Interview de Tristan Perrier : Stratégiste chez Amundi

Tristan Perrier

Stratégiste chez Amundi

La probabilité d'un assouplissement de la discipline budgétaire en Allemagne est élevée

Publié le 27 Octobre 2014

Quel regard portez-vous sur les statistiques économiques décevantes publiées dernièrement sur l’Allemagne ?
Je suis davantage préoccupé par le recul des enquêtes d’activité portant sur septembre et octobre que par les fortes baisses de la production industrielle, des commandes à l’industrie et des exportations au mois d’août. En effet les chiffres d’août ont été affectés par des facteurs temporaires : le pic de la crise ukrainienne et un faible nombre de jours travaillés. D’autres chiffres du même mois, notamment ceux des ventes au détail et de la construction, n’ont d’ailleurs pas été aussi négatifs.

Avez-vous été surpris par l’ampleur de la baisse de ces différentes données économiques ?
Nous avons été effectivement surpris par ces indicateurs. Nous attendons d’avoir davantage de visibilité sur les chiffres de l’automne avant de procéder, éventuellement, à de nouveaux ajustements de nos prévisions.
Une interrogation se pose cependant compte tenu des indicateurs avancés ?
L’apaisement des tensions géopolitiques aurait dû, logiquement conduire à un rebond des indicateurs avancés. Or les indices Zew et IFO ont poursuivi leurs chutes aussi bien en septembre qu’en octobre. L’indice PMI manufacturier est par ailleurs passé en zone de contraction en septembre. La détérioration de ces indicateurs est un signe que le ralentissement de la dynamique économique allemande peut se prolonger. Il y a lieu, cependant, de patienter jusqu’à début novembre pour voir quels ont été les chiffres réels de la production industrielle et des exportations de septembre, plus lisibles, en termes de conjoncture, que ceux d’août.

A ce stade, sur quelle évolution tablez-vous pour septembre ?
Par rapport à la chute constatée en août, il y aura, très certainement, un rebond. Mais si ce rebond est faible, d’ordre purement technique, cela sera assez alarmant.

La visibilité vous semble-t-elle suffisamment bonne pour vous prononcer sur l’état d’inquiétude à avoir concernant la tendance économique en Allemagne ?

Nous n’en sommes pas à la première surprise défavorable de l’année concernant l’Allemagne. Les chiffres du 2ème trimestre étaient déjà très décevants. Nous avons déjà corrigé de manière conséquente nos prévisions. Nous tablions, en début d’année, sur une progression du PIB d’environ 2% pour 2014 et 2015. Nous sommes passés à 1,5% sachant que le gouvernement allemand vient de faire état de prévisions plus faibles. Il n’est pas exclu que nous abaissions à nouveau nos chiffres.
De notre point de vue, les déceptions récentes concernant l’Allemagne ne proviennent pas, pour l’essentiel, du marché intérieur. La détérioration est très liée à ce qui se passe à l’extérieur du pays et même à l’extérieur de la zone euro. En août, les exportations allemandes vers les pays membres de l’union monétaire étaient ainsi en progression et c’est la baisse des exportations vers les autres pays qui a expliqué le mauvais chiffre d’ensemble. Ces chiffres peuvent renvoyer à un affaiblissement de la conjoncture dans les grands pays émergents très consommateurs de biens d’équipements allemands. En effet, les données publiées par certains pays émergents peuvent manquer de fiabilité ou être très retardées. Par exemple, une baisse de régime de l’économie chinoise pourrait très bien être ressentie sur les chiffres de la production industrielle allemande avant d’être mise en évidence par les chiffres officiels chinois.

Pensez-vous que les mesures envisagées par la Banque centrale européenne qui ont pour finalité d’agir sur deux plans-la distribution du crédit et la dépréciation de l’euro- pourraient aider la croissance de l’Allemagne à reprendre de l’élan ?
Jusqu’à présent, les réponses de la zone euro, et notamment de la BCE, à la crise économique et financière, ont fait une large place à des mesures visant à baisser les taux d’intérêt et à remédier à l’insuffisance de l’offre de crédit. Or ces réponses, qui ont permis de soulager les difficultés de certains pays « périphériques » paraissent moins directement adaptées au cas allemand. L’Allemagne n’est pas confrontée à un problème d’offre insuffisante de crédit et encore moins à des taux d’intérêt trop élevés : le Trésor allemand emprunte à un taux négatif au moins jusqu’à 3 ans.
Ainsi un programme de quantitative easing souverain qui permettrait d’écarter durablement les pressions déflationnistes au sein de la zone euro, pourrait avoir des effets mitigés en Allemagne. L’économie du pays y gagnerait, certes, via la baisse de l’euro et le soutien qu’un tel programme apporterait aux autres pays européens, qui sont ses principaux partenaires d’échanges. Néanmoins un tel programme pourrait porter une grande partie de la courbe des taux allemands en territoire négatif, avec des répercussions problématiques pour certains investisseurs.

Dans le cas où la conjoncture se dégraderait davantage, vous attendriez- vous à des mesures de soutien de la part du gouvernement ?
Il y a lieu, en effet, de se demander si l’Allemagne n’a pas surtout besoin de faire évoluer son attitude budgétaire. Le débat se développe d’ailleurs dans le pays au sujet d’une relance des investissements, soit en Allemagne même, soit dans un cadre européen. Des appels ont été lancés à ce sujet, y compris émanant des rangs de la démocratie chrétienne. Le plan Juncker de 300 mds d’euros est ainsi acceptable du point de vue des autorités de Berlin, même si, pour l’heure, l’Allemagne fait pression pour que ce soient des fonds privés, plutôt que publics, qui soient mobilisés.

Quelle probabilité donnez-vous à cet assouplissement de la discipline budgétaire ?
La probabilité d’un assouplissement graduel est élevée. L’Allemagne vit sur un acquis de réformes mises en œuvre il y a dix ans. De plus, alors que beaucoup a été fait sur le marché du travail, les réformes sur le marché des biens et services ont été moins importantes. Il y a des insuffisances en matière d’infrastructures, notamment en ce qui concerne le transport et l’énergie. De nouveaux investissements publics, ciblés et porteurs de croissance à long terme, seraient donc logiques. Par ailleurs, le pays a déjà fait quelque peu machine arrière en termes d’orthodoxie en instaurant un salaire minimum et en avançant l’âge de la retraite.
Cependant, l’Allemagne évitera d’ouvrir trop rapidement une brèche dans laquelle d’autres Etats membres de la zone euro pourraient s’engouffrer pour relâcher leurs propres efforts. Elle fera évoluer son attitude budgétaire progressivement, s’efforçant, dans le même temps, d’obtenir un maximum de concessions en matière de réformes de la part de ses partenaires.

Cela sera-t-il suffisant pour sortir la zone euro du marasme qu’elle connait actuellement ?
D’éventuelles dépenses d’investissement en Allemagne même n’auront vraisemblablement qu’un effet limité sur le reste de la zone euro. Un plan de relance coordonné au niveau européen serait plus efficace, mais sa mise en place, si elle a lieu, prendra du temps.
Vraisemblablement, à court terme, pour les autres pays de la zone, c’est toujours la politique de la BCE qui constituera le principal facteur de soutien. La liquidité octroyée aux banques devrait stimuler la distribution du crédit. La baisse de l’euro donnera un peu d’oxygène aux entreprises. Du point de vue budgétaire, à défaut d’un plan de relance, il y aura, au moins, un certain recul des politiques d’austérité. De plus l’approche de grand rendez-vous électoraux sera, probablement, l’occasion, pour les gouvernements, de redonner un peu de pouvoir d’achat aux ménages.



Propos recueillis par Imen Hazgui