Interview de François Guilbaud : Directeur chez PwC, spécialiste de la gestion du BFR (besoin en fonds de roulement)

François Guilbaud

Directeur chez PwC, spécialiste de la gestion du BFR (besoin en fonds de roulement)

Entreprises: la tendance est à l'allongement des délais de paiement

Publié le 25 Juillet 2012

Qu’est-ce que le BFR et pourquoi est-ce un indicateur à suivre en période de crise ?
Le BFR, ou besoin en fonds de roulement, est le montant de cash nécessaire à l’entreprise pour financer son cycle d’exploitation. Trois composantes entrent dans son calcul : le montant des stocks, le poste clients (factures à encaisser) et le poste fournisseurs (ndlr : factures à payer). Si le poste fournisseurs est supérieur aux deux autres composantes, le BFR est négatif, autrement dit l’entreprise dispose d’un excès de cash. C’est le cas, par exemple, dans la grande distribution. Mais dans la plupart des entreprises, c’est l’inverse, et il y a bien un « besoin en fonds de roulement ».
L’objectif de toute entreprise, surtout en période de crise, est de limiter ce besoin afin d’éviter d’avoir recours à des financements extérieurs (dette).

Comment peut-on réduire son BFR ?
Il faut agir sur chacune des composantes (stocks, clients, fournisseurs). On s’attachera, d’une part, à réduire les stocks (via par exemple des actions sur la profondeur des gammes, les délais de livraison…), ainsi que les délais de paiement des clients. Pour le poste fournisseurs, la problématique est inverse : on essaiera de différer le paiement même si l’exercice a ses limites. En réalité, il n'existe aucune solution miracle pour bien gérer son BFR car le diable est dans les détails ! La clé réside dans l’examen approfondi des activités opérationnelles : la gestion efficace du BFR semble être une évidence, mais en réalité les tentatives d'amélioration sont bien souvent trop timides et n'aboutissent à rien de concret et surtout de pérenne.

Comment se situent les entreprises françaises par rapport à leur homologues européennes en matière de BFR ?

Depuis une petite dizaine d’années, la plupart des groupes français de moyenne-ou grande capitalisation communiquent sur le BFR et prennent des mesures pour le réduire. Cela tient au fait que les analystes et les investisseurs font plus attention à cet indicateur qu’auparavant. Le BFR est une composante clé de la rentabilité des capitaux engagés, facilement analysable. Si une entreprise ne communique pas sur ce sujet, ce n’est pas bon signe.
Pour autant, la France ne fait pas partie des meilleurs élèves en Europe. Notre dernière étude (« Du cash pour la croissance », PwC, juillet 2012) révèle qu’entre 2007 et 2011, alors que les entreprises européennes les plus performantes sont parvenues à réduire leur BFR de 109 millions d’euros en moyenne par entreprise, le BFR des meilleures des entreprises françaises a lui augmenté plus vite que leurs ventes, à hauteur de 145 millions d’euros en moyenne par entreprise.

Quels sont les meilleurs élèves ?
L’étude montre des résultats contrastés :
- les meilleures des entreprises de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal, de la Grande-Bretagne, de l’Irlande et du Benelux ont réussi à faire en sorte que leur BFR diminue malgré la hausse de leur chiffre d’affaires ;
- par contre, les écarts entre meilleures et moins bonnes performances se creusent : les écarts les plus importants se retrouvent en Espagne et au Portugal, en Italie, ainsi qu’en Allemagne, en Suisse et en Autriche ; la France se situe dans la tranche moyenne.
Pour ce qui concerne les termes de paiement, la France se situe exactement dans la moyenne, à mi-distance entre la Scandinavie et le Portugal (en sachant que plus les délais sont longs, plus le risque de non paiement augmente…) ; les entreprises d’Europe du Nord (Royaume-Uni, Scandinavie) ont des termes historiquement plus courts.

La Loi de Modernisation de l’Economie (LME) de 2008 entendait justement s’attaquer aux délais de paiement trop longs…Quel a été son impact ?
Avec la LME, un effort a été fait pour améliorer la trésorerie des PME (ndlr : la loi fixe un délai maximum de paiement de 60 jours calendaires à compter de la date d'émission de la facture). Entrée en vigueur au 1er janvier 2009, cette loi a permis de gagner 5 ou 6 jours de BFR dans les entreprises françaises. L’effet est donc positif, même s’il a été limité par les nombreux accords dérogatoires négociés dans différents secteurs.

Cependant, depuis l’année dernière, la tendance est à nouveau à un allongement des délais de paiement en raison de la crise et des contraintes qui pèsent sur les entreprises. Il y a un risque additionnel pour les entreprises françaises lié à leur exposition aux marchés d’Europe du Sud (Italie, Espagne, etc). Ceci est valable pour les entreprises françaises qui exportent au départ de la France, mais aussi pour leurs filiales italiennes, espagnoles, qui sont elles directement confrontées aux problèmes de paiement de leurs clients locaux. Si elles ne mettent pas en place des actions qui permettent de minimiser ces risques, leur situation financière risque de se dégrader encore davantage.

Propos recueillis par François Schott