Interview de Philippe Martin : Professeur d'économie à Sciences Po

Philippe Martin

Professeur d'économie à Sciences Po

La Banque centrale européenne n'a pas la volonté de manipuler le cours de l'euro

Publié le 09 Avril 2015

L’euro a baissé de 20% face au dollar depuis un an. Est-ce une bonne chose selon vous ?
Oui car la baisse de l’euro est une bouffée d’oxygène pour l’économie européenne. Nous avons calculé qu’une baisse de 10% du taux de change réel de l’euro (corrigé de l’inflation, ndlr) entraîne une hausse de 7% des exportations sur un an. Sachant que la France tire 11% de son PIB des exportations hors zone euro, cela donnerait un supplément de croissance de 0,7 à 0,8%. Même en tenant compte du renchérissement des importations, on peut tabler sur un surplus de 0,5% de PIB pour l’année en cours.

Cette baisse reflète-t-elle une guerre des monnaies ?
Non car pour parler d’une guerre des monnaies, il faudrait que tous les pays mènent une politique de dévaluation compétitive. Or la Fed a clairement indiqué qu’elle commencerait à relever ses taux cette année ce qui se traduit par une appréciation du dollar (l’inverse d’une politique de dévaluation compétitive). Au Japon la sortie de récession est trop lente pour permettre à la Bank of Japan de mettre fin à sa politique monétaire expansionniste. De même la Banque centrale européenne agit selon des critères domestiques, afin de relancer l’inflation et l’investissement dans la zone euro. En faisant cela je ne pense pas qu’elle ait la volonté de « manipuler » le cours de l’euro pour gagner des parts de marchés. Quant aux pays émergents, ils sont moins affectés par la baisse de l’euro que par la hausse du dollar. Ceux qui doivent « défendre » une parité fixe avec le billet vert sont aujourd’hui dans une position plus difficile que les autres, qui n’ont qu’à laisser leur monnaie se déprécier.

Même s’il n’y pas de guerre des monnaies, comment peut-on lutter contre la volatilité sur le marché des changes ? Faut-t-il revenir à un système de changes fixes ?
Revenir à un système de taux de change fixe, c'est-à-dire fixer le cours de l’euro par rapport au dollar, enlèverait toute possibilité à la Banque centrale européenne d’agir comme elle le fait actuellement pour relancer l’économie. Ce serait une perte de souveraineté monétaire et un retour en arrière avec un système monétaire international basé sur le dollar. Je pense qu’il faut laisser le marché fixer le cours des monnaies, en fonction des fondamentaux économiques et des orientations de politique monétaire données par les banques centrales. Mais en cas de mouvements spéculatifs de grande ampleur, il peut y avoir une coopération entre les banques centrales. Si par exemple demain le cours de l’euro décrochait face au dollar, je pense que la Fed et la BCE accorderont leurs discours pour rétablir l’équilibre.

Propos recueillis par François Schott