Interview de Philippe Waechter : Directeur de la Recherche Economique de Natixis Asset Management

Philippe Waechter

Directeur de la Recherche Economique de Natixis Asset Management

Italie : on doit pouvoir tenir au moins jusqu'à la fin de l'année

Publié le 10 Novembre 2011


Quel regard portez-vous sur la flambée du taux obligataire de l’Italie ?

Il y a sans doute des considérations techniques à prendre en compte, notamment l’augmentation des appels de marge de la chambre de compensation LCH. Clearnet. Au-delà de cela, une fois que le marché a validé le fait que Silvio Berlusconi était sur le départ, les interrogations perdurent sur la composition du prochain gouvernement, sur l’identité du prochain premier ministre et sur les engagements qui seront pris. Ces sont ces questions qui demeurent sans réponse qui créent de l’incertitude sur l’Italie.

On a effectivement évoqué l’implication de cette chambre de compensation. Pourriez-vous nous réexpliquer en quelques mots en quoi l’augmentation des appels de marge a-t-elle influé sur l’augmentation du taux obligataire ?
Pour les opérations réalisées par les investisseurs au sein de cette chambre de compensation, il est demandé des dépôts pour garantir le bon déroulé des transactions avec une marge plus ou moins élevée en fonction du degré de risque, à l’instar d’une prime d’assurance.
L’accentuation des risques sur les titres de dette italienne a poussé la chambre de compensation à réclamer des dépôts plus importants. Cela a eu des répercussions sur la liquidité de la dette italienne et donc sur l'évolution des taux d'intérêt.

Trois options semblent se présenter quant à l’évolution de la gouvernance du pays. Peuvent être mis en place soit un gouvernement majoritaire, un gouvernement d’opposition ou un gouvernement de coalition. Quel est votre sentiment sur le sujet ?
La situation italienne sur le plan politique est assez fragile. Si Berlusconi est resté au pouvoir c’est également parce que l’opposition est un corps qui a du mal à exister aujourd’hui dans le pays.
On ne peut pas exclure que si l’opposition avait été plus musclée, avait eu des idées plus marquées, avec des leaders plus charismatiques, Berlusconi serait parti depuis déjà un moment.
Il est de ce fait difficile de faire l’hypothèse que le nouveau gouvernement sera un gouvernement d’opposition.
Il me semble plus opportun d’avoir un gouvernement d’union nationale pour faire face aux questions posées et parvenir à des engagements qui soient perçus comme crédibles.

Avec comme leader, Mario Monti ?
On a parlé de Mario Monti et de Giulio Tremonti. Mario Monti est un leader technique mais sera-t-il un leader charismatique susceptible de mobiliser les italiens ?

Selon certains experts, deux éléments permettront un retour au calme sur le marché de la dette italienne, le vote de la loi de stabilisation et les premiers rapports rassurants des experts du FMI ?
Il faut surtout que des engagements forts soient pris par le gouvernement pour à la fois assainir les finances publiques et retrouver le chemin de la croissance. L’activité est véritablement en train de s’effondrer dans le pays.
Ces engagements peuvent être actés par la loi de stabilisation. Cependant il ne faudra pas s’arrêter au vote de la loi, il faudra que celle-ci soit mise en œuvre et que cette mise en œuvre soit perçue comme crédible par les marchés.
Parce qu’il y a urgence aujourd’hui, il ne faudra pas attendre le premier rapport du FMI pour vérifier cette crédibilité. D’autres intervenants et notamment la BCE devront s’inscrire dans une réponse plus immédiate.

La BCE semble elle-même attendre des preuves de bonne foi de la part des autorités politiques italiennes. En cela on peut penser qu’elle ne se satisfera pas du vote de la loi de stabilisation...
Certes la BCE attendra de voir des réalisations concrètes allant dans le sens d’une avancée dans la mise en œuvre du programme des réformes pour intensifier son intervention sur le marché obligataire car elle ne veut pas signer de chèques en blanc (problématique de l'aléa moral). Ceci étant mon sentiment est que la réactivité de la BCE peut être plus rapide et plus forte que celle de toute autre institution.
On ne peut pas se permettre d’attendre trop longtemps. On risquerait de fragiliser davantage l’Italie et la zone euro par la même occasion. Il faut garder à l’esprit que l’Italie n’est pas la Grèce. L’enjeu est bien plus important.

Combien de temps l’Italie peut tenir avec un taux obligataire au dessus des 7%, sachant que ce taux peut continuer son ascension. Le taux à un an se situe actuellement au-delà des 8%.
Nul ne peut répondre avec exactitude à la question. Néanmoins, ce qui est certain c’est qu’il ne faut pas que la situation dure trop longtemps. Il faudra surveiller de près les opérations de refinancement de l’Italie sur le marché dans les semaines qui viennent.
On doit pouvoir tenir au moins jusqu’à la fin de l’année. Tant que l’on n’a pas de nouvelles claires sur la situation, on doit faire l’hypothèse que les taux peuvent encore monter.

Pour certains, une solution temporaire de l’Italie serait de réduire la maturité des titres nouvellement émis afin de faire face à l’aversion pour le risque des investisseurs ?
Cela peut être une solution d’attente. Il n’est pas évident pour autant que beaucoup d’investisseurs seront prêts à faire ce pari.
La moitié des détenteurs de la dette italienne sont des non européens. Ils ont peut être d’autres vues que celles qui est la notre.

La question de la soutenabilité de la dette italienne est elle posée aujourd’hui ?
Si on suppose que l’activité devrait encore fortement ralentir en Italie avec des niveaux de taux actuels, très vite en 2012 on se retrouvera dans une configuration très difficile à gérer.

Propos recueillis par Imen Hazgui