Interview de Yves Zlotowski : Chef économiste au sein de la Coface

Yves Zlotowski

Chef économiste au sein de la Coface

Trois nouveaux risques majeurs identifiés dans les pays émergents

Publié le 15 Avril 2013

Les risques dans les pays émergents sont toujours importants mais ont changé de nature. Trois nouveaux risques majeurs ont été identifiés par la Coface dans un récent rapport. Quels sont-ils ? Quels commentaires vous inspirent la montée en puissance de ces nouveaux risques ?
Nous avons tendance en parlant des pays émergents à évoquer le risque souverain, le risque bancaire et le risque de conflit géopolitique.
Nous nous sommes aperçus que d'autres risques sont apparus depuis 2008 et que ces « nouveaux risques » devenaient des sujets de préoccupation majeure : l’instabilité politique, la montée du protectionnisme et la croissance excessive des prêts bancaires au secteur privé.
Notre panorama risque pays sorti au printemps 2013 vise à mieux identifier et calibrer ces risques.

Hormis ces trois risques, d’autres risques apparaissent-ils de manière larvée ?
Les politiques économiques dans certains pays émergents ne fonctionnent pas toujours bien. Les canaux de transmissions semblent défectueux. En Chine, par exemple, les autorités chinoises s'efforcent de limiter la distribution des crédits bancaires. Or les agents économiques parviennent à se financer par un système parallèle opaque, ce que l'on appelle le shadow banking.

Le point de départ de votre analyse s’agissant de l’instabilité politique a été le printemps arabe…
Notre avons tenté de comprendre pourquoi les régimes de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Egypte sont tombés. Ces évènements n'étaient pas du tout attendus, pourtant des signes précurseurs les annonçaient sur le plan économique, financier, mais aussi institutionnel et politique. La montée de la frustration, mais aussi de nouveaux moyens d’expression et de mobilisation de la part des citoyens ont provoqué ces ruptures politiques. Ils sont analysés dans notre publication.

Afin d’apprécier la capacité d’une société à provoquer des ruptures politiques, la Coface a élaboré une grille de lecture croisant deux types d’indicateurs : les pressions aux changements et les instruments du changement. En cela, la zone Afrique du Nord / Moyen-Orient se distingue nettement. L’un et l’autre de ces indicateurs font-ils référence à un nombre de critères délimité ? Nous pouvons supposer que ces critères ne s’appliquent pas de la même manière à tous les pays émergents ?
Il existe effectivement une véritable difficulté à trouver des mêmes critères applicables à tous les pays. Des indicateurs ne sont pas disponibles pour certains pays ou sont trop anciens. D'autres éléments ne rendent pas compte de la situation réelle. Néanmoins, la discipline que nous avons est de parvenir à des analyses comparatives pour permettre un classement et donc nous devons trouver des indicateurs qui existent pour l’ensemble des pays étudiés.

Mis à part les contrôles des capitaux et les barrières à l’entrée quelles sont les autres armes utilisées dans le cadre du protectionnisme ? Pourriez-vous nous donner des exemples concrets de l’utilisation de ces outils notamment en Russie, en Argentine, ou en Inde qui se révèlent être les pays les plus protectionnistes ?
Nous avons essayé de prendre une définition extensive du protectionnisme. Deux exemples de meures ont été utilisés depuis la déroute de Lehman Brothers. Tout d'abord, un rationnement de l'accès aux devises pour les importateurs, comme en Argentine. Ces mesures de contrôle de capitaux sont une atteinte à la convertibilité. Les importateurs qui veulent des devises sont confrontés à davantage de contraintes sur le plan administratif. Ils doivent notamment prouver que les importations qu'ils vont financer sont utiles. Cela soulève un risque concret pour les sociétés exportatrices qui peuvent avoir des importateurs qui n'obtiennent pas l'autorisation de payer en devise étrangère.

Par ailleurs, dans d'autres pays comme le Brésil, des plans de construction d'infrastructures ont été lancés avec une préférence donnée aux opérateurs nationaux au détriment des opérateurs étrangers. Cela pose bien évidemment un problème pour les entreprises européennes et notamment les entreprises françaises qui ont une véritable expertise dans le domaine.

Je pense que ces mesures protectionnistes s’inscrivent dans une tendance de fond. L'expérience récente a montré à quel point les chocs extérieurs pouvaient s'avérer sévères pour les pays émergents. Ils veulent de plus en plus se protéger de ces chocs dont ils ne sont pas responsables.
Ils ont pour objectif l'autonomisation de leur croissance. Ils veulent de plus en plus que des acteurs locaux produisent les biens, fournissent les services, et construisent les infrastructures qui sont nécessaires à leur croissance durable.

Un boom du crédit est observé dans de nombreux pays asiatiques (Malaisie, Thaïlande et dans une moindre mesure Corée, Chine et Taïwan). La frénésie n’a pas l’air de vouloir se calmer au contraire. A quelles conséquences néfastes pourraient conduire ces bulles de dette ?
Deux catégories de pays sont à distinguer. Dans la première catégorie, le stock de crédits est trop élevé. C'est typiquement le cas dans les pays asiatiques. Un risque important se pose à moyen terme, lié au développement de surcapacités productives dans beaucoup de secteurs comme la métallurgie, le textile, la construction. Il y a lieu de réduire la taille du secteur financier pour amoindrir le volume de crédit. Cependant, comme j'ai pu l'évoquer, ceci n'est pas évident en raison du développement du « shadow banking system ».
Dans la deuxième catégorie, la masse de crédits n'est pas encore excessive mais progresse très rapidement, comme en Russie ou en Turquie. Dans ces pays se profile à l'horizon, dans un ou deux ans, un risque de contrepartie au niveau microéconomique. Des entreprises peuvent s'endetter massivement et se retrouver dans l'incapacité d'honorer ses engagements. Il se peut que certaines de ces entreprises soient en outre peu transparentes sur leur situation financière.

Pouvons-nous avancer que les entreprises européennes sont les plus vulnérables à l’ensemble de ces risques en raison de la morosité de la conjoncture économique sur le Vieux continent et de l’état déprimé de leur demande interne ? Comment peuvent-elles essayer de s’en prémunir ?
Les entreprises européennes sont sans doute plus vulnérables car elles doivent aller chercher la croissance où elle se trouve, et que celle ci ne se trouve pas sur le Vieux continent.
Bien entendu ces différents risques mis en lumière ne doivent pas conduire les entreprises à contourner ces pays.
Les entreprises européennes doivent néanmoins être plus vigilantes et ne doivent pas se laisser aveugler par le dynamisme de ces pays.
Une vision et une compréhension claires de l'environnement économico financier, politique et institutionnel sont nécessaires.
Un des outils phares proposé par Coface est l'assurance crédit. Ce produit est très important, pas uniquement en bout de chaine, mais aussi et surtout en amont pour prévenir les risques de crédit.

Parmi les entreprises européennes, les entreprises françaises sont elles plus vulnérables que les entreprises allemandes ?
Les grands groupes français exportent vers les pays émergents depuis longtemps. Ils ont une bonne culture des risques sous jacents à ces pays. Quant aux PME françaises, elles ne sont souvent pas suffisamment exportatrices vers ces pays.
En conséquence, nous ne pouvons pas vraiment dire que ces risques sont plus importants pour les entreprises françaises que pour les entreprises allemandes.

Propos recueillis par Imen Hazgui