Interview de Jean-Paul Betbèze : Président, Betbèze Conseil

Jean-Paul Betbèze

Président, Betbèze Conseil

Guerre des devises: le risque est dans la normalisation qui suivra les premières hausses de taux de la Fed

Publié le 03 Avril 2015

Vous analysez le programme de rachat de dettes de la BCE (1100 milliards d’euros) comme une réponse à ceux de la Fed et de la BoJ dans le cadre d’une « guerre mondiale des monnaies ». Le marché des changes est donc devenu un théâtre d’un affrontement entre banques centrales ? Quelles conséquences cette guerre peut-elle avoir sur l’économie mondiale ?
La « guerre des monnaies » est une formule commode pour dire que chaque grande banque centrale essaie de faire repartir son économie en réduisant ses taux d’intérêt à court et à long terme, pour faire en sorte que le coût de la dette passée, plus celui de la dette future, soient les plus bas possibles. Mais si les taux sur une monnaie sont plus bas que sur une autre, en tenant compte des risques de chacune bien sûr, elle est moins attractive, donc relativement moins chère qu’une autre. Son taux de change baisse alors, ce qui pèse sur la croissance de l’économie de l’autre, donc sur le poids relatif de sa dette, jusqu’à ce qu’elle baisse ses taux à son tour – et ainsi de suite.
Ainsi, peu à peu, tous les taux sont à la baisse. Ceci conduit certes à faciliter le désendettement et la reprise, mais pose des problèmes aux marchés qui vont chercher les pays les plus sûrs, ceux où les taux seront bientôt négatifs. Dans les autres pays, jugés moins sûrs, les taux seront faibles, très faibles, ce qui ne correspond pas à la réalité des risques qu’ils représentent.
Au total la « guerre des monnaies », en fait la course à la baisse des taux d’intérêt, conduit à des taux négatifs dans les pays les plus sûrs, où on place donc à des taux nominaux négatifs, et à des taux faibles ou très faibles ailleurs, ce qui peut conduire à placer et à investir dans des actifs bien plus risqués que leur rémunération faciale. Le risque est donc, dans la normalisation qui suivra les premières hausses de taux de la Fed (la Banque centrale américaine) que des chocs aient lieu, révélant les vrais risques.

Jusqu’où l’euro peut-il baisser face au dollar sans que la Fed réagisse ?
La Fed, d’ores et déjà, a réagi – sans le dire directement bien sûr. Elle répète (comme la BCE) qu’aucune banque centrale ne prend comme objectif de sa politique monétaire un objectif de change, ce qui serait une guerre directe des monnaies. Elle note cependant que la montée du dollar est désinflationniste, ce qui aide son objectif d’inflation, mais plus encore qu’elle pèse sur la reprise, ce qui la conduit à repousser sa propre première hausse des taux, et ainsi de suite. Donc les taux Fed restent bas, ce qui freine la remontée du dollar.

La BCE contrôle-t-elle la baisse de l’euro, ou doit-on craindre des mouvements spéculatifs contre la monnaie européenne ?
La BCE prend en compte les effets de sa politique sur le change de l’euro, comme toute banque centrale. Elle sait bien que sa politique actuelle fait baisser l’euro, qui était fort par rapport au dollar, ce qui entre aussi dans sa logique d’importation d’inflation. Mais, encore une fois, comme la reprise est faible, les prix des matières premières sont faibles, les sources d’inflation importée sont, elles-mêmes, faibles. Des mouvements spéculatifs ne pourraient avoir lieu que si des chocs importants se produisaient par rapport à la solidité de la monnaie unique, le risque de sortie de la Grèce par exemple, ou des difficultés d’un pays ou d’une grande banque par exemple. Pour l’heure, c’est la Grèce qui pèse sur l’euro.

Doit-on craindre une crise des devises émergentes du fait de la hausse probable des taux d’intérêt américains ?

Il est clair que toutes les devises émergents en sont soucieuses, se souvenant du tapering tantrum, cette « colère du taux dégressif » qui avait fait rapidement monter les taux longs des BRICS, lorsque ceci avait été évoqué par Ben Bernanke la première fois. C’est bien pourquoi, côté Fed, on s’entoure d’un luxe de précautions et, chez les autres BRICS, on prend les mesures possibles. Ceci dépend de chaque pays bien sûr. La Russie est exposée, le Brésil monte ses taux face à l’inflation – mais devra bientôt arrêter et la Chine et l’Inde pourraient baisser les leurs. On l’a compris, nous ne sommes pas sortis de la crise mondiale du surendettement.

Propos recueillis par François Schott