Interview de Romain  Boscher : Responsable de la gestion actions chez Amundi

Romain Boscher

Responsable de la gestion actions chez Amundi

Ce n'est pas parce que le Cac 40 a gagné plus de 20% depuis le début de l'année qu'il est destiné à récupérer 20% de plus au cours des mois à venir

Publié le 20 Avril 2015

Quel regard portez-vous sur le parcours des actions françaises depuis le début de l’année ?
Nous avons d’ores et déjà atteint le niveau que nous avions anticipé en novembre 2014 pour la fin de l’année 2015. Nous avions tablé sur un Cac 40 à 5000 points. Nous ne sommes donc pas surpris par l’ampleur du mouvement mais plutôt par sa vitesse.

Quelle lecture faites-vous de ce rythme de hausse ?

Dans un contexte de ralentissement mondial, où globalement les politiques monétaires des banques centrales se veulent agressives, les marchés ont été bien plus dirigés par les taux d’intérêt extrêmement bas que par les profits des entreprises. Autrement dit, à profits équivalents, la diminution des taux d’actualisation du fait de la réduction des taux d’intérêt a conduit à une remontée instantanée des actions.

La considération des profits a vocation à prendre le dessus pour nourrir la poursuite du rebond des actions ?

Nous prévoyons effectivement que cela sera le cas.

Quelle hausse des profits escomptez-vous à ce stade pour les grandes capitalisations françaises ?

Non seulement une hausse à deux chiffres, mais par ailleurs une hausse supérieure au consensus du marché de ce début d’année, ce qui devrait marquer un changement notable. Ces quatre dernières années, systématiquement, l’accroissement des profits en fin d’année s’est révélé inférieur aux attentes du début d’année-soit en baisse, soit en stagnation, soit en très légère augmentation.

Pensez-vous que les sociétés françaises soient mieux lotis que leurs voisines européennes s’agissant des trois principaux moteurs identifiés pour la hausse des profits, que sont la dépréciation de l’euro, l’amoindrissement des taux de refinancement et le repli du cours du baril eu égard à leur exposition dans le commerce international, à leur niveau d’endettement ou encore au cout que représente les biens intermédiaires ?

La distinction n’est pas tant entre la France et le reste de la zone euro qu’entre la zone euro et le reste de l’Europe. La dynamique alimentée par ces trois moteurs est particulièrement favorable à l’ensemble de la zone euro en comparaison au Royaume-Uni, à la Scandinavie… Ainsi, les profits pour les sociétés britanniques sont prévus en recul cette année.

Pour autant les retombées positives de ces trois moteurs sont à nuancer pour l’Hexagone…
Vis-à-vis de l’Allemagne ou de l’Espagne, la France souffre d’un plus grand poids accordé aux valeurs pétrolières dans les indices boursiers. Or le recul du cours du baril affecte plus rapidement les compagnies pétrolières qu’il ne sert les avantages des autres sociétés cotées directement ou indirectement consommatrices de la matière première.

S’agissant de la dépréciation de l’euro, il y a lieu de faire attention au fait que même si de nombreuses sociétés françaises ont une large part de leur chiffre d’affaires réalisée hors zone euro, ce qui importe c’est la partie du chiffre d’affaires réalisée par le biais d’exportations. Une production locale ne permet pas une conversion favorable des profits. C’est pourquoi, bien qu’il soit substantiel, l’impact de la chute de la monnaie unique ne sera pas aussi spectaculaire qu’il pourrait l’être. La France est toutefois aidée par une sensibilité prix plus élevée que d’autres pays membres de la zone euro comme l’Allemagne. On admet que la dépréciation de l’euro devrait contribuer à une amélioration des profits de 8% à 10% dans l’Hexagone.

Concernant les effets positifs émanant des taux de refinancement, les entreprises des pays de la périphérie sont naturellement mieux positionnées que les entreprises des pays cœur dans la mesure où c’est pour elles que le différentiel de taux entre aujourd’hui et 2010-2011 est le plus grand. Nous estimons que le fléchissement des taux d’intérêt qui devrait se diffuser au gré des refinancements obligataires devrait apporter 2% de profits additionnels à la France chaque année pendant quatre ans, contre 1% en Allemagne et 3% en Espagne ou en Italie.

Au-delà de la baisse des taux et de la hausse des profits, faut-il s’attendre à une influence significative des opérations capitalistiques sur les actions françaises, singulièrement les opérations de fusion-acquisition et les opérations de rachat d’actions ?
Ces opérations auront très probablement une influence notable. Nous sommes indéniablement dans un contexte excessivement favorable à ces opérations. Nous pouvons observer qu’aux Etats-Unis, la volonté de procéder à de la croissance externe et à des acquisitions de titres sont devenues les motivations premières de l’endettement des sociétés américaines.
Nous pouvons imaginer voir un phénomène similaire se produire au sein de la zone euro, notamment en France, même si dans une moindre proportion.
Cela sera assurément bénéfique pour les cours de bourse mais pas fondamentalement sain pour l’économie qui nécessite davantage d’investissement productif.

Après un rallye de plus de 20% à l’issue du premier trimestre, à quoi faut-il s’attendre pour les trimestres à venir ?

Vraisemblablement à une poursuite du rallye mais à un rythme moins soutenu. Il serait sain de marquer une pause et pas surprenant de voir un regain de volatilité. La principale source du sursaut des actions jusque là, à savoir la baisse des taux, est vouée naturellement à se tarir. Les taux allemands se situent actuellement en dessous de 0 jusqu’à une maturité de 7 ans et les taux français jusqu’à une maturité de 5 ans. Le potentiel de décrue supplémentaire est limité.

Vous n’avez donc pas relevé votre objectif de fin d’année compte tenu de la configuration de ce début d’année ?

Non. Ce n’est pas parce que le marché a gagné 20% qu’il est destiné à récupérer 20% de plus au cours des mois à venir.
Ceci étant, la baisse des taux étant plus puissante qu’envisagé initialement, la porte est ouverte à des dérapages haussiers.

Quels principaux risques identifiez-vous dans votre scénario central ?
Nous ne sommes pas convaincus qu’une crainte liée à la reprise dans la zone euro ou une inquiétude ravivée au sujet d’une tombée en déflation soit un risque majeur à l’heure actuelle.
Le marché est me semble-t-il pleinement conscient que la reprise est poussive et qu’une déflation est installée.
Ce qui constitue davantage une menace, ce sont les conséquences induites de cette situation sur le marché des changes. Nous pourrions assister à un conflit plus ouvertement assumé. La volatilité est extrême et peut supplanter les risques de corrections sur les actions ou sur les taux.

Une inertie dans la mise en œuvre des réformes structurelles requises de la part du gouvernement français est-il un danger potentiel ?
C’est un risque mais modéré. Le marché s’attend dans une large mesure à ne pas voir de nombreuses réformes d’envergure dans le pays. Il y a peu de place à une déception majeure de ce fait.

Quid d’une erreur de pilotage de la politique monétaire de la Fed ?
Il y a lieu de ne pas sous estimer la répercussion de l’appréciation du dollar sur l’économie américaine. Une hausse de 20% de la valeur du billet vert équivaut à une remontée de plus de 3% des taux de référence de la Fed. Il y a donc déjà un resserrement indirect de la politique monétaire en œuvre qui freine l’expansion de l’activité et qui milite pour un processus lent et graduel de relèvement des taux par la Banque centrale américaine.

Appréhendez-vous des perturbations découlant la résolution du dossier grec ou de l’élection au Royaume-Uni ou en Espagne ?

Il est peu probable que ces évènements aboutissent à de vives tensions sur le marché des actions de la zone euro.
90% de la dette grecque est détenue par des institutions publiques et parapubliques (BCE, FMI, FSF). La résolution du dossier grec est plus un enjeu politique qu’un enjeu de marché contrairement à ce qui s’est passé en 2012 où les investisseurs privés avaient dans une large mesure été mis à mal par la restructuration de la dette grecque.
Il est important de ne pas dramatiser l’incidence que tout évènement politique ou géopolitique pourrait avoir sur le plan financier. Nous sommes dans une certaine mesure en capacité de mieux absorber les chocs. Une des raisons principales à cela est que le marché des obligations souveraines des pays de l’OCDE est abondamment détenu par des institutions publiques, notamment les banques centrales, qui ont une responsabilité, un agenda, des moyens d’action sans comparaison avec des investisseurs privés qui pourraient prendre peur plus rapidement et adopter des comportements plus brutaux.

Quelles sont vos principales thématiques d’investissement ?

Nous sommes très attirés par les acteurs qui ont une activité fortement exposée au change.
Nous mettons également l’accent sur les valeurs qui procurent un dividende substantiel et soutenable. Le rendement offert par les actions françaises est d’environ 3%, soit 7 fois plus que le rendement de l’OAT à dix ans, à 0,4%. Nous ne sommes, en outre, qu’au début de la récolte des dividendes. L’essentiel devrait être versé au deuxième trimestre.
Enfin nous misons de plus en plus sur les valeurs sensibles à la reprise économique.

Cela conduit t-il à des dominantes sectorielles ?
Les grands secteurs peuvent être trompeurs. Ainsi dans le secteur financier, les banques, les assurances, les foncières, les holdings suivent une logique totalement différente.

Pour autant, certains secteurs paraissent manifestement mal positionnés pour tirer avantage de la reprise, par exemple les utilities. C’est un secteur très domestique qui ne peut donc pas vraiment jouir de la baisse de l’euro. Les dividendes attrayants proposés ne me paraissent pas soutenables en raison de l’épuisement de la rentabilité.
D’autres secteurs au contraire devraient tirer leur épingle du jeu, comme l’hôtellerie.

Propos recueillis par Imen Hazgui