Interview de Philippe  Waechter : Responsable des études économiques chez Natixis Asset Management

Philippe Waechter

Responsable des études économiques chez Natixis Asset Management

Nous ne sommes pas encore en guerre des monnaies, mais celle-ci pourrait se profiler

Publié le 06 Février 2013

Pensez-vous que nous connaissions à l’heure qu’il est une guerre des monnaies ?
Nous ne sommes pas encore en guerre, mais celle-ci pourrait se profiler. La raison principale réside dans l'absence de croissance.
Au regard des communiqués de presse publiés par les banques centrales de l'Inde, du Brésil, de la Corée, la volonté est clairement affichée de modifier l'équilibre des objectifs, de mettre davantage l'accent sur la croissance et de moins insister sur l'inflation.

Ceci constitue un véritable changement...

Jusque-là, la cible mise en évidence était plus équilibrée mais avec un biais quand même sur l'inflation en raison de l’histoire souvent inflationniste des pays émergents.
La nouvelle orientation est spécifique et s'explique par le fait que la situation est plus compliquée à gérer du fait d'un environnement mondial fortement dégradé.
Avant la crise, le commerce mondial évoluait à un rythme de 7% par an. Tout le monde y trouvait son compte. Aucun pays ne souhaitait entrer dans une logique de tension sur le marché des changes.
A présent, le commerce mondial progresse très lentement. La taille du gâteau devient de plus insuffisante pour l'ensemble des participants à la fête.
C’est ce qui explique notamment qu’au Japon, le nouveau premier ministre ait signalé à différentes reprises son intention de voir la Banque centrale du Japon manœuvrer afin d'affaiblir le yen, de retrouver de la compétitivité, de doper les exportations et de récupérer plus de croissance.

L’utilisation de l’arme du change est beaucoup plus compliquée aujourd’hui ?
Tout à fait. L'équilibre de la production mondiale n'est plus le même que celui des années 80-90. A l'époque l’intervention sur le change pouvait avoir une grande efficacité.

Cette efficacité s'est réduite dans la mesure où la répartition des structures de production a contrarié l'utilisation du change comme instrument pour stimuler les exportations. En effet la production est plus globale, un pays ne pouvant plus tout fabriquer lui-même, il dépend davantage de la production des autres régions du monde. De ce fait, le rôle des parités de change a évolué car il y a désormais d’intenses échanges entre un pays et l’extérieur dans la fabrication d’un bien manufacturé. On ne peut plus uniquement se référer au prix de vente du produit car en raison des échanges le prix des biens entrant dans sa fabrication est aussi important. Ce changement dans l’élaboration d’un produit s’est accentué et change la donne de façon significative.

Vous attendez-vous à une intensification de la compétition des banques centrales pour autant ?
Je souhaite clairement qu'il n'y en ait pas car on entrerait dans une guerre d'attrition dont personne ne sortirait vraiment gagnant. Chacun jouant le même jeu, personne ne parviendrait à réellement prendre le dessus sur les autres.
Aussi, je n’intègre pas une guerre acharnée dans mon scénario central.

Si la compétition devait s’intensifier, les pays émergents en seraient les principaux acteurs…

Les pays émergents, ont été en grande partie tirés par la dynamique chinoise. La Chine n’occupe plus aujourd’hui cette place de locomotive de la même façon en raison des choix de rééquilibrage de la croissance qui y sont faits...
Il y a une tentation forte de la part des pays qui n’ont pas une structure de production très développée et très différenciée de se lancer dans le processus de dévaluation. On voit bien ici la dynamique à l’œuvre en raison d’une dynamique des échanges moins rapide. Or associé à cette hausse rapide des échanges il y a eu un rythme de croissance plus élevé, une distribution des revenus plus marquée vers les classes moyennes et un changement dans certains pays des modes de consommation. La tentation peut être forte de maintenir cette dynamique en souhaitant devenir plus compétitif via un changement du prix de la monnaie. C’est la tentation.

Est-ce que les pays développés pourraient s’aventurer dans la bataille ?
Le Japon tente de le faire et veut réitérer. La question est de savoir si la dépréciation actuelle du yen pourra s’inscrire dans la durée. En d’autres termes, la baisse de 20 % par rapport au dollar pourra-t-elle se maintenir ou pas. C’est un enjeu fort pour le Japon mais aussi pour un pays comme la Corée en concurrence avec lui. On note aussi qu’en Europe le Royaume Uni laisse filer sa monnaie en raison du risque sur la croissance.
Nous ne connaitrons pas de mouvement significatif et durable de ces devises fortes parce que cela pourrait être porteur d’instabilité. Ceci constitue une importante problématique dans la mesure où ces pays développés ont besoin d’exporter mais n’ont plus de produits aussi compétitifs qu’avant.

Pour quelle raison excluez-vous tout mouvement significatif ?

Je ne crois pas à une situation où par la volonté spécifique des banques centrales, on puisse avoir une variation du change brutale et durable. Le montant des transactions sur le marché des changes est considérable et s’est accru de façon significative par rapport au moment où les banques centrales intervenaient régulièrement avec parfois une certaine efficacité. Les interventions sont compliquées car les moyens sont très limités.
Il faut que la Banque centrale et le gouvernement soient suffisamment persuasifs pour influencer les anticipations, les paris des opérateurs de marché.

La zone euro est-elle la zone la plus défavorisée...
Je pense que oui. Il y a deux problématiques en zone Euro.
D’abord, il n’y a pas de ministre des finances capable de donner un objectif de change ou une orientation dans ce domaine. Il y a un comportement perçu comme plus inerte de la BCE par rapport aux banques centrales des autres pays.
Ensuite on perçoit des ajustements forts sur les couts salariaux unitaires afin au sein de la zone et in fine vis-à-vis de l’extérieur de retrouver une certaine compétitivité.
Ce double niveau complique la situation en zone Euro par rapport à des zones monétaires plus intégrés comme les USA par exemple ou ces dévaluations internes s’opèrent très différemment.

Quelle parité euro-dollar escomptez-vous d’ici la fin de l’année ?
Je ne crois pas à une intervention de la BCE sur les changes pour en modifier la trajectoire. On doit souhaiter un euro moins fort qu’actuellement pour favoriser la reprise de l’activité car au sein de la zone la vraie question reste celle de la croissance. A la BCE d’infléchir les anticipations via une politique perçue comme très accommodante pendant très longtemps.

Propos recueillis par Imen Hazgui