Frédéric Rollin
Conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet AM
Le non respect de l'engagement de la BCE de racheter 60 milliards d'euros de titres d'Etat tous les mois n'est pas un problème
Publié le 18 Mars 2015
Les membres du comité de pilotage de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine se sont réunis cette semaine. Qu’attendez-vous de leur entrevue ?
Le changement des termes employés dans le communiqué issu de la réunion des membres du FOMC pourraient davantage nous renseigner sur le moment auquel la Fed décidera de remonter ses taux d’intérêt. Concrètement le mot ''patient'' pourrait être retiré, ce qui justifierait l’anticipation d’une première action à partir du mois de juin.
Pour notre part, nous sommes davantage sur l’idée d’un premier relèvement en septembre. Une des principales raisons à cela réside dans le fait que les hausses des salaires aux Etats-Unis restent très modérées, inférieures à 2% en moyenne. Ceci nous amène à la déduction que l’inflation cœur ne devrait pas s’élever outre mesure au cours de l’année 2015. Une marge de manœuvre existe pour patienter jusqu’à cet automne.
Ceci étant miser sur un premier geste de la Fed en juin ou en septembre n’est pas si important que cela…
Dans l’échelle de temps qui prévaut au sein de la sphère obligataire, à savoir plusieurs années, une marge d’erreur de quelques mois (4 mois en l’occurrence) n’est pas si importante. Ce qui a beaucoup plus de sens c’est le rythme de remontée des taux par la Fed. Nous avons le sentiment que la faiblesse de l’inflation autorisera un rythme inférieur à celui de 1994 ou de 2004. Nous pourrions ainsi avoir une hausse des taux tous les deux meetings d’un quart de point, en moyenne, en fonction des données économiques. Cela ferait 1% d’augmentation sur 12 mois glissant.
Cette hausse des taux devrait être plus aléatoire…
Nous pourrions avoir une moindre régularité dans les hausses afin de remettre de la prime de risque sur les marchés. Concrètement nous pourrions avoir une élévation de 0,50% à l’issue d’une rencontre, puis rien les deux réunions suivantes, puis 0,25%… Ce serait une manière pour la Fed d’amoindrir la dépendance des marchés vis-à-vis de ses faits et gestes et de laisser plus de place aux considérations macroéconomiques.
Ce serait une manière d’éviter d’engendrer une déception en cas d’immobilisme…
Effectivement. Si la Fed venait à croitre ses taux de manière très assidue, l’absence de hausse à moment donné pourrait perturber excessivement le marché en raison d’une sur interprétation.
En Europe, quels commentaires vous inspirent la multiplication des doutes autour de la poursuite du programme de quantitative easing de la BCE ?
La BCE s’est fixée une cible d’achat d’actifs de 60 milliards d’euros par mois. C’est un objectif très ambitieux qui sera difficilement respecté. De nombreux investisseurs institutionnels, banques et assurances, seront réticents à vendre les titres de dette détenus dans leur bilan ne serait-ce que pour des raisons réglementaires ou parce qu’il est plus rentable d’avoir des actifs qui rémunèrent 0,50% que du cash qui rémunère négativement.
La BCE sera sans doute forcée d'acheter à des taux extrêmement bas.
Pour autant, selon nous le non respect de cet engagement de 60 milliards n’est pas un problème fondamental.
Pourquoi ?
Mario Draghi se devait d’avancer un chiffre aussi impressionnant pour traduire dans les faits la parole donnée en juillet 2012 de faire tout ce qu’il faut pour maintenir la zone euro, le fameux « whatever it takes ». Pour autant ce qui prime avant tout c’est que le quantitative easing produise des effets tangibles au sein de l’union monétaire à la fois à travers l’affaiblissement des taux d’intérêt mais aussi par l’accroissement du crédit bancaire consenti aux agents privés.
L’idée de la BCE étant qu’en libérant de la place dans le bilan des banques, celles-ci finissent par utiliser le cash délivré en contrepartie de la vente d’obligations pour octroyer plus de prêts.
Or ce que l’on constate clairement dans les enquêtes c’est que les banques sont d’ores et déjà enclines à ouvrir plus grand le robinet du crédit. Par ailleurs les entreprises et les ménages affichent une volonté de s'endetter de nouveau. Une des causes majeures de l’absence de hausse du crédit en 2014 a été la réalisation de l’audit et des stress tests par la BCE qui avait mis une grande pression dans les bilans bancaires.
La reprise du crédit a compter du mois de décembre semble accréditer cette hypothèse.
Vous ne pensez donc pas que l’incapacité de la BCE à parvenir à racheter pour 60 milliards d’euros de titres de dette souveraines jusqu’en 2016, comme prévu, engendrera de la déception dans le marché ?
Cela créera un peu d’agitation mais pas de grande nervosité. La poursuite d’un redémarrage du crédit atténuera vivement la crainte des investisseurs autour de l’inefficacité du QE.
Quel regard portez-vous l’évolution de la parité euro dollar ?
Nous admettons qu’à partir d’une parité euro dollar de 1,10, persister à vendre de l’euro devient dangereux. Nous avons été longs sur le dollar pendant longtemps, quand la parité était à 1,35.
Du fait du décalage de cycle économique qui existe entre les Etats-Unis et la zone euro, il est normal que la monnaie unique soit dépréciée par rapport au billet vert. Ceci étant la décote devient présentement extrême.
La faiblesse de l’euro par rapport au dollar au cours du second semestre 2014 a été surtout la conséquence de surprises économiques avantageuses pour les Etats-Unis. Depuis quelques semaines nous avons essentiellement des surprises économiques bénéfiques pour la zone euro.
De plus, la plupart des opérateurs de marché aujourd’hui sont acheteurs de dollars.
Un dernier signe de fin de mouvement est lié à la surenchère des anticipations spectaculaires.
Récemment des analystes ont tablé sur une parité à 0,85%.
Vous estimez donc que la parité d’équilibre se situe à 1,10 ?
Nous sommes plus confortables avec cette parité.
Descendre en dessous de 1 vous semble t-il si improbable ?
Il arrive fréquemment que le marché aille dans l’exagération. Descendre en dessous de 1 n’est pas impossible. Il est toutefois très improbable que l’on y reste durablement. Ce sera alors plutôt l’occasion de prendre une position acheteuse sur l’euro. Les fondamentaux finiront par prendre le dessus sur la dynamique de marché. Sachant par ailleurs qu’une force de rappel non négligeable est attachée à l’excédent de la balance courante de la zone euro. Il y a en cela des acheteurs naturels réguliers d’euros.
Quel est le principal risque à votre sens qui pourrait compromettre ce scénario ?
Un premier risque est lié à un retournement de la tendance positive que l’on perçoit sur la toile de fond macroéconomique. L’absence de poursuite du redémarrage du crédit avec en conséquence une retombée en récession forceront une dévaluation plus importante de la monnaie unique pour compenser le creusement du décalage de cycle avec les Etats-Unis.
Une seconde menace a trait à une Fed bien plus agressive que prévu. L’accentuation du différentiel de politique monétaire menée de part et d’autre de l’Atlantique plaidera pour un renforcement plus prononcé du dollar contre l’euro.
Enfin, le QE de la BCE fait baisser les taux de l’ensemble des échéances et les investisseurs étrangers trouvent opportun d’emprunter en euro à un moindre cout. Ceci crée une force baissière non négligeable.
Vous ne mentionnez pas le risque lié à la Grèce ?
Ce risque existe bien entendu. Ceci étant, en terme de PIB, la Grèce représente une part marginale de l’économie de la zone euro. Le pays se caractérise par des problèmes spécifiques, en particulier matière de collecte d’impôts.
A ce stade, le dossier grec n’est pas de nature à modifier de manière profonde l’opinion que les investisseurs auront de la monnaie européenne.
Le changement des termes employés dans le communiqué issu de la réunion des membres du FOMC pourraient davantage nous renseigner sur le moment auquel la Fed décidera de remonter ses taux d’intérêt. Concrètement le mot ''patient'' pourrait être retiré, ce qui justifierait l’anticipation d’une première action à partir du mois de juin.
Pour notre part, nous sommes davantage sur l’idée d’un premier relèvement en septembre. Une des principales raisons à cela réside dans le fait que les hausses des salaires aux Etats-Unis restent très modérées, inférieures à 2% en moyenne. Ceci nous amène à la déduction que l’inflation cœur ne devrait pas s’élever outre mesure au cours de l’année 2015. Une marge de manœuvre existe pour patienter jusqu’à cet automne.
Ceci étant miser sur un premier geste de la Fed en juin ou en septembre n’est pas si important que cela…
Dans l’échelle de temps qui prévaut au sein de la sphère obligataire, à savoir plusieurs années, une marge d’erreur de quelques mois (4 mois en l’occurrence) n’est pas si importante. Ce qui a beaucoup plus de sens c’est le rythme de remontée des taux par la Fed. Nous avons le sentiment que la faiblesse de l’inflation autorisera un rythme inférieur à celui de 1994 ou de 2004. Nous pourrions ainsi avoir une hausse des taux tous les deux meetings d’un quart de point, en moyenne, en fonction des données économiques. Cela ferait 1% d’augmentation sur 12 mois glissant.
Cette hausse des taux devrait être plus aléatoire…
Nous pourrions avoir une moindre régularité dans les hausses afin de remettre de la prime de risque sur les marchés. Concrètement nous pourrions avoir une élévation de 0,50% à l’issue d’une rencontre, puis rien les deux réunions suivantes, puis 0,25%… Ce serait une manière pour la Fed d’amoindrir la dépendance des marchés vis-à-vis de ses faits et gestes et de laisser plus de place aux considérations macroéconomiques.
Ce serait une manière d’éviter d’engendrer une déception en cas d’immobilisme…
Effectivement. Si la Fed venait à croitre ses taux de manière très assidue, l’absence de hausse à moment donné pourrait perturber excessivement le marché en raison d’une sur interprétation.
En Europe, quels commentaires vous inspirent la multiplication des doutes autour de la poursuite du programme de quantitative easing de la BCE ?
La BCE s’est fixée une cible d’achat d’actifs de 60 milliards d’euros par mois. C’est un objectif très ambitieux qui sera difficilement respecté. De nombreux investisseurs institutionnels, banques et assurances, seront réticents à vendre les titres de dette détenus dans leur bilan ne serait-ce que pour des raisons réglementaires ou parce qu’il est plus rentable d’avoir des actifs qui rémunèrent 0,50% que du cash qui rémunère négativement.
La BCE sera sans doute forcée d'acheter à des taux extrêmement bas.
Pour autant, selon nous le non respect de cet engagement de 60 milliards n’est pas un problème fondamental.
Pourquoi ?
Mario Draghi se devait d’avancer un chiffre aussi impressionnant pour traduire dans les faits la parole donnée en juillet 2012 de faire tout ce qu’il faut pour maintenir la zone euro, le fameux « whatever it takes ». Pour autant ce qui prime avant tout c’est que le quantitative easing produise des effets tangibles au sein de l’union monétaire à la fois à travers l’affaiblissement des taux d’intérêt mais aussi par l’accroissement du crédit bancaire consenti aux agents privés.
L’idée de la BCE étant qu’en libérant de la place dans le bilan des banques, celles-ci finissent par utiliser le cash délivré en contrepartie de la vente d’obligations pour octroyer plus de prêts.
Or ce que l’on constate clairement dans les enquêtes c’est que les banques sont d’ores et déjà enclines à ouvrir plus grand le robinet du crédit. Par ailleurs les entreprises et les ménages affichent une volonté de s'endetter de nouveau. Une des causes majeures de l’absence de hausse du crédit en 2014 a été la réalisation de l’audit et des stress tests par la BCE qui avait mis une grande pression dans les bilans bancaires.
La reprise du crédit a compter du mois de décembre semble accréditer cette hypothèse.
Vous ne pensez donc pas que l’incapacité de la BCE à parvenir à racheter pour 60 milliards d’euros de titres de dette souveraines jusqu’en 2016, comme prévu, engendrera de la déception dans le marché ?
Cela créera un peu d’agitation mais pas de grande nervosité. La poursuite d’un redémarrage du crédit atténuera vivement la crainte des investisseurs autour de l’inefficacité du QE.
Quel regard portez-vous l’évolution de la parité euro dollar ?
Nous admettons qu’à partir d’une parité euro dollar de 1,10, persister à vendre de l’euro devient dangereux. Nous avons été longs sur le dollar pendant longtemps, quand la parité était à 1,35.
Du fait du décalage de cycle économique qui existe entre les Etats-Unis et la zone euro, il est normal que la monnaie unique soit dépréciée par rapport au billet vert. Ceci étant la décote devient présentement extrême.
La faiblesse de l’euro par rapport au dollar au cours du second semestre 2014 a été surtout la conséquence de surprises économiques avantageuses pour les Etats-Unis. Depuis quelques semaines nous avons essentiellement des surprises économiques bénéfiques pour la zone euro.
De plus, la plupart des opérateurs de marché aujourd’hui sont acheteurs de dollars.
Un dernier signe de fin de mouvement est lié à la surenchère des anticipations spectaculaires.
Récemment des analystes ont tablé sur une parité à 0,85%.
Vous estimez donc que la parité d’équilibre se situe à 1,10 ?
Nous sommes plus confortables avec cette parité.
Descendre en dessous de 1 vous semble t-il si improbable ?
Il arrive fréquemment que le marché aille dans l’exagération. Descendre en dessous de 1 n’est pas impossible. Il est toutefois très improbable que l’on y reste durablement. Ce sera alors plutôt l’occasion de prendre une position acheteuse sur l’euro. Les fondamentaux finiront par prendre le dessus sur la dynamique de marché. Sachant par ailleurs qu’une force de rappel non négligeable est attachée à l’excédent de la balance courante de la zone euro. Il y a en cela des acheteurs naturels réguliers d’euros.
Quel est le principal risque à votre sens qui pourrait compromettre ce scénario ?
Un premier risque est lié à un retournement de la tendance positive que l’on perçoit sur la toile de fond macroéconomique. L’absence de poursuite du redémarrage du crédit avec en conséquence une retombée en récession forceront une dévaluation plus importante de la monnaie unique pour compenser le creusement du décalage de cycle avec les Etats-Unis.
Une seconde menace a trait à une Fed bien plus agressive que prévu. L’accentuation du différentiel de politique monétaire menée de part et d’autre de l’Atlantique plaidera pour un renforcement plus prononcé du dollar contre l’euro.
Enfin, le QE de la BCE fait baisser les taux de l’ensemble des échéances et les investisseurs étrangers trouvent opportun d’emprunter en euro à un moindre cout. Ceci crée une force baissière non négligeable.
Vous ne mentionnez pas le risque lié à la Grèce ?
Ce risque existe bien entendu. Ceci étant, en terme de PIB, la Grèce représente une part marginale de l’économie de la zone euro. Le pays se caractérise par des problèmes spécifiques, en particulier matière de collecte d’impôts.
A ce stade, le dossier grec n’est pas de nature à modifier de manière profonde l’opinion que les investisseurs auront de la monnaie européenne.
Propos recueillis par Imen Hazgui