avez-vous mis l’accent? De nouveaux critères sont-ils apparus?
Il n’y a pas eu d’évolution manifeste concernant les critères que nous considérons dans le cadre de l’instruction de nos dossiers.
En revanche, nous avons pu observer des changements dans les types de produits que nous finançons.
Il y a deux ans, nous n’intervenions pas dans des compartiments de court terme, ni pour fournir des ressources budgétaires aux pays ou pour faire des garanties d’émission obligataire.

Aujourd’hui nous avons décidé d’examiner les possibilités d’élargir la palette de nos instruments, pour mieux répondre aux besoins exprimés par nos emprunteurs (garanties, financement des échanges commerciaux, financement en devise à des conditions préférentielles de pays qui n’auraient pas eu à recourir à nos services dans le passé). 

S’il n’est pas possible de donner une idée sur l’ampleur du taux de défaut pour 2009, pour autant êtes vous parvenus à identifier les zones les plus fragiles sur lesquelles vous exercez vos activités ?
Nous ne pouvons pas réellement parler de régions du monde plus fragiles que d’autres. Nous réfléchissons davantage en termes d’entreprises.
Ceci étant, il apparait évident que les pays qui ont des déficits de paiement courant élevés, des réserves de change basses et des systèmes domestiques fortement endettés à l’international présentent une vulnérabilité plus prononcée. Le FMI a ainsi sorti une liste de pays qui présentent des marchés à risque élevé.
Les marchés anticipent qui plus est le défaut d’un certain nombre d’entreprises implantées dans ces pays, du fait de la remontée des conditions des prêts bancaires à laquelle elles doivent faire face.

 Plusieurs de ces pays se situent en Europe centrale, zone où nous ne sommes pas présents. Il y a également la Turquie, le Vietnam, l’Afrique du sud…

Néanmoins, à ce stade, compte tenu des opérations de recapitalisation du secteur bancaire, des politiques macroéconomiques de ces pays, des interventions du FMI, nous n’anticipons en tant que tel aucun sinistre de pays à l’instar de l’Islande ou de certains pays latino américains.
 
Finalement quel principal enseignement retirez-vous de vos activités ?
Je suis ravi que nous puissions mettre en avant des résultats concrets de l’agence. Les volumes financiers en eux-mêmes sont moins intéressants que les impacts physiques de nos activités..

Propos recueillis par Imen Hazgui