Interview de Alexandre Baradez : Responsable de l'analyse marché chez IG

Alexandre Baradez

Responsable de l'analyse marché chez IG

Le Cac 40 pourrait retomber vers 4700 points avant de remonter vers 5500 points à la fin de l'année

Publié le 21 Avril 2015

Quel regard portez-vous sur le rebond des actions françaises depuis le début de l’année ?
Fin 2014, nous étions très optimistes sur l’évolution des actions de la zone euro et notamment des actions françaises pour cette année. Nous nous attendions à ce que le Cac 40 atteigne et dépasse les 5000 points. Nous avions livré un objectif pour fin décembre situé entre 5300 et 5500 points.

Ceci étant, vous êtes d’avis que le rythme de la hausse a été très rapide...
Entre octobre 2014 et le pic atteint en avril, la performance haussière avoisine les 40% ce qui est très significatif.
Assurément l’anticipation puis le déclenchement du programme de Quantitative Easing (QE) de la Banque Centrale Européenne explique dans une large mesure le mouvement. Par ailleurs, la consolidation de la reprise économique a contribué à renforcé le sentiment de confiance des investisseurs.

Vous escomptez un deuxième trimestre plus volatile que le premier ?

Les considérations fondamentales restent porteuses sur le long terme. A court terme cependant nous devrions entrer dans une zone de turbulences. L’alerte que nous avons eue vendredi dernier est symptomatique.
Nous allons devoir faire face à de multiples échéances. A commencer par l’avancée de la résolution du dossier grec. Les ministres des Finances des pays de la Zone-Euro doivent se réunir vendredi en Lettonie afin de poursuivre les négociations avec Athènes. L’incertitude s’accentue sur l’issue des discussions. En témoigne les tensions palpables sur les taux grecs quelques soit les échéances et le net retour de la volatilité la semaine dernière alors que ce sont multipliées les déclarations sur la Grèce de la BCE, du FMI ou encore des différents responsables européens.

Une sortie de la Grèce de la zone euro vous parait-elle plausible ?

Je pense qu’elle n’est pas à exclure. Davantage de pression est exercée sur le gouvernement grec par la BCE, le FMI, les autres Etats membres de la zone euro pour établir un plan de réformes structurelles plus crédible afin d’obtenir la prochaine tranche d’aide de 7,2 milliards d’euros. Une certaine impatience est palpable sur la lenteur dont font preuve les autorités grecques pour formuler des propositions plus sérieuses et donc plus acceptables. Certains médias allemands (Die Zeit) vont jusqu’à laisser entendre que l’Allemagne préparerait un scénario alternatif au cas où la Grèce ferait défaut…

Ce facteur de risque grandissant vous amène à tabler sur l’ouverture d’une phase de correction sur les actions de la zone euro ?

Nous pourrions après les 40% de progression affichée abandonner entre 10% et 15% sur quelques mois. Le cycle haussier pourrait reprendre par la suite sont déroulement en prenant appui sur la solidité des fondamentaux de la croissance américaine mais également des fondamentaux européens.
En revanche, nous ne voyons aucunement un effondrement du marché à l’instar de ce qui s’est passé en 2007/2008 lors de la crise des subprimes ou en encore en 2011 lors de la crise de la dette en zone euro.

Une deuxième crainte est liée au comportement à venir de la Réserve fédérale américaine ?

La Fed a clairement démarré un processus de normalisation de sa politique monétaire. Après la fin de son quantitative easing, est à présent attendu le relèvement de ses taux directeurs. Des interrogations portent sur la date de cette première hausse. D’aucuns tablent sur juin, d’autres sur juillet, d’autres encore sur septembre. Les signaux contrastés envoyés par l’économie américaine n’aident pas à se faire une idée plus tranchée sur le sujet. Il semble que la vive appréciation du dollar ait quelque peu mis à mal certains pans d’activité exposés à l’exportation.
Les valorisations des actions américaines ayant touché un plus haut historique, le coussin d’amortissement se veut moins épais. Le climat est propice à une prise de bénéfices à la moindre nouvelle défavorable.

Le consensus étant celui d’un processus de hausse très lent et très graduel, pour certains observateurs, la date du début d’intervention de la Fed importe peu…

Il est vrai que l’ambigüité est moins notable sur le rythme de hausse des taux. Pour autant nous pouvons remarquer que chaque fois qu’un membre du comité de pilotage de la politique monétaire de la Fed s’exprime, que ce soit Bullard, Lockhart ou même Dudley, une agitation est perceptible. Cela montre à quel point le marché est sensible sur ce point. Cette première date de hausse a sa pertinence en ce qu’elle permet aux investisseurs de présager le timing des étapes suivantes du processus.

Le ralentissement de l’économie chinoise et les désagréments qu’il provoque peuvent également nourrir les tensions...

Depuis plusieurs mois la Banque centrale chinoise (PBOC) intervient de manière à redonner de l’oxygène à l’économie. Le taux de réserves obligatoires a connu sa plus forte baisse depuis novembre 2008. Un acteur immobilier chinois important a été contraint à faire défaut du fait d’une incapacité à rembourser une dette libellée en dollar. La banque central a également abaissé ses taux et injecté des liquidités.

Quid de l’inquiétude affichée par certains sur l’absence d’implémentation de réformes nécessaires par le gouvernement français ?
Il y a lieu de distinguer la perception des investisseurs de la situation de l’économie française isolément et leur perception de l’évolution de l’économie de la zone euro dans son ensemble. La France est très sensible à la reprise cyclique de la zone euro. Elle jouit en cela d’un effet d’entrainement.
La problématique des réformes pourrait devenir dangereuse dans le cas où le gouvernement français échouerait à respecter ses objectifs de déficit budgétaire. Une deadline ayant été fixée à 2017, des tensions ne pourraient vraiment se faire ressentir que dans un an ou deux. Pour l’instant la Commission européenne devrait conserver une attitude plutôt clémente face à l’Hexagone, d’autant plus face à l’intensification du risque grec, de la montée de la gauche radicale en Espagne, et de la prolifération des votes populistes ailleurs en Europe.

Compte tenu de cette configuration de baisse puis de hausse, à quel niveau pressentez-vous le Cac 40 à la fin de l’année ?
Le Cac 40 pourrait retomber à 4700-4800 points pour ensuite remonter à 5400-5500 points.
Le rallye devrait s’accélérer en 2016. L’indice pourrait monter à 6000 points.

L’atteinte de ce niveau de 6000 points en fin d’année vous parait peu plausible ?
Je n’y crois pas. Ce niveau devrait être franchi au mieux en 2016, au pire en 2017.

Sur le plan technique, quelle vision avez-vous de la valorisation des actions françaises aujourd’hui ?
Les valorisations ne sont pas chères. Il y a lieu de ne pas considérer uniquement les valorisations des entreprises. Il est nécessaire d’apprécier l’environnement macro économique. Si des réformes sont mises en place, si des plans d’investissement sont déployés, si la dépréciation de l’euro et la dépression du prix du pétrole persistent, si le quantitative easing de la BCE est maintenu, si le FMI est conduite à réviser de nouveau positivement ses prévisions de croissance pour la zone euro, l’absence d’effet de contagion de la crise grecque, ces éléments supplantent le risque de survalorisation à court terme.

Un accroissement des bénéfices  de 15% est envisagé pour les sociétés françaises. Qu’en pensez-vous ?
Cela estimation me parait concrétisable. Les composantes consommation, exportations et investissement devraient le permettre. Le levier opérationnel est considérable. La moindre augmentation du chiffre d’affaires devrait se traduire par une amélioration des profits.

Une expansion supplémentaire des multiples pourrait-elle découler de la multiplication des opérations capitalistiques ?

Je pense que ce sera le cas. L’environnement est indéniablement propice à ces opérations. Nous sommes revenus au niveau mondial à un montant global de fusions acquisitions comparable à celui de 2007, soit plus de 3000 milliards de dollars. L’embellie sur le front macroéconomique devrait encourager à poursuivre le trend. De plus les liquidités sont abondantes. Les taux sont très faibles et permettent un endettement à bas cout. Les valorisations sont élevées, elles ne sont pas indécentes. Il y a par ailleurs un facteur psychologique qui joue. La consolidation visible dans le secteur pétrolier par exemple pousse par un jeu de mimétisme des sociétés d’autres secteurs à vouloir suivre le mouvement de concentration.

Quels secteurs, quels profils de sociétés sont à jouer selon vous à ce stade de l’année ?

Un retour sur les valeurs industrielles me parait pertinent. Celles-ci ont été énormément mises à mal ces dernières années. Elles sont désormais particulièrement aidées par une baisse du pétrole et de l’euro.
Plus globalement les valeurs exportatrices exposées au dollar américain devraient tirer leur épingle du jeu.
Les valeurs financières devraient également connaitre un progressif redressement, dans les 12 à 18 mois. L’audit des actifs dans les bilans et les stress tests ayant été effectués, la marge de manœuvre est plus importante pour distribuer plus de crédits et générer plus de profits.
A l’inverse je conseillerais de rester à l’écart des valeurs pharmaceutiques et des valeurs pétrolières (pour l’instant). Les sociétés du secteur pharmaceutique sont sujettes au risque de changement de réglementation.

Au-delà de ces thématiques pour du stock picking, vous recommandez d’utiliser les indices ?

Il est moins difficile de se tromper en misant sur un indice géographique qu’en prenant un pari sectoriel.

De quelle manière se positionne le Cac 40 vis à vis des autres grands indices européens s'agissant de son potentiel d'upside ?

Au même niveau que le Dax tant que le taux long français restera ancré au taux long allemand, et à un niveau moindre que les indices espagnol ou italien pour lesquels le phénomène de rattrapage devrait être plus important.

Propos recueillis par Imen Hazgui