Interview de Yves  Maillot : Directeur du pôle d'expertise Actions européennes de Natixis Asset Management

Yves Maillot

Directeur du pôle d'expertise Actions européennes de Natixis Asset Management

Fusions-acquisitions : des sociétés américaines pourraient racheter des sociétés européennes dans le secteur de la boisson (en particulier les brasseurs et les groupes des spiritueux), le secteur de l'alimentaire, et le secteur de la santé

Publié le 19 Mars 2015

Selon vous, aujourd’hui les opérations de fusion acquisition sont réalisées en grande partie dans une logique défensive...
La visibilité ne me semble pas établie sur le plan macroéconomique. Une série d’indicateurs publiés à propos des Etats-Unis depuis le début de l’année rendent compte d’un essoufflement de la conjoncture, à l’exception du marché de l’emploi. En Europe, nous percevons de clairs signes d’amélioration notamment sous l’effet de la politique monétaire de la BCE qui conduit à avoir des taux de refinancement sur le marché extrêmement bas et un euro déprécié et grâce également au vif repli du cours du pétrole. Pour autant ne nous sommes pas assurés d’être totalement sortis du gué.
Dans un tel contexte, de nombreux rapprochements ou rachats de sociétés se font dans une optique défensive. Le cash accumulé ces dernières années à la fois par les entreprises américaines et les entreprises européennes, grâce à d’importants efforts d’économies de coûts, est utilisé pour compenser la faiblesse pressentie ou avérée de la croissance interne par des opérations de croissance externe avec une finalité industrielle.

Ces opérations de M&A sont également une manière de répondre à un autre danger du contexte économique actuel, la pression sur les prix…
En recherchant des effets d’échelle, les entreprises sont plus en mesure de maitriser cette pression que l’on retrouve dans de nombreux segments économiques, notamment le segment industriel où l’on constate déjà des évolutions négatives des prix.

Quel regard portez-vous sur les opérations cross-border ? D’aucuns tablent sur la multiplication d’offres de rachat de sociétés européennes par des sociétés américaines…
Il est indéniable que la vive appréciation du dollar contre l’euro accroit les possibilités d’acquisitions d’entités européennes par des compagnies américaines. Nous avons pu entendre des capitaines d’industries déclarer que dans la zone de parité de 1,10-1,15, nous étions revenus à un niveau de change qui permettait aux décideurs américains de se poser sérieusement la question de procéder à des investissements importants en Europe.
Ceci étant, le dollar ayant gagné en valeur contre la plupart de ses autres contreparties, les firmes américaines pourraient aussi avoir la mainmise sur des sociétés autres qu’européennes.

Quels vous semble les secteurs les plus candidats à des opérations de M&A que ce soit dans une dimension purement européenne ou dans une dimension transatlantique ?
Les premiers secteurs qui me viennent à l’esprit si l’on se focalise sur le mouvement Etats-Unis/Europe sont le secteur de la boisson (en particulier les brasseurs et les groupes des spiritueux) et de l’alimentaire, ainsi que le secteur de la santé.
Je pense que nous devrions encore voir de la consolidation dans le domaine du tabac dans une dimension purement américaine et dans les télécoms dans une dimension purement européenne.
Des deals sont également à envisager dans le secteur des produits de soin de la personne (produits cosmétiques, détergents…), la technologie (software et services), et les médias.

Pensez-vous que la probabilité de succès de ces opérations transatlantiques est significative ? Ne peut-on pas craindre que la prolifération des offres des compagnies américaines sur des sociétés européennes rencontre un levier de bouclier à la fois de la part des Autorités de la concurrence européennes et nationales, ainsi que des responsables politiques européens ?
L’hostilité affichée par les responsables politiques dépendra beaucoup de l’identité des sociétés cibles, et du moment auquel seront faites les offres d’achat. Nous pouvons penser par exemple que les tentatives d’oppositions se feront davantage ressentir à l’approche de la date des élections programmées.
Nous pouvons présumer et espérer, s’agissant des Autorités de la concurrence que leurs avis seront plus objectifs tenant compte du dimensionnement des offres formulées et moins emprunts de considérations protectionnistes.
Ceci étant je ne pense pas que les secteurs sus mentionnées sont de nature à susciter une farouche réaction. Nous ne sommes pas dans des secteurs d’intérêt national très régulés a proprement parler mis à part le secteur des télécoms.

Peut-on dire que la thématique des fusions acquisition est plus présente dans votre stratégie d’allocation d’actifs ?
C’est effectivement un argument supplémentaire qui milite fondamentalement dans le sens d’une revalorisation des marchés actions. Avec la confiance retrouvée, il y a une plus grande propension de voir les opérations se réaliser. Nous avons tendance à davantage nous poser la question du potentiel statut de proie ou de société consolidante quand on se positionne sur les titres.

Comment accueillez-vous le fait que face à des valorisations boursières qui ont beaucoup augmenté il y ait de plus en plus la tentation de lancer des offres publiques d’échange et donc de rémunérer l’opération d’acquisition envisagée non pas en cash mais en titres…

C’est un facteur de risque a prendre en compte si le paiement se fait avec des titres trop chèrement pricés.

Propos recueillis par Imen Hazgui